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Critique de film
Le film
Affiche du film

Ciao Manhattan

L'histoire

Pour certains un document exceptionnel sur les années 60, pour d’autres une expérience visuelle inégalable, Ciao ! Manhattan, ovni cinématographique qui secoua le cinéma underground américain, nous livre pour la dernière fois Edie Sedgwick, égérie d’Andy Warhol dans un film documentaire bigarré étrange et imparfait qui nous fait vivre la solitude et la déchéance d’une icône branchée de l’ère pop-art. Du cinéma expérimental situé entre flash-back, vidéo surveillance, électrochocs et shots d’adré.

Analyse et critique

"Miroir, oh mon miroir, si c’est moi beauty number 2, qui est number 1 ?". Si cette tirade du Beauty number 2 d’Andy Warhol rappelle immanquablement un certain conte de fée, elle renvoie pourtant à un autre destin tragique, celui de l’icône sexuelle numéro 1 : Marylin Monroe. Si elle n’était classée que numéro 2 dans le hot-parade américain, Edie Sedgwick inspira néanmoins des artistes de renommée, que ce soit Lou Reed avec son Femme Fatale ou encore Bob Dylan pour ses Just like a woman et Just a rolling stone, sans oublier son mentor, Andy Warhol, maître suprême de la Factory. Edie a connu le glamour des pages magazines et l’enfer des registres d’hôpitaux. Tout comme Marylin, Edie n’a pas résisté au faste des sixties.

Ciao ! Manhattan nous plonge dans les dernières années de la vie d’une de ces muses tragiques du panthéon américain de la sous-culture. Le projet démarre au printemps 1967. Quelques habitués de la Factory proposent de tourner un film aboveunderground underground, un film qui, au contraire des autres films de la Factory, pourrait trouver un écho public plus large. Chuck Wein et Geneviève Charbin ont retravaillé un scénario acheté 250 $ par Bob Margouleff : Stripped and strapped. L’idée est de tourner un film à petit budget destiné aux drive-in de l’Etat de Caroline. Edie ne devait pas être l’actrice principale, mais plutôt Susan Bottomly, une gamine de 17 ans qui errait, comme d’autres, dans l’atelier de Warhol. Comme son père refusa de donner son accord pour le tournage, Weisman décida de convaincre Sedgwick. A cette époque, Edie était en dispute avec un Warhol qu’elle n’allait jamais revoir.

Un tournage chaotique débute. Palmer et Weisman enchaîne les reportages sur les party new-yorkaises de la clique à Warhol. Rapidement, par manque d’argent et suite à la disparition de plusieurs membres du casting, Palmer et Weisman mettent la caméra de côté. Paul America est retrouvé en prison pour trafique de stupéfiants, et Edie échappe à l’incendie d’un hôtel auquel elle avait malencontreusement mis le feu en laissant tomber son cloppe… le duo de réalisateurs disposent de kilomètres de pellicules, mais pas un film à l’horizon.

Trois ans plus tard, Weisman et Palmer retrouvent Edie en Californie. Le tournage reprend. Les réalisateurs reprennent le matériau originel en y incorporant des images disparates, véritable puzzle composé d’images d’actualité, de vidéo surveillance et de nouvelles bobines. Le résultat est déconcertant. Beau et horrible à la fois. Ridicule et magnifique, tragique et désespéré. Wesley Hayes, autostoppeur texan rencontré par Weisman, participe à l’écriture en apportant quelques éléments de sa jeune expérience. Hayes devient accidentellement l’un des acteurs principaux du film.

Son personnage, Butch, jeune aventurier au volant d’une merco de seconde main, fait le trip hippie obligé en Californie. Il prend en stop une femme topless et hagarde, Susan (Edie Sedwick), qu’il reconduit dans sa demeure vétuste des beaux quartiers de L.A. Elle (sur)vit dans une piscine aménagée, décorée des photos de sa gloire passée, en compagnie de sa mère (magnifique Isabel Jewell) et du garçon de maison (Geoffrey Biggs). Elle offre sa plastique à l’œil de la caméra sans retenue, fidèle à l’anti-pudibonderie chère aux adeptes de la Factory. Dans cette antre étrange, elle revit ses moments de gloire, tentant par des coups de téléphone désespérés de décrocher à nouveau des contrats de mannequin avec des magazines glamour.

Si le journal new-yorkais The Village Voice n’avait pas hésité à qualifier Ciao ! Manhattan de Citizen Kane de la drug generation, on est pourtant plus proche du Sunset Boulevard de Billy Wilder. Le film de Palmer et Weisman n’ayant jamais bénéficié d’un scénario consistant, ils doivent ce parallèle audacieux au hasard. Tout comme le personnage campé par Gloria Swanson, Edie Sedgwick habite une ancienne demeure bourgeoise qui tombe en ruine, elle y passe son temps à ressasser un passé fait de strass et de paillettes, maintenant loin derrière elle.

Scènes d’archive ou séquences tournées en 1970, Edie explose à l’écran. Elle est à la fois star et poupée désarticulée victime des stupéfiants. Elle est glamour mais surtout pathétique quand, nue, elle danse en se saoûlant à la vodka. Le scénario importe peu, il n’est que prétexte à nous montrer la gloire et la déchéance de l’icône des sixties. En ce sens le film lorgne régulièrement du côté du documentaire, tout en ne constituant qu’un work in progress dépendant de la situation financière des réalisateurs et de la disponibilité du casting ! La scène finale compose le feu d’artifice de ce drame. Après avoir couché avec Susan, Butch l’emmène à la clinique psychiatrique afin que les médecins lui administrent un traitement "adapté". Electrochocs et gloire du passé se mêlent habilement à l’écran. C’est l’histoire de Sedgwick que nous offre Palmer et Weisman. Butch s’en va et finit par apprendre le décès de Susan en lisant les titres d’une gazette locale. Un fin prémonitoire, Edie Sedgwick allait s’éteindre quelques jours après la fin du tournage. L’autopsie conclura à un accident/suicide dû à une overdose de barbituriques.

Ciao ! Manhattan restera le seul film qui permit à Edie Sedgwick d’exprimer ses rêves et ses échecs, de même que le personnage qu’elle était vraiment. Le film constitue le témoignage d’une époque étrange et révolue, le documentaire le plus exhaustif sur la vie d’Edie. Longtemps oublié depuis sa première en 1972, le film suscita à nouveau l’intérêt lors de la publication de la biographie écrite par Jean Starck 10 ans plus tard. Cette édition DVD coïncide avec une sortie ciné qui ramènera peut-être une nouvelle fois Edie sur le devant d’une scène qui se délecte de ces jeunes célébrités jetables, prêtes à tout pour accéder à leurs 15 minutes de célébrité, quitte à devoir enfiler des bottes et marcher dans du purin.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Dave Garver - le 28 avril 2004