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Critique de film
Le film
Affiche du film

Beaumarchais l'insolent

L'histoire

Agité et agitateur, Beaumarchais, aventurier et dramaturge, se crée un certain nombre d’inimitiés farouches qui souvent signifient procès et duels. Mais il a aussi des amis fidèles qui l’aident à se tirer de situations délicates et qui, à la faveur de pieux mensonges, parviennent à le convaincre d’écrire sa pièce Le Mariage de Figaro. Celle-ci risque de lui attirer autant d’ennuis que certains trafics peu avouables auxquels il lui arrive de se livrer, mais elle peut aussi lui apporter la gloire...

Analyse et critique


Sorti en 1996, Beaumarchais, l’insolent fut le dernier long métrage réalisé par Edouard Molinaro. Un mot sur ce cinéaste populaire, mais (ou faut-il dire donc ?) vu d’assez loin par la critique, s’impose peut-être ici. Dans un livre de souvenirs, Michael Lonsdale raconte que, arrivant au studio pour tourner une scène d’Hibernatus, il aperçoit le voyant rouge devant la porte du plateau. Il se rend donc au bar pour patienter, mais au bar, une surprise l’attend. Édouard Molinaro est là, en train de boire un café. Édouard Molinaro, le metteur en scène du film ! « Qu’est-ce que tu fais là ? - C’est de Funès. Il ne veut pas de ma présence sur le plateau. » Outre ce qu’elle révèle sur l’exquise courtoisie du grand acteur comique français, cette anecdote suffirait à elle seule à prouver que Molinaro aurait eu bien du mal à revendiquer le titre d’auteur. Lui-même était d’ailleurs très modérément attaché à certains de ses travaux. Il expliquait par exemple qu’il n’y avait que les Américains pour croire que La Cage aux folles était un bon film. Cependant, on se trompe lourdement si l’on ne voit dans cette déclaration qu’une manifestation d’auto-dénigrement. Sans doute Molinaro a-t-il pu être à plusieurs reprises, étant donné l’étendue de sa filmographie, un simple prestataire de services, mais il n’aimait guère qu’on voie en lui un réalisateur léger et désinvolte. Il était, assurait-il, tout le contraire : quelqu’un qui travaillait beaucoup, et qui faisait du mieux qu’il pouvait. Et si, c’est vrai, il avait tourné une Cage aux folles II, il avait préféré laisser à Georges Lautner le soin de tourner le troisième épisode.



En outre, sous la diversité des genres qu’il avait abordés se cachaient certaines lignes de force. Il associait par exemple le Dracula de son Dracula père et fils (avec Christopher Lee dans le rôle du père et Bernard Menez dans celui du fils) à Stefan Zweig, dont il avait adapté le roman L’Ivresse de la métamorphose : tous deux étaient les témoins de la fin d’un monde, sinon de la fin du monde. Même thème dans Le Souper, situé juste après la défaite de Napoléon à Waterloo ; même thème dans Hibernatus (on a compris qu’il ne fut pas l’auteur à part entière de cette chose, d’ailleurs bien pesante, mais le sujet n’en était pas moins le réveil, après plusieurs décennies d’hibernation dans les glaces, d’un homme au sein d’un univers qui ne s’était pas privé de changer en son absence - ses descendants étaient même plus vieux que lui !) ; même « retard à l’allumage » dans, comme l’indique son titre, Pour cent briques t’as plus rien. On pourrait aussi citer Nana (d’après Zola), Arsène Lupin contre Arsène Lupin (sur la rivalité de deux fils du grand Arsène après la mort de celui-ci) ou bien d’autres titres encore, mais la variation la plus ambitieuse de Molinaro sur ce thème de la « fin de partie » a incontestablement été ce Beaumarchais, l’insolent qu’il convient peut-être de considérer comme son testament. Ce biopic, qui ne couvre qu’une période très limitée de la vie de l’auteur du Mariage de Figaro, entend néanmoins rendre compte - exactement comme le Ridicule de Patrice Leconte sorti la même année - de la décomposition de l’Ancien Régime. Quand Beaumarchais pense se sortir d’une situation difficile en clamant qu’il est sous la protection du roi Louis XV, on lui répond - et on lui apprend - que celui-ci vient de mourir et, lorsque le film se termine, une voix off vient expliquer aux spectateurs qui se seraient endormis en cours de route que la Révolution française est déjà en marche, autrement dit que Louis XVI n’en a plus pour très longtemps à vivre.



Mais une fois posé le principe de cette décomposition, il faut la montrer. Et là, Beaumarchais, l’insolent n’évite pas l’absurdité inhérente aux films « d’époque » à gros budget : il ne manque pas un bouton à un seul costume, tous les vêtements, même celui du plus modeste palefrenier, sortent de chez le teinturier et tous les personnages sont propres comme des sous neufs à n’importe quel moment du jour et de la nuit. A priori, à part cette montre que Beaumarchais fait à un moment donné tomber volontairement et qui explose littéralement lorsqu’elle s’écrase sur le sol, rien dans cet univers n’indique qu’il est en train de s’écrouler. C’est pourquoi Molinaro et son scénariste, Jean-Claude Brisville, ont choisi de traduire le processus de désagrégation dans le rythme même de leur récit. Pour cela, ils avaient un allié tout trouvé en la personne même de Beaumarchais. Si nous retenons aujourd’hui en lui le dramaturge, c’était aussi (cf. le générique aimablement fourni par Wikipédia) un horloger, un aventurier, un trafiquant d'armes, un libertin, un philosophe. Cette vertigineuse polyvalence - on pourrait ajouter à cette liste espion et créateur du principe des droits d’auteur - est donc l’occasion de proposer toute une série de séquences très brèves, certaines ne dépassant pas trente secondes, chacune enluminée par l’apparition d’une gloire ou demi-gloire du cinéma français des années quatre-vingt-dix : Fabrice Luchini is Beaumarchais ; Sandrine Kiberlain, sa compagne ; Michel Serrault, Louis XV ; Michel Piccoli, le prince de Conti ; Jacques Weber, le duc de Chaulnes ; Jean Yanne, le procureur hostile à Beaumarchais : Brialy, l’abbé ; José Garcia, le comédien qui joue Figaro ; Dominique Besnehard, Louis XVI ; Pierre Arditi, la voix off. Cessons là cette énumération qui pourrait durer encore longtemps. Ce défilé de célébrités a sans doute largement contribué au triomphe du film lors de sa sortie il y a vingt-cinq ans, mais il devient assez rapidement une espèce de jeu des portraits qui donne le tournis et fait perdre le fil, au demeurant bien ténu, de l’intrigue (Beaumarchais est victime d’une bienveillante conspiration qui va le contraindre à écrire la sequel de son blockbuster, Le Barbier de Séville). Une scène comme celle du procès est d’une telle confusion qu’elle est parfaitement incompréhensible pour qui n’a pas préalablement potassé la vie et l’œuvre de Pierre Augustin Caron de Beaumarchais.


On pourra dire à la décharge du film que ce rythme saccadé et cette constellation de personnages ne sont pas sans rappeler certains traits des pièces mêmes de Beaumarchais, mais se pose alors la question rituelle et insoluble : l’art qui entend rendre compte d’une situation confuse doit-il être lui-même confus ? Le vrai mérite ne consisterait-il pas plutôt à traduire clairement la confusion ? La déclaration qui sert de conclusion au film est d’ailleurs si lacunaire qu’elle frise le contresens. La pièce Le Mariage de Figaro est définie comme l’allumette qui mit le feu aux poudres de la Révolution française. Ce n’est sans doute pas faux, mais le caractère péremptoire de cette assertion incite à voir dans Figaro un révolutionnaire. Or toutes les études universitaires sérieuses vous diront qu’il s’agit là d’une illusion d’optique. Si la pièce Le Mariage de Figaro a pu contribuer à échauffer les esprits, son héros Figaro, qui peste contre le système dont il est victime, ne trouverait probablement rien à redire s’il avait sa place en haut de la pyramide. C’est d’ailleurs « l’idéal » que le bourgeois Pierre Caron avait pu atteindre en se parant d’un titre de noblesse obtenu grâce à la fortune de la riche et vieille veuve qu’il avait épousée. Beau marché, en effet.

P.S. - Profitons de l’occasion pour signaler que le nom Figaro est une légère déformation du nom cigare. Le « cigare » était au XVIIIe siècle un rouleau que les coiffeurs espagnols utilisaient pour réaliser certaines coiffures (n’oublions pas que Figaro est d’abord barbier).

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La fiche IMDb du film

Par Frédéric Albert Lévy - le 10 novembre 2020