Critique de film
Le film
Affiche du film

Égarements

(The Astonished Heart)

L'histoire

Un psychiatre, au sommet de sa réussite, et marié depuis dix ans à une femme qui l'adore, rencontre l'amie d'enfance de sa femme et la prend pour maîtresse.

Analyse et critique

Un récit d'adultère écrit et joué par Noel Coward, ajouté à la présence au casting de Celia Johnson, et c'est le souvenir du poignant Brève Rencontre (1945) de David Lean qui ressurgit. Brève Rencontre avait été un des sommets de la collaboration entre Lean et Coward, offrant un des chefs d'œuvre du mélodrame. Le lyrisme de Lean se mariait merveilleusement au sens du tragique de Coward, le romantisme de l'un luttant constamment contre la lucidité de l'autre.

Lean une fois libéré de l'ombre de Noel Coward avait réalisé une magnifique variation de Brève Rencontre avec Les Amants Passionnés (1949) où il laissait s'exprimer toute la flamboyance que lui refusait l'austérité de son ancien mentor, mais reculait dans sa conclusion à oser la pure tragédie que n'aurait manqué d'atteindre Coward. Noel Coward en adaptant sa pièce The Astonished Heart (qui comme Brève Rencontre est issue de son cycle de dix courtes pièces Tonight at 8 :30) procède de la même manière de façon inversée en revisitant également ce thème de l'adultère mais dans sa facette la plus pathétique, estompant tout le romantisme qu'avait pu y insérer David Lean. Le film s'ouvre sur le désespoir de Barbara Faber (Celia Johnson) dont le mari agonisant réclame une autre femme, qu'elle va bientôt se résoudre à convier à son chevet. Un flashback (reprenant ainsi la construction de Brève Rencontre) va nous expliquer comment l'on en est arrivé là. Un an plus tôt, Barbara croise la route de son amie d'enfance Leonora (Margaret Leighton). Barbara vit un mariage heureux et paisible depuis douze ans avec Christian (Noel Coward), psychiatre réputé et dévoué à son travail. La personnalité douce et effacée de Barbara contraste avec Leonora, expansive, passionnée et séductrice.

Pour Christian, la passion amoureuse reste un concept et un sujet d'étude chez ses patients, mais qu'il va bientôt expérimenter douloureusement, la bascule se faisant lors d'une scène de colloque où il explique scientifiquement le sentiment amoureux tandis qu'il croise le regard de Leonora dans l'assemblée. Le romantisme est là mais très ténu, le rapprochement entre Christian et Leonora se fonctionnant de façon schématique et inéluctable. Le premier baiser est ainsi filmé dans un plan cadré en plongée inquisitrice même si l'émotion n'est pas absente en voyant le jusque-là austère Christian s'animer et la superficielle Leonora capable de sincérité. Mais la passion, c'est aussi l'éveil de comportements moins nobles comme la possession et la jalousie qui va détruire le couple adultère dans un retour de bâton logique. Coward développe le propos de Brève Rencontre avec le couple comme entité destructrice, voyant l’union légitime condamnée à s'enliser (voir les scènes amicales insipides entre Coward et Celia Johnson) et l'illégitime à se consumer. On ne devine guère le futur Terence Fisher de la Hammer ici (qui coréalise avec Anthony Darnborough, comme le génial thriller Si Paris l'avait su tourné la même année) mais il filme admirablement ce drame et lui donne des élans de noirceur saisissant, tel ce retour chez lui de Noel Coward filmé comme une longue marche funèbre.

Tout cela est fort prenant, surtout observé en réaction de Brève Rencontre mais tout comme Les Amants Passionnés souffrait de ne pas aller au bout de sa noirceur, The Astonished Heart lui pêche en s'y soumettant totalement sans oser laisser pointer l'inattendu, sans laisser respirer le récit. Coward et Lean s'avéraient donc bien complémentaires tant on constate les manques dans les relectures offertes chacun de leur côté, même si Lean apprendra de ses erreurs avec les grands mélodrames teintés également de culpabilité adultère que sont Docteur Jivago (1965) et La Fille de Ryan (1970).

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 14 mars 2025