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Critique de film
Le film
Affiche du film

À nous la liberté !

L'histoire

Deux amis détenus, Émile et Louis, tentent de s'évader. Louis réussit grâce à Émile qui fait diversion. Dehors, Louis se lance dans le commerce de disques puis de phonographes. Il devient petit patron puis, son commerce prospérant, se retrouve à la tête d'usines de plus en plus gigantesques. Émile libéré de prison demeure vagabond, se prélasse au soleil. Un jour il aperçoit la nièce du comptable de l'usine de Louis et tombe amoureux de la jeune fille. Il la suit jusque dans l'usine et, presque malgré lui, est embauché. Les deux anciens amis se retrouvent...

Analyse et critique

Troisième film parlant de René Clair, À nous la liberté anticipe tout à la fois les idéaux libertaires d'un Boudu sauvé des eaux (Jean Renoir, 1932) que le cinéma du Front Populaire mais aussi la dénonciation du capitalisme de Les Temps Modernes (1936) de Charles Chaplin. Cependant le film de René Clair s'affranchit de tout message social trop appuyé (Boudu), d'un contexte réaliste (les œuvres contemporaines du Front populaire marquées par leur époque) et de la fable de gauche assumée (Les Temps Modernes) pour adopter une tonalité légère et sautillante. La liberté représente dans le film une existence au grand air, sans préoccupation du lendemain si ce n'est conserver cette fantaisie face à l'existence. L'emprisonnement et le monde du travail représentent à l'inverse une oppression commune à laquelle vont se confronter les deux héros Émile (Henri Marchand) et Louis (Raymond Cordy). C'est leur caractère facétieux qui définit leur solide amitié, leur permet de survivre puis de s'évader de la prison où ils sont détenus. Louis se sacrifiera pour permettre la fuite d'Émile qui va parvenir à une spectaculaire réussite matérielle mais du même coup se construire une nouvelle geôle.

René Clair poursuit les expérimentations de Le Million (1931), l'usage du son n'étant qu'un outil narratif parmi d'autres et certainement pas par la facilité du dialogue et du théâtre filmé. Le réalisateur use des mêmes angles de prise vue pour filmer les prisonniers travailleurs puis les ouvriers en usine, l'oppression et l'effacement de l'individu au service de sa tâche s'illustre avec la prison sinistre se confondant avec la salle des machines glaciales - le même acteur jouant d'ailleurs le contremaître et le surveillant de prison. C'est par l'insouciance que l'on peut se remettre à exister face à cette déshumanisation, les clins d'œil et les diversions d'Émile et Louis préparant leur évasion puis un Louis étourdi et amoureux de Jeanne (Rolla France) déréglant l'organisation métronomique de ces lieux. René Clair passe essentiellement par l'image à travers une narration parfaite où la caractérisation se fait limpide, notamment l'enrichissement, l'embourgeoisement et la froideur progressive d'Émile dont la réussite se devine autant dans l'attitude que par ses magasins puis usines de plus en plus gigantesque (et à l'architecture totalitaire) en arrière-plan puis envahissant totalement l'écran.

La mine ahurie et la naïveté de Louis vont pourtant dérider son ancien camarade avec là encore une remarquable séquence où René Clair fait confiance au spectateur, les mots traduisant le fossé social qui les sépare alors que le geste ranime magnifique leur complicité passée. S'il cède ponctuellement au dialogue durant le film, le réalisateur conserve donc une approche dans la veine du cinéma muet avec son jeu sur le burlesque (les nombreuses course-poursuites qui parcourent le film) où le son est moteur de l'atmosphère pour le drame (les chansons et musiques d'opérettes soulignant l'harassante existence en prison/usine) ou l'humour avec les gags enrichis d'effets sonores délirants (mais sans pousser la folie aussi loin que dans Le Million). La dureté et l'hypocrisie d'un quotidien voué aux attaches matérielles et/ou sentimentale révèlera sa vacuité pour les deux héros avec les amours déçus de Louis et l'entourage néfaste d'Émile. Finalement ces deux-là ne sont jamais aussi heureux que réunis au grand air, sans responsabilité si ce n'est celle de s'amuser. Le film se conclut donc en pied de nez à toutes les formes d'autorités (du patronat, de la rentabilité, de la police) pour une belle et enivrante utopie. Un petit bijou.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 15 novembre 2023