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Critique de film
Le film
Affiche du film

Amour et mort dans le jardin des dieux

(Amore e morte nel giardino degli dei)

L'histoire

Dans le cadre de son travail, Martin, un ornithologue allemand, se rend à Spoleto, près de Pérouse. Il s’installe dans une villa isolée au milieu d’un parc immense. Cette dernière est vraisemblablement abandonnée depuis quelques années. Lors d’une promenade, celui-ci découvre des bandes magnétiques abandonnées dans des fourrés. Après les avoir nettoyées, il va écouter ces bandes et découvrir la vie d’Azzurra, jeune femme perturbée, à travers ses confidences faites à son psychiatre. Cette découverte va bouleverser son quotidien de chercheur...

Analyse et critique


Premier long métrage de Sauro Scavolini, Amour et mort dans le jardin des dieux est un film envoûtant, dont le ton est donné dès les premières minutes. Le spectateur suit le point de vue d’une charmante blonde, Viola (Orchidea De Santis), qui découvre un magnifique jardin anglais puis une villa dans un contrechamp où elle passe la grille d’un portail, plan d’immersion du spectateur qui n’est pas sans rappeler l’introduction de films de série A comme Rebecca (1940) ou Citizen Kane (1941). Elle continue la visite de l’immense maison,  tout comme le spectateur. Sa déambulation aboutit à la découverte d’Azzurra (Erika Blanc) en un plan très rapide : la jeune femme s’est apparemment suicidée. Le générique démarre seulement après cette découverte, sur la musique de Giancarlo Chiaramello et un fondu au blanc. Qu’a vu le spectateur durant ce plan très court ? Est-ce bien un suicide ?

La réussite de cette oeuvre, sorte d’énigme labyrinthique, passe par de nombreux éléments. Le réalisateur joue avec le spectateur des codes du genre auquel est censé appartenir le film, le giallo, qu'il est impossible de ne pas lier aux femmes (une origine liée aux dive du cinéma italien des années 1910 ?). En effet, le giallo, comme le répète souvent Jean-François Rauger (1), c’est avant tout une femme qui a peur. Elle a peur du désir et désire ce qui l’effraie. Le personnage principal du film est Azzurra, jeune femme à la chevelure rousse flamboyante mise en avant par la superbe photographie de Romano Scavalini, frère du réalisateur. Elle est au coeur de l’intrigue construite en flash-back. Martin, un ornithologue, écoute des bandes magnétiques découvertes dans le parc entourant la villa qu’il a louée. Ces bandes sont les confidences d’Azzurra faites à son psychiatre et vont révéler la vie très tourmentée de la jeune femme, notamment perturbée par la relation quasi incestueuse qu’elle entretient avec son frère, Manfredi.


C’est par le personnage joué par Erika Blanc que le réalisateur peut jouer sur les différents genres proposés par le film. L’auteur lorgne vers Luis Buñuel quand Azzurra raconte ses rêves au début du deuxième tiers. D’abord une scène de baiser filmée en contre-plongée et éclairée avec une lumière légèrement orangée, puis une scène en extérieur où l’on entend les pleurs d’un bébé et dans laquelle elle se voit morte et transformée en viande dévorée par des chiens. La troisième séquence est un repas dans une prairie avec les protagonistes de l’histoire grimés en hippies. Sauro Scavolini ajoute également une pointe d’érotisme dans cette histoire. Ce sont trois séquences en tout, dont deux où Azzurra est directement concernée. Est sous-entendue une scène saphique comme écho des désirs refoulés de l’héroïne, dont l’inconscient va être révélé au fur et à mesure du récit.

Un jeu constant a lieu également dans la mise en scène. Véritable métaphore sur le cinéma et hommage à Blow-Up de Michelangelo Antonioni (1966), le film est donc une histoire construite en flash-back rendue possible par la découverte et l’écoute des bandes magnétiques par le vieil ornithologue qui va découvrir une véritable tragédie. L’ornithologue est aussi surpris que le spectateur de découvrir des bandes magnétiques cachées, un élément essentiel de l’avancée de la narration. Le scientifique va essayer de reconstituer le puzzle constitué par le trésor découvert par hasard. La voix-off, omniprésente, permet de passer du présent au passé, voire à une scène encore plus antérieure (on peut penser à la discussion entre Timothy, le mari d’Azzurra, et le psychiatre qui est un ami du couple pour comprendre le désarroi de Timothy vis-à-vis de sa femme). La scène se déroule en extérieur mais les couleurs sont plus ternes que dans les scènes précédentes. Présent et passé cohabitent également à travers un plan où sont montrés Martin assis sur un canapé écoutant les confidences et en contrechamp Azzurra qui répond aux questions du psychiatre placé au même endroit que Martin.


Tous ces flash-back sont directement liés au titre du film car ils proposent certaines séquences dans lesquelles les personnages sont heureux, avec des couleurs chaudes et éclatantes (Eros), alors que certaines scènes demeurent plus sombres et moins éclairées (Thanatos). Deux scènes se passant dans la cave de la villa illustrent cette dualité. La première est celle où Azzurra fait semblant d’être pendue devant Manfredi et découvre une épée quelques secondes plus tard. La composition du plan semble s’inspirer du tableau Le Verrou de Fragonard (1777) - une lumière magnifique éclaire seulement les deux protagonistes. Elle tient l’épée et se trouve dans une situation de domination avec celui qu’elle considère comme un frère. Tout ceci est renversé dans une scène qui se passe au même endroit : Manfredi tue Azzurra avec cette même épée parce qu’elle lui a menti : elle lui a avoué ne pas être sa soeur.

A l’image de cette scène, le point de vue d’Azzurra, qui était celui de l’ornithologue et du spectateur, est remis en question lors de la dernière partie du film lorsque Manfredi revient sur les faits présentés depuis le début de l’intrigue. Un lien évident est à faire avec Le Venin de la peurLucio Fulci malmène le spectateur - pour notre plus grand plaisir - à travers un personnage féminin dont les fantasmes sont au coeur de l’histoire. Le spectateur est (à moitié) surpris par le final et surtout désorienté. L’architecture de la maison et le jardin ont un rôle essentiel dans le récit. Le découpage des scènes à l’intérieur de la villa et dans le jardin ne permettent pas au spectateur (ni aux personnages, on le verra un peu plus loin) de se repérer facilement et le réalisateur utilise ce moyen pour garder une certaine tension accentuée par un travail exceptionnel sur le son où les bruits du magnétophone, des gestes quotidiens mais également les sons présents dans le parc permettent au spectateur de rester plongé dans cette tragédie.


Le titre prend tout son sens dans les dernières minutes du film. Eros et Thanatos sont présents dans cette nature luxuriante où se trame une histoire sordide : Manfredi qui a tué Azzurra, son mari, Timothy, et Viola, sa petite amie, voit sa jambe prise dans un piège à loup posé par le concierge jamais trop prudent mais qui a subi lui aussi la violence de Manfredi. Une fin tragique pour celui qui a été dupé par Azzurra. Il voulait tuer également Martin qui, décidément, en savait trop. La fin est plutôt subtile, l’ornithologue laisse son pistolet à Manfredi qui préfère mettre fin à ses jours face à la situation intenable. Son suicide fait écho à celui d’Azzurra qu’il a mis en scène au début du film. La boucle se ferme. Oeuvre généreuse pour le spectateur et très ambitieuse sur le plan artistique, Amour et mort dans le jardin des dieux est sorti comme une série B en 1972 dans un total anonymat, caractéristique de nombre de productions de cette époque, mais elle est une véritable pépite à redécouvrir dans le très beau coffret collector proposé par l’éditeur Le Chat qui fume, dont le travail n’a visiblement pas fini de ravir les amoureux de films de genre.

A Etienne Werhlin.

(1) Jean-François Rauger l’évoque déjà dans un bonus du coffret collector du Venin de la peur édité chez Le Chat qui fume en 2015

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Kévin Béclié - le 21 octobre 2019