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Critique de film
Le film
Affiche du film

Du rouge pour un truand

(The Lady in Red)

L'histoire

Polly Franklin, une jeune fermière pauvre, fuit la campagne et la violence de son père comme celle de son environnement pour rejoindre Chicago. Elle va y connaitre un difficile apprentissage de la vie, exploitée à l’usine et derrière les barreaux, puis prostituée. Le destin va un jour mettre sur son chemin un homme qui va lui faire espérer un destin plus radieux. Mais elle ne connait pas sa véritable identité. Il s’agit de John Dillinger, l'ennemi public n°1.

Analyse et critique

Durant la Grande Dépression, John Dillinger était le gangster le plus populaire auprès du public américain. Malgré sa violence et ses crimes, il bénéficiait auprès de beaucoup d’une image positive, souvent décrit comme un Robin des Bois moderne. Rien d’étonnant alors à ce que le personnage devienne un héros hollywoodien, une figure de l’histoire américaine portée sur grand écran. Sa mort à elle seule, alors qu’il est abattu devant le Biograph Theater de Chicago après une projection de L’Ennemi public n°1, ressemblait déjà à un passage dans le monde cinématographique. Rien d’étonnant alors à ce que, après d’autres films, Du rouge pour un truand s’intéresse à l’aventure de ce criminel. Ce qui est plus surprenant, c’est l’angle d’attaque du scénario. John Sayles, encore jeune scénariste, relègue dans son récit Dillinger au rang de personnage secondaire pour se concentrer sur Polly, incarnation romanesque de Polly Franklin, la dernière petite amie de Dillinger qui était à ses côtés (mais pas en rouge) au moment de sa mort. Un choix d’autant plus surprenant pour un film d’exploitation à petit budget, que l’on imagine plus facilement construit autour d’une figure reconnue et de nombreuses séquences d’action.


Du rouge pour un truand est une production New World Pictures, la société fondée en 1970 par Roger Corman et son frère. Corman, qui s’est fait une spécialité de donner leur chance à de nouveaux talents. C’est le cas de Lewis Teague, qui après une coréalisation au début des années 70, a rejoint l’écurie Corman et a gravi les échelons pour se voir ici offrir son véritable premier film, dans les conditions habituelles du producteur : minimales. Avec 20 jours de tournage, trois de montage, et un budget réduit à l’essentiel, nous sommes dans la pure série B. Pourtant Teague s’en sort avec les honneurs, voire mieux. Les quelques séquences d’action, essentiellement le braquage initial et la mort de Dillinger, démontrent une efficacité redoutable et le reste du film fait plus riche qu’il n’est vraiment, avec une reconstitution convaincante et vivante des années 1930. Le résultat d’un savoir-faire évident du cinéaste mais aussi d’un scénario soigné, notamment dans l’écriture de son personnage principal. Quentin Tarantino, admirateur du film, n’hésitera d’ailleurs pas à dire qu’il s’agit du « meilleur scénario jamais écrit pour un film d’exploitation ». Le seul déçu est peut-être finalement Sayles lui-même, qui imaginait un film plus rythmé, proche des films de gangsters des années 30 mettant en scène James Cagney.


Comme beaucoup de films des années 70, Du rouge pour un truand fait pourtant bien référence au cinéma des années 30, et on y trouve par exemple des échos à Bertha Boxcar, le second film de Martin Scorsese, également produit par Corman, qui prenait lui aussi pour protagoniste principal une jeune fille pauvre qui va sortir de son milieu. On pense, surtout, au nombreux films qui constituèrent durant le cinéma pré-code le cycle dit « de la femme déchue », mettant en scène des héroïnes prêtes à tout, y compris à des procédés alors réprouvés par la morale puritaine américaine, pour s’élever dans la société. C’est le même chemin qu’entreprend ici Polly Franklin. Dans un monde particulièrement violent, ce qu’elle comprend tôt après avoir été embarquée dans un braquage, abusée par un journaliste et frappée par son père, elle décide d’utiliser cette violence, de se mettre au niveau moral de la société pour s’en sortir et combattre un système qui l’opprime, comme elle le fait à l’usine puis en prison. Un combat qu’elle pense avoir gagné en rencontrant un homme formidable, avant d’être confrontée à la terrible réalité. Elle est le sujet du film, l’unique, et l’une des réussites de Du rouge pour un truand est de ne jamais perdre son point de vue. Ainsi, on ne verra jamais les crimes de Dillinger. On aurait pu attendre une scène d’action de plus dans une production de cette nature, mais Polly ne connaît pas les activités de son compagnon, ni même son nom, nous ne pouvons donc pas le voir en action. Un mécanisme qui fonctionne notamment grâce à la remarquable performance de Pamela Sue Martin qui interprète Polly avec une grande justesse. L’actrice, surtout connue pour son travail à la télévision, trouve ici le rôle de sa vie au cinéma.


C’est d’ailleurs l’ensemble du casting qui fait aussi la belle réussite du film, avec notamment une mémorable Louise Fletcher, un Robert Conrad convainquant en Dillinger et une apparition de Robert Forster dans un rôle touchant, dont saura se souvenir Tarantino au moment de tourner Jackie Brown. Si l'on ne peut pas passer sous silence un léger trou d’air au cœur du film, dans le long passage étiré au bordel certainement justifié par la nécessité de dévoiler suffisamment de chair dénudée, ce défaut n’affecte pas de façon majeure la qualité de l'oeuvre. Du rouge pour un truand retrouve la force de ses modèles de la première moitié des années 30. Un ton direct, un propos immédiat et sans filtre, et une mise en scène qui emporte le spectateur dans son récit. Encore une belle réussite dans la longue liste de celle mise au jour par le producteur Roger Corman.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 13 juillet 2023