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Critique de film
Le film
Affiche du film

Fille du diable

L'histoire

Saget est un célèbre criminel, en fuite après une terrible fusillade avec les forces de l’ordre. Sur sa route il est pris en voiture par Ludovic Mercier, qui rentre dans son village natal après avoir fait fortune aux Etats-Unis. Mercier est ivre, et les deux hommes finissent par avoir un accident dans lequel Mercier est tué. Recueilli par le médecin du village, Saget est pris pour Mercier. Il va décider de prendre cette identité.

Analyse et critique

En 1946, Henri Decoin sort d’une petite traversée du tunnel, trois années durant lesquelles il n’a tourné aucun film, et a vu son comportement durant l’occupation questionné. Il revient à la réalisation avec Fille du diable, un film assez inclassable oscillant entre le film de gangster et le drame provincial. La longue séquence d’ouverture, une fusillade intense et violente, ne déparerait pas dans un film de gangster américain des années 30. Spectaculaire et captivante, cette ouverture annonce un film d’action haletant, ce que Fille du diable… ne sera pas. Après un rebondissement relativement peu crédible, le film bascule dans une chronique de village, qui évoque avec quelques années d’anticipation certains récits chabroliens.


Au cœur de ce récit, Saget, interprété par Pierre Fresnay, alors un des acteurs principaux du cinéma français. Sa présence surprend durant les premières minutes, tant l’acteur qui incarne le plus souvent des personnages moralement rigoureux semble peu destiné à incarner un maitre du crime. Il parait plus à l’aise lorsqu’il usurpe l’identité de Ludovic Mercier, un homme riche dont le village va forcer la générosité. Saget se transforme, très rapidement, en bienfaiteur du village, au point que l’on en oublierait presque sa nature initiale. Decoin est particulièrement à l’aise dans sa manière de filmer cette petite communauté, parvenant à faire exister chacun des personnages. Les scènes de café et de foule sont particulièrement maitrisées, et la mise en scène de cette communauté avec ses bassesses et ses générosités, avec sa volonté d’améliorer la vie du village et son hypocrise vis-à-vis de Saget/Mercier, méprisé pour sa réussite mais dont on accepte et sollicite les largesses. Au sein de ce récit, c’est bien sur l’opposition entre Pierre Fresnay et Fernand Ledoux qui prédomine. Ledoux interprète le docteur qui recueille Saget, et comprends rapidement la situation et comment en tirer profit pour le bien du village. La subtilité du jeu de l’acteur et sa présence font de sa confrontation avec Fresnay un beau moment de cinéma.


Mais le principal intérêt de Fille du diable du diable repose sur un autre personnage. Celui d’Isabelle, jeune fille isolée et méprisée dans le village, traitée telle une sorcière. Ce personnage, qui devine la réalité derrière le retour de Ludovic Mercier apporte une dimension poétique, presque fantastique au film. C’est Andrée Clément qui interprète isabelle, lui apportant à la fois une véritable fragilité et une grande force qui lui permet de mener à la baguette un petit groupe de jeunes garçons qui lui obéissent au doigt et à l’œil. Isabelle est fascinée par Saget, le criminel, lui vouant un amour fou. C’est elle qui va matérialiser la trajectoire du personnage de Saget, qui s’est transformé en endossant le rôle de Mercier, pour nous offrir un final qui nous ramène au film de gangster, dans lequel le personnage principal se rachète par l’exemple, en détruisant sa figure héroïque. Cette superposition de tons fait l’intérêt de Fille du diable mais aussi, d’une certaine manière, elle fait ses défauts. Le film peine à trouver son équilibre entre différentes idées, même si l’on reste convaincu par la force du personnage d’Isabelle, intriguant et qui reste en mémoire. Il est d’ailleurs logique, alors que le titre de travail du film était La Vie d'un autre, que le choix se soit porté sur Fille du diable, bien plus en rapport avec le véritable sujet du film. Succès public honorable, ce film signe une sortie du tunnel pour Decoin, qui poursuivra sa carrière vers de nouvelles réussites majeures, telles Entre onze heures et minuit ou La vérité sur Bébé Donge.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 25 juillet 2022