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Critique de film
Le film

Baby Cart 6 : Le Paradis blanc de l'enfer

(Kozure ôkami: Jigoku e ikuzo! Daigorô)

L'histoire

Yagyu Retsudo joue son va tout et envoi aux trousses d’Itto son dernier enfant qu’Itto n’ait pas défait, la redoutable Kaori. Mais l’experte en couteau fait long feu devant l’invincible loup solitaire. Retsudo, à bout, va alors aller chercher au fond de la forêt son fils bâtard, le maléfique Hyoei, qu’il a abandonné à l’âge de 5 ans. Ce dernier refuse de tuer Itto pour le compte des Yagyu, mais veut accomplir cette tâche afin que son clan d’adoption, les Tsujiguma, prennent la place des Yagyu dans la hiérarchie shogunal. Adepte de magie noir, il lance aux trousses d’Itto trois terribles guerriers qu’il ramène du territoire des morts…

Analyse et critique

Cet ultime épisode prend la forme d’une rupture. Misumi après avoir réalisé le précédent épisode, ne mettra en scène qu’un dernier film avant de s’éteindre. Kazuo Koike, apparemment déçu du fait que les films ne se concentrent pas assez sur les relations entre Itto et son fils, n’en écrit pas le scénario (il reprendra son personnage entre 1983 et 1993, avec sept nouveaux films, espérant traiter de ce thème). Enfin, la musique n’est plus signée Hideaki Sakurai. Malgré ces absences de poids, le film demeure dans la droite lignée de la saga, le scénariste Tsutomu Nakamura (qui signera par ailleurs le dernier Zatoichi de l’ère Katsu) avait déjà travaillé sur le précédent opus, Chishi Makiura dirige toujours la photographie et Toshio Taniguchi est une fois de plus au montage. Makiura, Taniguchi et Akira Naito (directeur artistique sur les deux premiers épisodes et qui tient ici le poste de production designer) formaient la "Misumi-gumi", la bande à Misumi, un groupe de technicien fidèles au réalisateur, véritable prolongement de sa pensée créatrice. Leur présence assure ainsi à cet épisode de la saga sa cohésion avec le reste de l’œuvre.

Ce sixième épisode est une apothéose dramatique et délirante aux aventures d’Itto et de son fils. Le récit se recentre sur le face à face entre le loup solitaire et Yagyu Retsudo. Il n’y a pas d’histoire secondaire, juste ce dantesque face à face tant attendu.

Le réalisateur Yoshiyuki Kuroda s’est illustré à la Daiei en tant que directeur du département des effets spéciaux, domaine dont il devint une figure de proue au Japon. Suite à cette expérience il réalise de nombreux films fantastiques, son plus célèbre demeurant Ghosts of Parade. Est-ce l’influence du réalisateur ? toujours est-il qu’un surnaturel baroque envahit Le paradis blanc de l’enfer, film qui se gorge d’imageries fantastiques inédites dans la saga. C’était peut-être le dernier genre populaire, avec les séries d’espionnage, avec lequel Baby Cart n’avait pas encore flirté. Et le final est justement une grande reproduction d’une des plus célèbre séquence de James Bond, une monstrueuse course poursuite dans la neige, où les combattants chaussent des skis, multiplient les mitraillage et les explosions, dans la plus pure lignée du héros de Ian Fleming qui triomphe alors sur les écrans. La musique est plus pop que jamais, semblant directement sortir des films de blaxploitation avec ses accents soul et funky. Cette partition étonnante épouse une mise en scène qui se concentre plus sur le rythme et l’énergie que sur une vision esthétique du parcours d’Itto. Si Kuroda n’atteint que par intermittence la beauté des précédents opus, il offre à la saga une conclusion en forme d’apothéose ludique. Finies donc les recherches visuelles, les expérimentations, la narration éclatée, et place au plaisir immédiat et à la jouissance d’un spectacle qui doit tout à la culture populaire. La saga Baby Cart arrive au bout de son parcours et la transition entre le chambara classique et le chambara-manga est consommé.

Si le film se concentre sur la confrontation finale entre Retsudo et Itto, le récit ne fait pas fi du background passionnant qui faisait la saveur de la saga. La déliquescence de la société d’Edo est évoquée par l’autodestruction du clan Yagyu, son plus important représentant dans la série du loup solitaire. Retsudo se sent acculé, le Shogun étant prêt, après tous les vains efforts des Yagyu pour faire taire Ogami Itto, à réhabiliter le Kaishakunin déchu. Retsudo, lâche et trompeur, ne suit plus aucun précepte du bushido. Celui-ci précipite la perte de son clan dans son obsession à voir Itto périr. Au cours des épisodes il envoie un à un ses fils dans la mort en les envoyant combattre Itto, jusqu’à perdre ses derniers sursauts d’honneur en demandant l’aide d’un enfant bâtard lorsqu’il ne lui reste plus un enfant vivant. Au-delà sa descendance, il mène à la mort les guerriers de son clan, souvent pour des raisons qui dépassent l’entendement. Ainsi dans un scène clef, il entraîne sa fille Kaori en lui faisant combattre ses meilleurs éléments. Retsudo détruit lui-même son clan, sa lignée, tel un cancer. Le ver est dans le fruit, et si les Yagyu succombent à la soif de pouvoir qui entraîne leur maître dans la folie, il en est de même de la société des Tokugawa.

Quand à Itto, il sait qu’il atteint enfin le bout du chemin. Il se rend sur la tombe d’Azami, sa défunte épouse, et lui annonce qu’il se rend à Edo pour tuer Retsudo, brisant par là le pacte qui le protège sensément du Shogun. C’est le chemin final qu’emprunte Itto. Il entrevoit le blanc du paradis tant attendu, le paradis blanc de l’enfer. Plus rien ne peut stopper Itto, pas même les cadavres d’innocents qui s’accumulent alors qu’il avance vers son accomplissement. Hyoei envoi à la poursuite du loup solitaire les terrifiants Tsujigumo, sortes de goules sorties de l’enfer, créatures rampantes qui creusent la terre tels des vers infernaux. Leur technique des cinq roues consiste à être insensibles aux remords, à tuer tous ceux qui viennent en aide ou simplement servent Itto. Ils entendent ainsi le briser dans son élan, le faire douter. Une femme sourit Daigoro, un marchand lui vend un bonbon, ils signent leur mise à mort. Des aubergistes ouvrent leur porte, ils seront massacrés et pendus. Mais plus rien ne peut arrêter Itto. Les Tsujigumo trouvent leur force dans le bannissement de toute émotion, mais il y a bien longtemps que Le Lone Wolf a pris ce chemin. A la fin, Itto à deux doigts d’assouvir sa vengeance, en oublie même son fils qui part en roue libre sur un landau transformé en luge, sans même se soucier de le perdre. Itto a tout oublié, aveuglé par ce but qu’il touche de la pointe de son sabre. "Le meurtrier je le chercherai au bout du monde, je retournerai la terre entière, je la vengerai, quel qu’en soit le prix" annonçait Itto dans le premier épisode. Ces montagnes qui accueillent l’aboutissement de sa quête sont bien ce bout du monde qu’il se devait d’atteindre.

Le film s’ouvre sur Itto et son fils parcourants de grandes étendues neigeuses, ce même paysage où va se produire le carnage final. Des formes neigeuses qui prennent l’apparence de démons et effrayent Daigoro, l’enfer est proche. C’est le chemin blanc entr’aperçu au début de leur quête. Le film est ensuite un long retour en arrière qui nous ramènera à ce décor de fin du monde, comme ci tout devait irrémédiablement conduire à ce climax. Cette construction en boucle marque l’inéluctabilité de la voie qu’a empruntée Itto.

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 1 novembre 2005