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Critique de film
Le film
Affiche du film

Courage fuyons

L'histoire

Martin Belhomme est un lâche de naissance, d'ailleurs chez lui la lâcheté se transmet de génération en génération. Après une enfance passée dans le tumulte de l'Occupation, il se "fait marier" par Mathilda qui décidera tout pour lui : ils auront deux enfants et il deviendra pharmacien, lui qui vouait une passion pour la musique. Mais au terme de cette vie monotone, survient Mai-68 et sa lâcheté va paradoxalement le conduire dans une folle aventure, loin des siens, avec Eva, une blonde chanteuse ravissante dans un cabaret d'Amsterdam. Dès lors, il fera tout son possible pour séduire la belle et passer pour un aventurier à ses yeux.

Analyse et critique

La filmographie d'Yves Robert est peuplée d'hommes-enfants pour lesquels la réalité et son quotidien sont des prisons qu'il faut fuir à toutes jambes. Cette fuite peut se faire dans l'aventure (le diptyque des Grand Blond), la farce (le tordant Les Copains) ou la paresse (Alexandre le bienheureux) ; la doublette Un éléphant ça trompe énormément / On ira tous au paradis offrira une sorte d'aboutissement à cette thématique pour le réalisateur. Plutôt que de s'attaquer à un troisième volet de ces deux grands succès, Yves Robert et son scénariste explorent une nouvelle fois la question de manière très différente dans ce Courage fuyons taillé sur mesure pour le talent de Jean Rochefort.


"N'écoutant que son courage qui ne lui disait rien, il se garda d'intervenir." Jules Renard

Ce penchant pour la fuite qui caractérise les personnages masculin d'Yves Robert, Martin Belhomme (Jean Rochefort) en rêve mais ne peut s'y résoudre. La cause ? Un penchant héréditaire pour la lâcheté (génialement expliqué en flash-back par le destin malheureux de ses pères et grands-pères) qui l'enferme dans une situation de plus en plus inextricable. Epris de liberté et rêveur, il "se fait marier" par une épouse tyrannique et autoritaire (Dominique Lavanant). Il ambitionne d'être musicien ? Cette même épouse l'installe dans une sinistre carrière de pharmacien de quartier. Les évènements de Mai-68 qui se déroulent parallèlement à l'intrigue offrent une parfaite symbolique de la situation de notre héros. Tout comme cette jeunesse s'élevant enfin contre la rigueur de cette France gaullienne, l'immature Martin se rebelle face à son existence conventionnelle et sans saveur. Cela se fera par le mimétisme d'une lâcheté qui ne l'a pas quitté, Martin le temps d'une hilarante scène détruisant sa propre voiture en compagnie des jeunes survoltés qui l'entourent (parmi lesquels on reconnaitra un tout jeune Gérard Darmon) et qu'il souhaite ne surtout pas froisser. Martin va réellement sortir de sa coquille grâce à la rencontre avec la belle Eva (Catherine Deneuve), une magnifique créature qui va lui permettre enfin d'évacuer ses peurs. Eva n'exige et n'attend rien de lui, ne lui pose ni condition ni ultimatum, et par cet amour sans contrainte va permettre à Martin d'endosser la peau d'un personnage plus assuré, charismatique et attirant. Après la narration très sophistiquée de cette première partie, Yves Robert laisse s'exprimer cette liberté nouvelle et le bonheur de son héros dans une longue séquence romantique qui laisse déambuler le couple dans une Amsterdam idéalisée, cliché compris (la traversée d'un joli champ de tulipes).

Ses peurs ne vont pas tarder à le rattraper avec l'apparition d'un ancien amant récalcitrant qui le menace de mort, et l'ampleur de la fuite sera proportionnelle à celle de l'inattendu courage initial : Martin retourne chez lui en se faisant passer pour amnésique. Retrouvant sa coquille plus profondément encore, Martin va pourtant être tiré de sa médiocrité par une Eva qui l'accepte et l'aime tout trouillard qu'il est. Yves Robert offre un bonheur mérité à son héros sans pour autant le changer. Il y a d'un côté les héros et les sauveurs, et de l'autre les créatures apeurées qui n'aspirent qu'à survivre et n'ont pas moins de mérite. La conclusion mémorable du film fait finalement de cette peur un surprenant trait commun au couple, et plutôt que de s'unir grâce à une action téméraire qu'aucun des deux n'ose effectuer, c'est dans cette faiblesse - qu'ils se reconnaissent mutuellement - qu'ils pourront s'aimer à leur manière très originale. Jean Rochefort tout en charme fuyant, gouaille distanciée et lucide, se montre absolument parfait et Catherine Deneuve resplendit en objet fantasmatique qui va révéler un registre plus complexe. Courage fuyons n'est sans doute pas aussi équilibré que d'autres grandes réussites d'Yves Robert (on déplore quelques longueurs et des transitions peu fluides dans les gros rebondissements), mais sa tendresse et l'originalité de son propos (la fin est réellement inoubliable) en font l'une de ses œuvres les plus attachantes.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 15 septembre 2017