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Critique de film
Le film
Affiche du film

Dans la souricière

(The Trap)

L'histoire

Après une dizaine d’années, Ralph (Richard Widmark) revient dans sa petite ville natale californienne de Tula. Il y avait été banni il y a longtemps après avoir commis un larcin que son père, shérif de la bourgade, n’avait pas accepté. Depuis Ralph est devenu avocat et c’est l’un de ses clients qui l’a poussé à y remettre les pieds ; pas n’importe quel client mais un chef de la mafia, l’inquiétant Massonetti (Lee J. Cobb) qui tente d’échapper à la justice. Pour ce faire il doit quitter le pays en avion sauf que tous les aérodromes sont activement gardés. Sachant le père de Ralph shérif de la ville, le truand met en place un chantage et demande à son avocat de convaincre son père de baisser quelques temps la garde quant à la surveillance de l’aérodrome de Tula, sans quoi la cité sera mise à sac. Ralph retrouve non seulement son père mais également son frère Tippy (Earl Holliman), shérif adjoint et marié à son ancienne petite amie, la belle Linda (Tina Louise). Tout aurait pu se passer pour le mieux et sans violences si Tippy n’avait pas décidé de faire du zèle pour gagner la prime de 15 000 dollars lancée sur la tête de Massonetti pour sa capture...

Analyse et critique

En cette fin de décennie 1950, beaucoup ont dû se demander ce que venait faire dans le domaine du western ou du film noir le duo Norman Panama / Melvin Frank dont le plus grand titre de gloire pourrait être le scénario du savoureux White Christmas (Noël Blanc) de Michael Curtiz. En même temps que le très décevant The Jayhawkers (Violence au Kansas) réalisé par Melvin Frank, qui avait mis à mal un formidable postulat de départ, Norman Panama nous livrait donc de son côté avec The Trap un thriller certes pas déplaisant mais bien en deçà de ce qu’il aurait pu être sous la direction d’un metteur en scène plus talentueux. En effet, ce mélange de film policier et de mélodrame familial au sein de décors westerniens aurait peut-être pu aboutir à un film autrement plus captivant si, au lieu de la réalisation paresseuse et plate de Panama, il avait été concocté par des cinéastes plus prestigieux de la trempe de Richard Fleischer, John Sturges ou Edward Dmytryk, et si le scénario, après une mise en place exemplaire, avait été un peu moins lâche, plus étoffé dans la description de ses protagonistes et dans l’ensemble plus rigoureux. Il faut dire que les duettistes étaient jusqu’ici plus habitués aux comédies musicales (ou non) avec Danny Kaye - Le Bouffon du roi (The Court Jester) - qu’aux films d’action ; et cela se ressent devant le manque flagrant d’ampleur de leurs "sérieuses" œuvres respectives de cette année-là, qui retiennent certes notre attention mais sans pour autant parvenir à nous faire vibrer.


La direction d’acteurs ne s'avère guère plus enthousiasmante ; et c’est un comble avec un aussi délectable casting ! Non pas que les comédiens soient mauvais, loin de là, mais soit ils manquent un peu de conviction (la ravissante Tina Louise ou Earl Holliman bien plus mémorables ces mêmes années sous la direction de Michael Curtiz, André de Toth ou Budd Boetticher), soit ils oublient de faire preuve de subtilité (Lee J. Cobb, autrement plus inoubliable dans Party Girl (Traquenard) l’année précédente pour un rôle similaire), la faute aussi à des personnages écrits sans trop de nuances. Mais ne nous acharnons pas plus sur ce The Trap - petite madeleine du fait d'être passé en prime time sur TF1 au début des années 80 dans le Cinéma du dimanche soir et de m'avoir laissé un bon souvenir - qui même s’il n’arrive pas à la cheville d’autres titres qui y font penser comme La Piste fatale (Inferno) de Roy Ward Baker sans évidemment oublier les splendides Les Inconnus dans la ville (Violent Saturday) de Richard Fleischer et Un homme est passé (Bad Day at Black Rock) de John Sturges, n’en demeure pas moins fort sympathique. La mise en place durant les vingt premières minutes se révèle même un modèle d’écriture. Les premières images nous intriguent d’emblée : Widmark / Ralph se trouve dans une voiture avec d’autres hommes, mais arrivée proche de la ville le véhicule s’arrête pour faire descendre Ralph à qui l’on demande de prendre seul le volant d’une autre voiture pour entrer à Tula, petite bourgade westernienne qui n’a pas changé depuis le siècle précédent, la seule flagrante différence étant les automobiles qui ont remplacé les chevaux.


Là, Ralph y retrouve son frère Tippy étendu dans la cellule de la prison qu’il est censé garder, complètement ivre. On comprend qu’ils ne se sont pas vus depuis une dizaine d’années et qu’ils n’ont pas l’air de beaucoup s’apprécier. Ralph apprend aussi de la bouche de son cadet que leur père, qu’il souhaite revoir, n’est probablement pas encore prêt à le laisser pénétrer dans sa maison et que son ex-petite amie est désormais mariée avec lui, tous deux vivant encore sous le toit paternel faute de moyens. Bref, beaucoup de mystères, de secrets et de non-dits qui aboutissent à des retrouvailles familiales psychologiquement assez violentes : jalousies, rancunes et fierté mal placée laissent planer une atmosphère triste, tendue et délétère. Une fois ces écheveaux familiaux démêlés, la raison principale de la venue de Ralph à Tula se révèle toute aussi intéressante et passionnante en termes d’intrigue dramatique. Il serait là pour convaincre son père, le shérif de la ville, de fermer quelques heures les yeux sur la venue d’un dangereux truand qui doit fuir le FBI en empruntant un avion pour filer à l’étranger. Un aérodrome se trouvant à deux pas, les autorités devront baisser la garde durant ce laps de temps afin de faciliter l’évasion de ce parrain de la mafia sans scrupules, dont la tête est mise à prix. Tout pourrait se passer le plus simplement du monde surtout que le shérif accepte cette compromission pour sauvegarder la paix dans sa ville... sauf qu’un grain de sable va enrayer la belle machine en causant des drames et des morts : une prime de 15 000 placée dollars sur la tête du mafioso qui attire les convoitises. S’ensuivra, d’une manière bien plus banale et classique, une partie principalement tournée vers l’action avec poursuites, suspense, fusillades, embuscades, prises d’otages, trahisons, chantages et retournements de situation au sein de décors encore plus dépouillés, dont celui d’un petit restaurant en bout de piste qui fait son effet et qui est très bien utilisé par les auteurs.


Richard Widmark, qui a coproduit le film pour une petite structure, domine le casting, excellent dans le rôle de cet avocat véreux rejeté par sa famille - surtout par son père intransigeant et autoritaire - et toujours amoureux de sa belle-sœur qui, elle aussi, voudrait revenir vers ce premier amour de jeunesse et pour cela quitter son mari avec qui elle ne s’entend plus. Le récit va narrer la tentative de rédemption de Ralph jusqu’à une fin efficace mais peu crédible en même temps que sacrément prévisible. The Trap est donc un thriller à petit budget, court, tendu et nerveux, se déroulant dans les décors d’une petite bourgade isolée en plein désert et qui, malgré ses défauts, se suit sans ennui d’autant que sa photographie, ses décors et sa musique aident grandement à nous faire oublier le manque d’ampleur de l’ensemble et à nous rappeler que Hollywood en était encore à son âge d’or - les équipes techniques du studio sont assez bien parvenus à nous faire ressentir la moiteur de cet endroit écrasé d’un soleil plombant. Le passionnant postulat de départ n’aboutit qu’à une modeste série B au déroulement relativement attendu mais efficace, les amateurs de film noir ne devraient donc pas bouder leur plaisir !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 3 février 2021