Critique de film
Le film
Affiche du film

Du soleil plein les yeux

L'histoire

Vincent (Renaud Verley), 25 ans, travaille dans un hôpital à Rennes en tant qu’interne. Il vit en appartement avec son cadet Bernard (Bernard Le Coq) et sa mère divorcée. Pour consoler Bernard qui vient d’être recalé au baccalauréat, Vincent lui propose de partir en voilier jusqu’au Maroc rendre visite à leur père qui a refait sa vie là-bas et qui habite dans une belle propriété au bord de la mer. Ils sont accompagnés par Geneviève (Florence Lafuma), la fiancée de Vincent. Vincent a du mal à pardonner à son père d’avoir quitté sa mère quelques années auparavant et reste un peu froid vis-à-vis de sa belle-mère. L’atmosphère demeurant un peu tendue, les trois jeunes gens décident d’aller explorer quelques jours la côte marocaine. A Agadir, ils rencontrent Monica (Janet Agren), une blonde sans complexe qui va avoir une aventure avec Bernard mais qui est plus attirée par Vincent…

Analyse et critique

En lisant le pitch ci-dessus, l’on comprendra aisément que la société et l’époque évoquées dans La Leçon particulière sont bel et bien révolues ; et d’ailleurs le roman-photo ‘Harlequin’ de Michel Boisrond est tellement daté que d’une manière paradoxale c’est principalement aujourd’hui ce qui fait tout son charme, se révélant par la même occasion un passionnant document sociologique sur une certaine France, celle des fils à papa sans soucis et sans conscience politique, des lycées haut de gamme et des appartements bourgeois, des voitures de course couteuses et des stations de ski pour nantis... Évoquer une telle jeunesse quelques mois à peine après les évènements de mai 68 (à Noël de cette même année plus précisément) devait d’ailleurs paraitre bien anachronique voire agaçant à beaucoup lors de sa sortie en salles ; à moins que ce ne fût au contraire pour de nombreux autres une bouffée de fraicheur. Ce qui semble s’être confirmée car si étonnamment plus personne ne connait ce film dans notre pays, il eut pourtant un énorme succès et pas seulement en France, ayant également marqué à cette époque pas mal de jeunes américains et japonais .


Et puisque nous n’aurons pas souvent l’occasion d’en reparler ni de le mentionner, il ne fait pas de mal de revenir une fois encore très brièvement sur la carrière de Michel Boisrond qui fut tout d’abord assistant de René Clair sur ses plus beaux films des années 50 (et notamment le sublime Les Grandes manœuvres) avant de passer derrière la caméra pour quelques modestes œuvres loin d’être désagréables durant les années 50/60 comme Le Chemin des écoliers d’après Marcel Aymé avec, excusez du peu, Bourvil, Lino Ventura et Alain Delon. Il aura également beaucoup fait tourner la star féminine numéro 1 de son époque, la toute jeune Brigitte Bardot, et ce dès son premier film, Cette sacrée gamine. S’ensuivront les assez célèbres - en leur temps - Les Parisiennes, ainsi que Voulez-vous danser avec moi ? Il signa aussi le plus regardable des OSS 117 de l’époque, A tout cœur à Tokyo, autrement moins bâclé que les films d’André Hunebelle, ou encore une version du Petit Poucet avec Jean-Pierre Marielle dans le rôle de l’ogre, film qui a marqué quelques-uns d’entre nous à l’époque de sa diffusion à la télévision à la fin des années 70. Après 1975 et son Catherine et Cie (pour l’anecdote et de mémoire, l’un des premiers films télédiffusés en Prime Time avec le rectangle blanc), il travaillera ensuite exclusivement pour la petite lucarne.


Sa scénariste attitrée sera Annette Wademmant qui avait commencé son cursus cinématographique par écrire des dialogues et des scénarios pour Jacques Becker et Max Ophuls : on a connu pire comme école ! Leur collaboration aura donc donné également naissance à deux films presque jumeaux, La Leçon particulière ainsi que Du soleil plein les yeux, tournés en à peine deux ans d’écart avec quasiment les mêmes équipes. Toutes proportions gardées, comme Delmer Daves en fin de carrière, Michel Boisrond décide sur le tard (à la cinquantaine) de se consacrer à la jeunesse de son époque par l’intermédiaire de ce dytique plus proche que de l’étude de mœurs ou du drame psychologique du roman photo (ou roman à l’eau de rose pour ceux qui n’auraient pas connus les premiers alors très en vogue à l’époque) ; ‘Soap Opera’ comme je l’ai lu parfois serait un terme un peu inapproprié car les auteurs n’ont jamais vraiment cherché ici ni le paroxysme sentimental ni la multiplication de rebondissements dramatiques, l’intrigue étant au contraire simplissime, apaisée et linéaire, le jeu d'acteurs très naturel. Pour apprécier ces deux films, il vous faudra certainement laisser s’exprimer votre cœur de midinette, auquel cas ils vous sembleront très efficaces et très attachants, surtout le second dont il est question ici. Au contraire, cyniques s’abstenir ! A Paris et Avoriaz du précédent se substituent Rennes et les côtes marocaines, Du soleil plein les yeux - comme son titre l’indique - sera en quelque sorte le versant estival de la romance entre Nathalie Delon et Renaud Verley qui prenait place pour une bonne partie dans des paysages enneigés et hivernaux.


Le film se déroule toujours au sein des milieux de la bourgeoisie (loin de celle croquée avec virulence par Claude Chabrol) mais cette fois avec une galerie de personnages plus étoffée et mieux fouillée. Le climax de l’histoire sera à nouveau un adultère mais alors que dans La Leçon particulière c’est Nathalie Delon qui trompera avec un jeune homme son époux joué par Robert Hossein, ici ce sera le jeune homme qui trompera sa fiancée avec une fille du même âge rencontrée durant les vacances. Moins ambigu et moins à même de choquer le public de l’époque, Du soleil plein les yeux s’avère cependant bien plus ensorceleur grâce à une écriture plus ciselée, des personnages plus richement décrits, des comédiens plus chevronnés, Renaud Verley ayant fait pas de mal de progrès, Bernard Le Coq également qui de plus s’est fait octroyer un personnage d’une plus grande importance et avec surtout bien plus de temps de présence. Il joue ici Bernard, le frère cadet de Vincent, un jeune bachelier exubérant, expansif et joyeux face à son ainé plus posé et assez taciturne, n’ayant plusieurs années après toujours pas digéré le divorce de ses parents, en voulant toujours à son père de les avoir ‘abandonné’ pour une autre femme. Vis-à-vis de lui et de sa belle-mère, il se montre toujours un peu hostile et fermé alors que Bernard est capable de leur sauter au cou, ne faisant plus grand cas de cette rupture et du fait que son père ait eu envie de recommencer sa vie sans eux. Bernard s’avère de ce point de vue bien plus mûr et compréhensif que son frère ainé.


L’évolution des relations familiales et (ou) amoureuses sont décrites par les auteurs avec justesse et tendresse, ce qu’ils n’avaient pas pris le temps de faire dans La Leçon particulière quasi uniquement centré sur le couple. Que ce soient celles pleines de tensions entre Vincent et son père à cause du remariage de ce dernier, faites de désir et d’animalité entre Vincent et Monika (belle blonde moderne, désinhibée et sans complexes lorsqu’il s’agit de sexe), faites d‘amoureuse tendresse entre Vincent et Geneviève (plus sage mais pas gourde pour autant, très mûre au contraire), complices et affectueuses entre Vincent et Bernard… tout est brossé, sinon avec subtilité, avec délicatesse et justesse. Les auteurs prennent tout leur temps à faire inévitablement craquer Vincent, lui qui plein de principes et haïssant toutes les compromissions, va néanmoins par faiblesse se retrouver dans la position de celui qui doit choisir entre deux femmes. Dans le dernier quart d’heure, toutes les situations un peu embarrassantes se dénouent non sans un certain ton moralisateur ("lorsque l’on s’aime vraiment, l’on se pardonne tout" dira son père à Vincent lors de retrouvailles assez touchantes, Vincent devenu moins intransigeant envers son père après avoir lui-même succombé à ce qu'il appelle un "instinct animal"), cependant balayé par l’émotion véhiculée par une succession de très jolies séquences.


Un film très dépaysant, nous faisant profiter les ¾ du temps du soleil, de la mer, des piscines, des palaces marocains, des plages, de voiliers et de très jolies filles, nous faisant participer à des régates, des promenades en méhari dans les dunes, nous distillant des instants magiques du quotidien en temps de vacances. Beaucoup de sensibilité, de sensualité et de romantisme au sein de ce long métrage porté par d’excellents comédiens dont le naturel fait qu’on n’a pas de peine à croire en leurs personnages. Mention spéciale à la complicité qui rejaillit entre Renaud Verley et Bernad Le Coq ainsi qu'à la ravissante Florence Lafuma dans le rôle le la petite amie de Vincent, une fille intelligente, compréhensive et mature mais qui ne se laissera pas faire pour autant. Une romance estivale pleine de soleil et de charme, l’émotion en plus comparativement à La Leçon particulière. Une très jolie surprise, un film gentiment "sea, sex and sun" avec une ritournelle de Francis Lai qui, qu’on l’apprécie ou non, vous restera un petit moment en tête.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 27 décembre 2023