L'histoire
Mercenaire solitaire, Chuka voyage en territoire Arapaho vers son prochain contrat. Il y rencontre des Indiens affamés, terrassés par le froid et sent leur colère monter. En chemin, Chuka croise une diligence accidentée transportant deux femmes, dont son amour de jeunesse. Il aide l’équipage à réparer et à circuler sans encombre parmi les groupes de guerriers pour rejoindre le fort le plus proche. Il va découvrir une étrange garnison, constituée de rebuts de l’armée qui sentent grandir la menace Arapaho.
Analyse et critique
Chuka le redoutable est à l’origine un roman publié en 1961 et écrit par Richard Jessup, un habitué des génériques audiovisuels, essentiellement pour avoir scénarisé des épisodes de séries télévisées mais également en tant que scénariste du très bon Kid de Cincinnati. Les droits du livre sont achetés en 1964 par New Art productions, qui attache très rapidement Rod Taylor au projet, en tant qu’acteur, producteur et même co-scénariste aux côtés de l’auteur. C’est donc l’acteur australien, un nom important du box-office américain depuis le début des années 60, qui porte le film, avec pour ambition de transformer son image policée par un rôle plus dur qu’à son habitude. La réalisation du film va échoir à Gordon Douglas, vétéran hollywoodien que l’on trouve derrière la caméra depuis le début des années 30, habitué du western et qui a su se réinventer avec l’arrivée des années 60. Il le prouve dans le genre en 1964 avec l’excellent Rio Conchos, qui garde l’esprit du western classique américain tout en le modernisant. Il va récidiver avec Chuka le redoutable, après le ratage de La Diligence vers l'ouest, que nous préférons oublier.
Chuka le redoutable s’ouvre sur un décor de fort dévasté, dans lequel un officier fait le bilan du désastre avec le témoignage de son prisonnier, le chef Arapaho Hanu. Il n’y aura donc pas de suspens majeur dans ce film, nous savons dès les premières minutes que la garnison va être exterminée, avant que le récit ne débute vraiment comme un long flash-back. Le principe de Chuka le redoutable va donc être de nous révéler comment nous en sommes arrivés là. Nous pourrions nous attendre à un film de siège conventionnel, selon une logique de film d’évasion inversé, explicitant les préparatifs des uns et des autres, émaillés d’escarmouches, jusqu’à l’assaut final. Ce n’est pas le cas non plus. Une fois le personnage de Chuka entré dans le fort, le récit choisit la voie du film psychologique, proposant peu de séquences d’action, dans un huis-clos presque total. Les Arapaho, dont le discours initial, qui positionne clairement Chuka le redoutable au rang des westerns pro-indiens, a légitimé la colère par leur manque de nourriture et de vêtements chauds, disparaissent eux-mêmes presque totalement du récit, ils ne sont plus qu’une menace, dont l’assaut final sera le résultat de la folie des hommes qui l’occupent.
Le film bascule réellement dans son ton définitif lors d’une scène étonnante, rare au cinéma, qui illustre la première soirée que passent au fort Chuka et les passagers de la diligence qu’il a escortés. Invités à la table du colonel du fort, Valois, ils assistent à un grand déballage de ce dernier, qui énumère le passif de ses subordonnés : un tricheur, un lâche, et un traitre. C’est même pour ça qu’ils sont là ajoute-t-il. En effet, l’arrivée de Chuka, un corps étranger, révèle peu à peu la réalité derrière chaque personnalité du fort : cette garnison est le rebut de l’armée, tous ses membres ou presque sont des ratés, des condamnés. Nous sommes ici assez loin du corps de cavalerie que nous voyons chez Ford et qui soigne les hommes, resserre les liens. Dans Chuka le redoutable la cavalerie à détruit tous ses hommes, qui sont au mieux des lâches, comme le colonel qui préfère mourir en suivant le règlement plutôt que de prendre la décision qui sauverait ses troupes. Un seul homme se tient droit, le sergent-chef Otto Hansbach, tenue posture et comportement impeccable, le "meilleur soldat professionnel du monde" comme dit le cuisinier du fort. Mais aveuglément loyal au colonel Valois, qui lui a sauvé la vie au prix de son intégrité, il n’est pas plus utile à la communauté que les autres. Dans Chuka le redoutable, l’autorité perd les hommes, le drapeau ne sauve personne, et c’est la singularité du personnage principal, Chuka, incarnation de l’indépendance, qui a été privé de son amour de jeunesse car elle aussi s’est soumise à l’autorité familiale.
Le personnage de Chuka incarne une forme du héros fordien emblématique du western américain classique, un personnage extérieur qui intègre une communauté abimée et va tenter de la reconstruire, malgré ses velléités de départ. Il est l’homme sr le seuil du fort, qui apporte une nouvelle vision, expliquant notamment à la garnison une vision qu’elle n’a pas sur les motivations des Arapahos, qui ne sont pas des sauvages assoiffés de sang, mais des êtres humains à qui il faudrait donner des vivres et des moyens de chasser. Il est aussi l’homme qui ramène l’ordre lors de la mutinerie qui secoue le fort, réveillant un instant le courage de ses occupants. Mais il est finalement un héros impuissant, incapable de convaincre le colonel de sauver tout le monde en abandonnant aux indiens le fort avec vivres et munitions. Il ne parvient même pas à suivre son instinct d’indépendance pour s’enfuir avec celle qu'il aime. Comme l’anti-héros du nouvel Hollywood, Chuka est un personnage empêché, qui sait ce qu’il faut faire, mais ne parvient jamais à agir sur le cours des choses. Il ne sauve pas la garnison, la communauté qui symbolise le monde dans le récit, dont les liens sont définitivement brisés et qui court à sa perte. Un constat que semble souligner la très belle partition de Leith Stevens qui reprend parfois, en mineur, quelques notes de la 9e symphonie d’Antonín Dvořák, comme pour souligner la disparition du rêve que constituait le « nouveau monde »
Gordon Douglas utilise ainsi un schéma narratif classique du western américain mais lui donne une tonalité moderne, presque en avance sur son époque puis que son personnage principal, par l’inefficacité de son action, se trouve bien plus proche du héros des années 70 que de celui flamboyant d’un film des années 50. Chuka le redoutable est ainsi une galerie d’hommes abimés, qui se révèlent peu à peu dans des séquences souvent émouvantes, au cœur d’un western majoritairement débarrassé des atours folkloriques qui font souvent les caractéristiques du genre. Il n’en reste qu’une bagarre, bien plus dure et réaliste qu’à l’habitude, entre Hansbach et Chuka. Douglas y démontre son savoir dans la mise en scène de la violence jouant avec de nombreuses valeurs de plan pour créer une séquence dynamique, qui fait ressentir au spectateur l’épuisement des protagonistes et la dureté du combat. Il faut d’ailleurs souligner la très belle tenue d’ensemble du film, et la capacité de Douglas à faire oublier le tournage en studio. Si son style est discret, sa mise en scène démontre, s’il le fallait encore, qu’il appartenait à la catégorie des meilleurs artisans hollywoodiens.
Chuka le redoutable est la peinture remarquable d’une galerie de personnages tous imparfait, mais souvent attachants, comme reflet de la société américaine. En filmant avec rythme et fluidité, Douglas en fait un récit passionnant, qui ne souffre pas de son relatif manque de séquences d’action, en tout cas en regard des attentes du spectateur habitué aux westerns américains classique. Une réussite qui doit naturellement à la qualité des interprètes du film. Rod Taylor est parfaitement convainquant en Chuka, personnage ambigu, individualiste mais à l’âme généreuse comme l’illustre la première scène où il partage ses vivres avec les Arapaho. L’ambivalence de ce personnage taiseux se lit sur le visage de Taylor, qui l’interprète avec une grande subtilité. Face à lui, Ernest Borgnine donne son habituelle prestance et sa formidable expressivité à Otto Hansbach, personnage rigide qui s’avèrera formidablement touchant en évoquant ce qui le lie à Valois, le troisième personnage principal du film qui doit beaucoup de s complexité au jeu subtil de John Mills, un des plus grands acteurs anglais de son époque. Au-delà de leurs talents respectifs, cet assemblage de culture dans la distribution – un australien, un Américain d’origine italienne et un Anglais – apporte beaucoup de variété dans le jeu et donc dans les personnages dépeints dans Chuka le redoutable qui s’impose après Rio Conchos et avant Barquero comme une nouvelle grande réussite dans la filmographie westernienne tardive de Gordon Douglas.
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Chuka le redoutable
Combo Blu-Ray/DVD
sortie le 11 avril 25
éditions Sidonis