Menu
Critique de film
Le film

Docteur Folamour

(Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb)

L'histoire

Etats-Unis - Années 60. Le Général Ripper, commandant fou furieux d'une base aérienne ordonne à sa flotte - armée d'ogives nucléaires - de bombarder plusieurs points stratégiques d'URSS, de peur que les Russes ne polluent "les précieux fluides corporels" de ses concitoyens. Alertés par un officier anglais, les plus hauts dignitaires politiques et militaires américains se réunissent dans la salle stratégique de l'Etat-major US pour contrecarrer cette crise qui risque de dégénérer en un holocauste fatal : la fin de toute vie sur terre

Analyse et critique

Film noir et blanc, mais surtout film noir, très noir... Dr Folamour est un diamant tranchant et sombre, à l'humour désespéré - à l'image de la vision souvent cynique qu'aura eu Stanley Kubrick de l'Humanité au travers de sa filmographie. Hilarant mais sans pitié, le constat dressé par le réalisateur de Lolita évite pourtant tous les écueils du film à thèse grâce à une mise en scène millimétrée et un script d'une rare intelligence.

1958. Peter George, ancien Lieutenant de la Royal Air Force, développe dans son roman Alerte Rouge un scénario cauchemardesque de fin du monde suite à une crise nucléaire entre les deux grandes puissances des sixties. Aidé du scénariste Terry Southern, Kubrick rachète les droits de ce roman sérieux et réaliste, chamboule tout et tire le script vers la comédie noire et déjantée. Idée de génie : l'épée de Damoclès minutieusement ciselée par Kubrick a d'autant plus d'impact qu'elle joue sur le rire. Un rire jaune, certes. Mais un rire éclatant : peu de films regorgent autant de répliques cultes ("Gentlemen, you can't fight in here. This is the war room"), de dialogues étourdissants de drôlerie (la théorie de Dr Strangelove, préconisant une vie sous terre avec un ratio de 10 femmes / homme - et la réaction de Turgidson) et de situations totalement frappadingues au sein d'un contexte pourtant hautement dramatique...

Mais le film ne serait rien sans le génie comique tout bonnement ahurissant de Peter Sellers, qui trouve là sûrement un de ses plus grands rôles, si ce n'est son plus grand. Méconnaissable selon qu'il joue Mandrake, Muffley ou Strangelove, Peter Sellers fignole chaque personnage avec amour - avec un sens rare de l'accent, il habite littéralement chaque scène et fait taire tous ceux qui lui ont reproché un jour ou l'autre un certain cabotinage. Alternant sobriété (le président Muffley) et incroyable sens de l'improvisation (le monologue final de Strangelove et son " zieg heil "), le futur inspecteur Clouseau porte le film sur ses épaules. Pour vous faire une idée du potentiel comique de l'acteur, précipitez-vous sur la 86' minute du film (+ 50 secondes) - et notez comment Peter Bull (l'ambassadeur russe Alexi de Sadesky) essaie vainement de retenir son fou rire face à la prestation de l'immense Peter Sellers. Une merveille !


Ce serait toutefois faire injure au reste de la distribution que d'oublier de rendre hommage à George C.Scott, Sterling Hayden ou Slim Pickens, tous grandioses et qui trouvent chacun ici l'occasion de plusieurs scènes mythiques. A noter aussi que le film marque la première apparition d'un tout jeune James Earl Jones (que l'on retrouve dans le making-of). Heureux James Earl Jones, qui aura donc tourné avec le Maître : Stanley Kubrick. Kubrick qui réalise ici un de ses chefs-d'œuvre, un film où l'on retrouve son sens du cadrage (les scènes de la War Room lui permettent de dessiner toutes sortes d'arabesques proprement renversantes de beauté), une photographie éblouissante de Gilbert Taylor, toute en noirs et blancs superbement contrastés - ou encore une utilisation passionnante de la musique mais aussi des effets spéciaux qui finalement passent plutôt bien les ans.

Le tout emballé avec un sens du suspens que l'on avait déjà pu apprécier dans L'Ultime Razzia, une maestria comique entrevue dans Lolita et une maîtrise des scènes d'action et de guerre qui anticipe la carrière à venir de Kubrick. Si vous croyiez avoir la quintessence Kubrickienne avec le coffret Warner 8 DVDs de Stanley Kubrick, vous voilà marron. Outre ses premiers films, il vous manquerait aussi et surtout ce Dr Strangelove, un de ses films les plus cyniques, les plus caustiques, mais aussi les plus brillants. Un must !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Xavier Jamet - le 3 décembre 2004