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Critique de film
Le film
Affiche du film

Ceux de chez nous

(Millions Like Us)

L'histoire

Lorsque Celia Crowson est mobilisée, elle rêve de gloire militaire, mais c'est une jeune femme célibataire et, dès lors, elle est orientée vers une usine fabriquant des pièces d'avion. Là, elle fait la connaissance d'autres jeunes filles de tous horizons, et entame une relation avec un pilote...

Analyse et critique

Millions Like Us est un grand mélodrame typique de ce qu'on associe au récit de home-fronts dramas surtout vivace durant la Deuxième Guerre mondiale et où l'on s'attarde sur le quotidien des civils en temps de guerre. Dans le cinéma américain les plus connus seraient sans doute les beaux Madame Miniver (1942) de William Wyler ou Since You Went Away (1944) de John Cromwell. Dans le cadre du cinéma anglais, cela s’intègre dans une démarche de cinéma de propagande mais les films du duo Michael Powell / Emeric Pressburger et quelques autres l'ont prouvé, cela n'empêche absolument pas de proposer des œuvres intéressantes et réussies comme Millions Like Us. L'aspect propagande se fond finalement très bien dans la progression dramatique et  dans les thèmes évoqués grâce au scénario équilibré de Sidney Gilliat et Frank Launder. Millions Like Us est le premier film des deux acolytes, qui ont surtout brillé jusque-là en tant que scénaristes pour des titres aussi remarquables qu’Une femme disparaît d’Alfred Hitchcock, sa vraie/fausse suite Train de nuit pour Munich de Carol Reed ou, pour revenir à Hitchcock, La Taverne de la Jamaïque. Ils franchissent donc le pas pour passer à la réalisation ici et fondent par la même occasion leur société de production Individual Pictures. La veine mélodramatique du film est d’ailleurs une exception puisque la renommée du duo se fera grâce à leurs grandes comédies satiriques des années 50.

Le film s'ouvre sur le grand départ de la famille Crowson pour la côte sud de l'Angleterre en ce tout début de guerre. Parmi eux, Celia (Patricia Roc), jeune fille timide et réservée qui vit dans l'ombre de ses deux sœurs aînées dont la très séduisante Phyllis (Joy Shelton). Ce que l'on constate dès une courte scène dans un dancing où elle est laissée à son sort tandis que les prétendants se disputent Phyllis. La contribution à l'effort de guerre sera l'occasion pour Celia de s'émanciper et voler de ses propres ailes. Ses rêves de gloire tournent court pour cause de célibat et elle est orientée vers une fabrique de pièces d'avions. On sent vraiment le brio de l'écriture du duo qui croque avec tendresse cette petite famille à travers le père bougon et attachant (Moore Marriott), les deux sœurs et une Patricia Roc parfaite de candeur et d'innocence comme dans ce fondu qui la voit fantasmer un destin d'infirmière de choc ou d'assistante chevronnée de pilote avant de déchanter devant une plus modeste condition d'ouvrière d'usine.

Quitter son foyer pour ces nouvelles responsabilités l’amène à mûrir en rencontrant d'autres jeunes femmes d'horizons divers, mais aussi à rencontrer l'amour lors d'une jolie romance avec un jeune pilote (Gordon Jackson). Là encore, on a un éventail varié de figures féminines parmi les ouvrières, toutes marquantes quel que soit leur temps de présence à l'écran. D'ailleurs, si l'histoire d'amour entre Celia et son pilote est charmante (l'entrevue empruntée à l'extérieur du bal, les petites disputes d'incompréhension), on est finalement plus intéressé par celle plus piquante entre l'ouvrière snob peu coopérative Jennifer (Anne Crawford) et le contremaître psychorigide incarné par Eric Portman. On évite ainsi de tomber dans la niaiserie béate avec deux visions de rapprochements possibles et complémentaires, que ce soit des de jeunes gens découvrant la vie ou des adultes aux milieux sociaux différents que le contexte amène à se lier. Le jeu amoureux entre Portman et Anne Crawford durant le bal ou les échanges vachards à l'usine procurent ainsi une agréable touche de screwball comedy, la jeune snob hautaine étant progressivement séduite par la poigne de fer de cet homme (feignant d'être) insensible à ses charmes. Gilliat et Launder, par ces petites touches et cette description du quotidien, humanisent magnifiquement leurs personnages tandis que l'arrière-plan funeste ne s'estompe jamais vraiment. La touche documentaire (les séquences en usine, les scènes de bombardements, les rondes, issues des images militaires réelles) est toujours soumise aux réactions des protagonistes, favorisant ainsi l'identification. On tremble avec les ouvrières réfugiées dans leur local durant les bombardements, la bande-son saturées d'explosions et de bruits de moteurs d'avion vient constamment rappeler à Celia le danger que cours l'homme qu'elle aime. Plus symboliquement, la dernière partie voit le couple en voyage de noces revenir à l'hôtel où s'était réfugiée la famille en début de film, et désormais seul un bâtiment s'élève au milieu des décombres qui constituaient le quartier. Sans un mot, les ravages matériels et humains du conflit sont montrés avec pudeur.

Après une douloureux rebondissement final, ce dur labeur dédié à la nation apparaît comme le seul refuge provisoire de ces femmes courageuses dans une magnifique dernière scène où elles entonnent Waiting at the Church en écho à un moment plus heureux du film où elle fut précédemment chantée. Une belle conclusion mélancolique, mais qui ragaillardit par sa notion de courage et assimile parfaitement la volonté de propagande à l'émotion réelle de l'histoire. Un film comme A Canterbury Tale de Powell/Pressburger est certainement plus complexe sur ces mêmes questions et Gilliat délivrera une œuvre bien plus aboutie sur des thèmes voisins dans l'excellent Waterloo Road (1945). Cela n'enlève rien au mérite de ce très beau film qu'est Millions Like Us.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 9 septembre 2022