Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

A coups de crosse

(Fanny Pelopaja)

L'histoire

L'inspecteur André Gattino noue une relation passionnée avec Fanny, une délinquante qu'il a récemment arrêtée à Barcelone. Il espère ainsi pouvoir approcher Manuel, l'amant de la jeune femme, et obtenir quelques informations concernant ses activités douteuses, notamment son stock important d'armes à feu. Après avoir finalement décidé d'abattre l'homme, Fanny retrouve André quelques années plus tard avec la ferme intention de venger la mort de Manuel...

Analyse et critique


Á coups de crosse s’inscrit dans la filmographie des années 80 de Vicente Aranda, période où il se spécialisera dans l’adaptation de grands romans contemporains. Il enchaînera ainsi La Muchacha de las bragas de oro (1980) et Si te dicen que cai (1989) d'après Juan Marsé, le polar politique Asesinato en el Comité central (1982) d’après Manuel Vázquez Montalbán ou encore Tiempo de silencio adapté de Luis Martín Santos. Avec Á coups de crosse, il s’attaque ainsi au roman Protesis - publié en français sous le titre Prothèse dans la collection Série Noire - d'Andreu Martín publié en 1979, l’auteur étant à cette période l'un des maîtres de la littérature policière espagnole moderne. L’histoire s’inscrit pleinement dans les thèmes de prédilection d'Aranda. La romance torturée, coupable et destructrice sera au cœur de son chef-d’œuvre à venir, Amants (1991), et les personnages ambivalents et en quête d’eux-mêmes, notamment dans le magnifique Cambio de sexo (1977). On retrouve tout cela ici, avec en plus la volonté pour Aranda de pleinement répondre aux codes du film policier.


Tout le film est une sorte de squelette de série noire au service d’un récit passionnel et aride. Le postulat façon Max et les ferrailleurs voit le policier Gattino (Bruno Crémer) se servir de la délinquante Fanny (Fanny Cottençon) pour piéger un malfrat emprisonné et découvrir le lieu où il a caché un stock d’armes qu’il a dérobé. Les évènements prennent un tour plus brutal et sexuel lorsque Gattino profite de la situation pour abuser plusieurs fois de Fanny et exercer sur elle ses fantasmes sadomasochistes. Tout l’argument policier et les rebondissements attendus sont grippés par cette liaison, Gattino sabordant son objectif et même son statut, comme troublé par Fanny qu’il désire et exècre dans le même élan. Cette dernière se montre tout aussi ambiguë, objectivement victime et sous le joug de Gattino, tout en se montrant trop immédiatement soumise, notamment leur de la première scène de sexe. Aranda se montre mystérieux et ne donne aucune piste psychologique, aucun élément narratif dans la caractérisation de son « couple » pour expliquer leur relation aliénante. Les amorces de scènes de sexe jouent également de l’ellipse, empêchant aussi de situer à une échelle charnelle l’attirance/répulsion des protagonistes. Le titre français Á coups de crosse s’avère finalement assez juste, puisque c’est bien cette dualité entre violence et sexe qui unit et sépare le couple comme dans une boucle inexorable. La trame policière est le prétexte de ce déchaînement, où paradoxalement pour Aranda la passion naît davantage dans cette brutalité et ses conséquences. La scène où Gattino agresse férocement Fanny est saisissante graphiquement, tout en jouant du hors-champ. La narration en flash-back rend à rebours cet instant plus douloureux, en nous ayant montré en ouverture le dentier de Fanny dont l’utilité nous apparaîtra plus tard lors de cette furie de Gattino.



En dehors de cette alchimie et du magnétisme des deux personnages principaux, le reste a un peu de mal à exister. C’est en partie voulu par Aranda qui rend le quotidien de Fanny et Gattino creux, ennuyeux et insupportable lorsque leurs routes sont séparées. Gattino vocifère et malmène sa famille dans un foyer qui lui est suffocant, Fanny s’avère incapable de nouer le moindre lien en dehors de son obsession incertaine pour Gattino. C’est très intéressant thématiquement mais malheureusement servi par des dialogues parfois gratuitement vulgaires et misogynes - et une manière artificielle de renforcer le côté hard boiled - sans être totalement justifié. On peut mettre en partie cet élément sur le compte de la VF assez discutable et seule disponible sur le Blu-ray alors que ce sont Bruno Crémer et Fanny Cottençon qui jouent en français quand tout le casting espagnol est doublé. Ce serait donc un écueil à vérifier sur la version espagnole du film, si elle est un jour disponible. Les éléments mettant en place le casse du fourgon blindé sont donc assez laborieux même si l’attaque en elle-même est plutôt inventive. De toute manière, tant que Fanny et Gattino sont séparés, ils se révèlent incomplets et le film avec, qui souffre d’un grand ventre mou avant les retrouvailles finales. Lorsque celles-ci arrivent, ce sentiment d’attirance/répulsion, cette ferveur croisant éros et thanatos, culminent pour une conclusion assez hypnotique où Aranda maintient le mystère de cette relation par une nouvelle ellipse. Á coups de crosse s’avère donc un essai largement imparfait, mais fascinant et annonçant certains diamants noirs du réalisateur comme Amants.


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 20 février 2023