
L'histoire
Au cours d’un voyage dans les Highlands d’Ecosse, deux chasseurs américains, le doux rêveur Tommy Albright (Gene Kelly) et le plus matérialiste Jeff Douglas (Van Johnson), s’égarent en forêt. Ils découvrent pourtant, sorti de la brume matinale, Brigadoon, un village qui ne se trouve sur aucune carte. Ils s’y rendent et y trouvent une foule en liesse ; ils apprennent qu’un mariage doit s’y dérouler le jour même, unissant Jean Campbell et Charlie Dalrymple. Tommy fait la connaissance de la sœur de la mariée, Fiona (Cyd Charisse), dont il s’éprend aussitôt. La curiosité de nos deux "touristes" est cependant aiguisée par l’anachronisme des coutumes et costumes des habitants. Un étrange mystère semble entourer ce village qui parait vivre hors du temps et de l’espace, un mystère qui va leur être révélé par le maître d’école après que Tommy ait inopportunément découvert la date de naissance ahurissante de sa dulcinée. Un jour de 1754, il y a deux cents ans, le Pasteur, redoutant des actions néfastes des sorcières sur le village qu’il administrait, a conclu un pacte avec Dieu : pour échapper aux sortilèges de ces harpies, le village s’endormirait pour un siècle et ne se réveillerait, miraculeusement et comme si de rien n’était, qu’une journée tous les cent ans. C’est lors de sa deuxième "résurrection" que nos deux amis sont tombés nez à nez avec Brigadoon. Une condition doit pourtant être respectée pour que le village ne retourne pas au néant définitif : aucun des habitants ne doit franchir les frontières qui ont été définies lors de ce "pacte". Et pourtant ce jour là, en pleine cérémonie du mariage, le premier soupirant de Jean, Harry Beaton, malheureux et désespéré d’avoir été préféré par un rival, menace de franchir le pont qui marque l’une des limites de Brigadoon. Une chasse s’organise alors afin que tout ce petit monde ne disparaisse pas à jamais et que Tommy puisse continuer à convoler avec la douce Fiona.
Analyse et critique


A rajouter à ce manque d’enthousiasme de départ, une genèse chaotique et un tournage qui ne s’est pas déroulé dans les conditions enchanteresses qui auraient été souhaitables, Gene Kelly et Vincente Minnelli n’ayant pas eu dès le départ les mêmes conceptions à propos de sa mise en oeuvre. Vingt ans après, une grande amertume

Gene Kelly se rendit donc avec le célèbre producteur du département "Musical" de la MGM, Arthur Freed, en Ecosse où ils dénichèrent près d’Inverness les paysages qui leur fallaient. La météo déplorable les contraignit à rentrer en Californie où ils tombèrent amoureux d’un coin près de Carmel qui pouvait faire penser aux Highlands. Au grand mécontentement de l’acteur-danseur-chorégraphe, les pontes de la MGM décidèrent de tourner le film entièrement à Culver City, à l’intérieur du studio. « Puisque le film ne pouvait se tourner en extérieurs, dira Minnelli, le studio réalisa un énorme cyclorama et fit construire les collines autour du village de Brigadoon. Preston Ames créa un immense

Tout ces soucis eurent-ils un impact sur le résultat final ? Beaucoup le pensent et lui reprochent un manque de rythme, des séquences très statiques et des numéros musicaux assez figés. Tout ceci n’est pas faux mais participe majestueusement de l’ensemble. Il est vrai que, s’il l’avait voulu, Minnelli aurait pu faire de cette histoire un monument de "flamboiement baroque et lyrique" à la King Vidor du genre Duel au soleil. On sait très bien qu’il en était capable puisqu’il nous l’avait prouvé avec Les Ensorcelés et récidivera avec Celui par qui le scandale arrive. Mais non ! Dans la filmographie de Minnelli, Brigadoon se situe au milieu des oeuvres à la mise en scène plus discrète, moins voyante (et pas moins réussie pour autant) ; il côtoie ainsi d’autres monuments "pastels" de sensibilité comme L’Horloge ou Thé et sympathie. Et ce rythme lent épouse le rythme de la vie de ce village hors du temps où le modernisme et sa suractivité n’ont pas encore fait leur apparition. Beaucoup de séquences techniquement "sages", par contraste, rendent d’autant plus fortes les envolées lyriques qui parsèment le film avec parcimonie : celles conjuguées de la caméra et de la musique au milieu de la chanson The Heather on the Hill (la danse dans la bruyère) ou la fabuleuse scène de chasse à l’homme, The Chase, d’une fluidité et d’une virtuosité qui laissent pantois !

Le fait que Brigadoon ait entièrement été tourné en studio au milieu de toiles peintes et de décors en cartons-pâtes n’a pas nui au film, renforçant bien au contraire cette ambiance totalement irréaliste et onirique de conte de fée. Car c’en est bien un ! Lerner n’a jamais caché sa grande admiration pour James Barrie, l’auteur de Peter Pan et se sentait remarquablement à l’aise dans ces récits merveilleux (il écrira encore pour Minnelli son avant-dernier film, On a Clair Day You Can See Forever (Melinda) toujours sur un argument fantastique). Dès les premières images, le village fantôme sort de la brume et de l’ombre, les premiers rayons du soleil

Peu facile d’accès, cette partition s’apprivoise et s’apprécie de plus en plus au fil des visions et s’avère même être l’un des travaux les plus remarquables du compositeur. Il disait s’être plus inspiré du maître du romantisme, Johannes Brahms, aux ascendances écossaises, que de la musique typiquement traditionnelle écossaise. Puis-je dire sans subir les moqueries que, par exemple, les premières mesures de la chanson The Heather on the Hill n’ont pas à rougir des plus beaux Lieder du compositeur allemand ? La manière dont Gene Kelly entame avec retenue et timidité ces premières paroles est une des choses les plus sublimes entendues dans une comédie



Cette virtuose parenthèse citadine terminée, le cinéaste nous fait revenir dans cette Ecosse de studio où un nouveau miracle va avoir lieu « Car quand on aime vraiment, tout est possible ! ». Après que Tommy ait découvert que l'on se rend compte de la valeur des choses une fois qu’on les a perdues, la brume se déchire à nouveau et fait place au « Triomphe de la pensée romantique » selon Dominique Rabourdin (in Minnelli, de Broadway à Hollywood - Hatier). Le spectateur quitte le film le cœur léger. Ceux qui ne supportent pas les Happy End peuvent prendre rendez-vous ailleurs ! Peut être moins achevée techniquement et plastiquement, moins moderne et ambitieuse que d’autres oeuvres de Minnelli, Brigadoon n’en demeure pas moins un film superbe, attachant et éminemment personnel. Gene Kelly, moins exubérant qu’à l’habitude, Van Johnson absolument parfait dans un rôle un peu ingrat, Cyd Charisse légère et somptueusement belle sont là pour nous faire participer à ce petit miracle cinématographique. Il ne vous reste plus qu’à faire de beaux rêves !