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Portraits

Portrait de Whit Stillman à travers ses films

Né en 1952 à Cornwall, Whit Stillman grandit dans une famille de banquiers, issus d’une lignée de politiciens démocrates, consultants rapprochés de la dynastie Kennedy. Il entame des études de journalisme à Harvard. Garçon sage, entretenant une attitude de gendre idéal, il est très isolé sur le campus, dans les années 70 à la fin du mouvement hippie. Il est durablement marqué par le ralliement de son frère à l’extrême-gauche et fréquente pour l’essentiel un groupe d’étudiantes organisant des bals dévolus à l’élégance et la propreté (sic). Son temps libre est pour une large part consacré à l’exploration du cinéma américain à son âge d’or, entre 1929 et 1940. Suite à une peine de cœur, il décide d’apprendre l’espagnol et part terminer son cursus à Mexico. Il rencontre et épouse en 1980 une Barcelonaise qu’il accompagne en Espagne, où il officie comme collaborateur de cinéastes hispaniques (Fernando Trueba et Fernando Colomo) qu’il distribue sur territoire américain. A son retour aux Etats-Unis, où il gère une agence d’illustration, il passe ses nuits, quatre ans durant, à peaufiner le script d’un premier film : Metropolitan, qui en 1990 montre les soirées d’une coterie de jeunes snobs de l’Upper East Side. Succès surprise, il lance la carrière du cinéaste, redéfinissant au passage la forme du "premier film indé" pour les 25 années à venir. En une trilogie auto-fictionnelle, avec Barcelona (sur son exil espagnol) et The Last Days of Disco (ressuscitant les boîtes new-yorkaises des eighties), Stillman se fait le portraitiste privilégié (dans tous les sens du terme) de ce qu’il a lui-même baptisé l’UHB : Urban Haute Bourgeoisie. Avec un art consommé de l’autodérision confinant parfois à la flagellation, il se joue dans ses comédies de manière hautement sophistiquée des travers et ridicules de ses semblables.

Suit une décennie erratique, entre projets avortés à Londres (un film sur le mouvement reggae censé se dérouler en Jamaïque, Stillman, malgré sa labélisation WASP se révélant une personnalité préoccupée par la question noire) et fin d’un mariage à Paris qui le laisse esseulé dans la capitale française. Il revient en 2012, quinze ans après The Last Days of Disco, avec le volontairement désuet Damsels in Distress et vient de tourner pour la plateforme Amazon le pilote d’une série (The Cosmopolitans) dont l’existence dépend désormais du vote des spectateurs. Observateur moraliste, Stillman entend réanimer dans le cinéma américain l’esprit littéraire de Jane Austen et F. Scott Fitzgerald. Ses personnages, quoique pas nécessairement fortunés, sont pour la plupart on ne peut mieux éduqués, préoccupés d’étiquette, discutant investissements immobiliers dans des salons au langage châtié où les filles bien ne portent pas de jeans. Il y a à l’évidence une tendance conservatrice dans son œuvre, jamais cependant imposée à son public. Au-delà du caractère suranné qu’on peut leur trouver (en vertu même de celui-ci en réalité), ses films témoignent de l’étonnante persistance des manières d’être et d’agir d’une internationale nantie. Comme chez Visconti, si tout change chez Stillman, c’est pour que tout reste pareil. Témoignant d’un sens aigu des stratifications sociales, son regard sait toujours, au-delà des prétentions de tout un chacun dans son petit monde, repérer où réellement se situe le pouvoir dans la pièce.

Metropolitan (1990)

Il y a en première impulsion de Metropolitan un article rédigé par Whit Stillman pour The Nation’s Pulse : Sleazy, Soapy and Rich. Il y fustige la représentation, dans les soap operas en vogue dans les années 80, des grandes fortunes américaines, soupçonnant ironiquement les scénaristes d’être employés par le KGB pour fournir la pire image possible des capitalistes. Selon lui, la manière de vivre réelle des Américains les plus aisés n’a jamais été honnêtement représentée au cinéma ou à la TV. C’est ce manque que son premier film entend combler. Au réveillon, dans ce qu’un carton nous explique être un passé proche, une bande de riches jeunes gens de Manhattan partagent au sortir d’un bal un taxi avec un garçon d’ascendance modeste : Pete Townsend (Edward Clements), radical professant un attachement au fouriérisme. Le groupe se lie de sympathie pour le personnage et en fait son attraction de la saison. L’intrusion de cet élément étranger dans la coterie (une récurrence dans l’œuvre de Stillman) va créer tensions et ruptures, jusqu’au blackboulage de Nick Smith (Chris Eigeman), le membre le plus snob et pédant du groupe mais, paradoxalement, le garçon le plus bienveillant aussi à l’égard de Nick. Alors que ce dernier lutte encore bêtement pour reconquérir Serena, une ex infidèle, Audrey Rouget (Carolyn Farina, actrice discrète qu’on aperçoit dans Le Temps de l’innocence), ravissante jeune fille dont la modestie déteint parmi ces prétentieux, a jeté son dévolu sur lui. Elle est elle-même poursuivie des assiduités de Rick Von Slonecker (Will Kempe), un baron tombeur: « Rick Von Slonecker est grand, riche, beau, stupide, malhonnête, vaniteux, en bref, il plaît beaucoup aux femmes. » (Nick)

Alors que Pete, dont le gauchisme revendiqué agit comme une défense dans un milieu social, qu’il le veuille ou non hostile, montre bien vite ses failles, c’est l’a priori bien vain Nick qui lui vole la vedette. Le rôle révèle un comédien génial, Chris Eigeman, qui deviendra un habitué de la production indépendante américaine (on le retrouvera chez Noah Baumbach), excellant dans l’incarnation de personnages sympathiques à force d’être odieux... soit l’acteur idéal dans une galerie de personnages qu’on adore détester. Les jeunes vieux de Stillman sont tels des animaux empaillés suscitant simultanément l’effroi et un amusement déplacé. Loin de cracher dans la soupe, il pratique une stratégie sournoise et ambiguë du "qui trop embrasse mal étreint", faisant sienne par exemple la diatribe ridicule d’un de ses personnages contre Le Charme discret de la bourgeoisie, insistant sur le fait que celle-ci a, bel et un bien, un charme discret. Révélant la solidarité de classe des privilégiés, il en fait un carburant humoristique redoutable, comme dans ces improbables séances d’auto-apitoiement sur la « chute de mobilité sociale » (le film est réalisé peu après une dépression financière).

La satire autocentrée de Metropolitan impose dans le cinéma américain une ligne scénaristique, immédiatement récompensée d’un Oscar du meilleur scénario, ouvrant la voie à une forme archétypale du succès indie (un groupe, un outsider,  un lieu, une suite limitée d’évènements collectifs). Curieusement, alors même que le film a contribué à l’élaboration d’une recette, aucun de ses suiveurs n’a cherché à retrouver son ton idiosyncratique où l’on débat de l’actualité de Mansfield Park, de l’autorisation à parler de livres qu’on n’a pas lus ou de la grille du programme télévisé. Son atmosphère douce-amère captant le relâchement typique d’entre Noël et le Nouvel-An restera sans postérité. Sacré comme le neveu de Rohmer et Woody Allen (formule du journaleux de base quand il ne trouve rien à dire d’un cinéaste intello), Stillman serait plutôt un digne héritier de Lubitsch, alliant à la moquerie la mélancolie.

Barcelona (1994)

Suite au phénomène Metropolitan, Stillman se voit offert la possibilité de tourner son premier film de studio pour la Warner. Il revient dans un film ambitieux sur ses années passées en Espagne, durant une dernière décennie de la Guerre Froide où les Yankees n’y étaient pas toujours bienvenus (à l’opposé du spectre idéologique, Robert Kramer témoigne de même dans son Doc’s Kingdom de la virulence de l’anti-américanisme autour de la côte méditerranéenne durant ces années). Ted Boynton (Taylor Nichols), financier installé à Barcelone, reçoit la visite impromptue de son cousin Fred (Chris Eigeman), soldat venu rallier les bases de l’OTAN. Grande gueule, Fred se scandalise de toutes les manifestations d’hostilité à l’encontre de la bannière étoilée et fait passer Ted, jeune homme prude, pour un pervers raffiné auprès des demoiselles. Alors que Fred s’incruste dans son appartement, ils se mettent chacun à fréquenter de somptueuses Espagnoles : Marta (Mia Sorvino), gentiment délurée, et Montserrat (Tushka Bergen), toujours sous la coupe affective d’un intellectuel impuissant l’envoyant courir d’autres partenaires. Les attentats contre les lieux d’ingérences américaines se multiplient, alors que Ted et Fred sont troublés par les mœurs plus libres de leurs compagnes. Les évènements prendront un tour tragique.

Barcelona rejoue une situation archétypale de la littérature américaine depuis Henry James, où la franchise du Nouveau Monde se heurte à la duplicité du Vieux Continent. Chris Eigeman y est hilarant en militaire chauvin (l’est-il même réellement ?) portant son costume dans la vie civile, mêlant mauvaise foi vaniteuse et stupidité outragée pour défendre la réputation de son pays. Taylor Nichols parvient à se rendre étonnamment touchant en vieux garçon inhibé par son éducation protestante et entretenant une foi naïve dans les valeurs commerciales. La mise en scène de Stillman, simplement splendide, magnifie le moindre plan, dans un alliage de délicatesse et de dureté croissante désarmant. Bien que se terminant par un épilogue « too good to be true », c’est un film souvent triste sur l’incompréhension culturelle, mais rayonnant aussi d’un charme fasciné pour la vie hors de ses frontières quand elle est choisie. L’un des témoignages les plus exacts qui soient sur l’existence expatriée.

Relativement peu vu, Barcelona l’a été par les bonnes personnes : référencé dans Seinfeld, il est le film où Woody Allen découvrit Mia Sorvino (qu’il utilisera dans Maudite Aphrodite) - et, surtout, l’un des favoris de Stanley Kubrick. Nicole Kidman révélera par ailleurs comment une scène en voiture de Eyes Wide Shut a sciemment été "copiée" sur une séquence précédente du film de Stillman. Il y a là quelque chose de révélateur, les deux films constatant chacun que l’on finit toujours par se réveiller avec un/e étranger/e dans son lit. Le bonheur dans Barcelona se situant dans l’acceptation que ce sentiment d’étrangeté à son propre couple, tant qu’il n’empêche pas la complicité et la sensualité, ne serait au fond pas si dramatique. Un chef-d’œuvre méconnu... à découvrir de toute urgence

Les derniers jours du disco (The Last Days of Disco,1997)

Les années disco ont été pour Whit Stillman une véritable seconde jeunesse, lui apportant pour une décennie un sentiment de communauté qu’il n’avait jusqu’alors éprouvé qu’à la lecture de Tolstoï, Fitzgerald ou Austen. The Last Days of Disco entend rendre hommage à cette parenthèse enchantée, où après des journées de dur labeur (le film n’épargne rien des difficultés professionnelles croissantes sous l’ère Reagan) venait un temps d’utopie de groupe consacré à la danse, le flirt, l’élégance. Or Stillman est moins un nostalgique qu’un mélancolique, son tempérament le ramène immédiatement à la fin du mouvement, sa pente descendante. The Last Days of Disco est ainsi aussi un cruel récit d’initiation, sur les désillusions d’une idéaliste innocente, un film réalisé dit-il à l’attention de ses deux filles pour les mettre en garde contre les mauvais partis, où il laisse parfois trop cours à son côté donneur de leçon (choper une MST à sa première coucherie !), sensible surtout à ce qui noircit le tableau : drogues, maladies vénériennes, mainmise de la pègre sur la vie nocturne.

Alice (Chloë Sevigny) et Charlotte (Kate Beckinsale) sont deux petites employées d’une agence d’édition à Manhattan, des amies qui sont chacune tout ce que l’autre n’est pas (blonde/brune, romantique/fille facile, douce et discrète/hallucinante d’aplomb et de méchanceté). Charlotte introduit Alice au Club, la boîte la plus mythique de NYC. Elles y rencontrent Jimmy (Mackenzie Astin) et Des (Chris Eigeman), le premier faisant des pieds et des mains pour rentrer (il fait trop bourge pour l’endroit), le second ayant parti liée à tous les deals louches de la boîte. Les couples se forment. Mais alors que le Club agit pour Charlotte comme un formidable promoteur social, Alice ne fait que s’enfoncer de soirées en soirées dans une suite de malheurs et d’humiliations. Elle se rapproche de Josh (Matt Keeslar), maniaco-dépressif, présentement sans emploi, paumé au milieu des fêtards.

On retrouve dans le film ce qui fait le charme de la trilogie UHB : débats absurdes (sur l’inanité du terme "yuppie"), théories à la fois farfelues et pertinentes (sur le message caché de La Belle et le Clochard), Chris Eigeman, qui une fois de plus fait des étincelles (ici en arrogant yuppie cocaïné). Stillman observe la fin d’une époque qui n’avait, il le sait bien, rien d’idéale, mais qu’il ne peut s’empêcher de regretter (« Le disco ne mourra jamais ! » s’exclame un Josh anormalement enthousiaste à des amis éberlués tous finalement obligés de pointer au pôle emploi). Au milieu d’un groupe d’hommes tous plus cyniques, matérialistes et égocentriques les uns que les autres, c’est le plus faible et intègre qui seul a sa sympathie, son cinéma prenant résolument le parti des timides et des rêveurs. On doit au personnage parmi les déclarations les plus ravissantes qui soient : « A lot of people like to say they won't take no for an answer. I just wanted you to know that I'm not one of them; I can be easily discouraged. I will take no for an answer... » Côté filles, on sent ici tout l’amour qu’il porte à la reine du cinéma indie 90’s (Sevigny) et la fierté d’avoir découvert un tempérament à nul autre pareil (Kate Beckinsale, repérée dans le téléfilm Cold Comfort Farm mais qui plus jamais ne se hissera à ce niveau d’interprétation). La bande-son est un régal de tous les instants (Diana Ross, Blondie, Sister Sledge, le Love Train des O-Jay’s). En 2000, Stillman écrit une version romanesque de la même histoire (traduite cette année chez Tristram), révélant la psyché des personnages et leur devenir post-disco, s’avérant plus empathique, bienveillante que ce film sardonique, moralisateur aux entournures. People all over the world, join in, start a love train, a love train !

Damsels in Distress (2012)

Quinze années ont passé depuis The Last Days of Disco, générant une attente disproportionnée quant au retour de Whit Stillman derrière la caméra. Greta Gerwig, la nouvelle coqueluche branchée, succède à Chloë Sevigny chez un réalisateur devenu entre-temps une référence de la culture hipster. Il y aurait de quoi prendre la grosse tête, ce qu’il pare par un script revendiquant une approche ludique. Violet (Gerwig) est une étudiante à la tête d’un comité de jeunes filles entendant promouvoir sur le campus de Seven Oaks, dominé par des fraternités débiles, un savoir-vivre fait de chorégraphies, de beaux tissus, de sucreries et de savons parfumés. Elle accueille dans son club Lily (Analeigh Tipton), joli brin de femme un peu effacé. Bien vite, des désaccords se font jour et leur entente est mise à mal. Violet, idéaliste à tendance moralisatrice, parfois psychorigide, manipulatrice à l’occasion, semble de prime abord moins équilibrée que Lily, qui ne prend son activité qu’à moitié au sérieux. Mais c’est à la première que la sympathie de Stillman paradoxalement revient. Le premier ressort comique de Damsels in Distress étant de prendre sans restriction au sérieux l’utopie de son personnage - de soigner le mal-être par la frivolité et les bonnes manières. Durant une période de dépression à Harvard, le réalisateur a lui-même été aidé par la fréquentation d’un club de ce genre et entend rendre hommage aux filles souriantes et de bonne volonté qui l'ont alors diverti.

Damsels in Distress sera froidement reçu, en partie pour de mauvaises raisons (difficile de ne pas voir que son idiotie apparente est tout à fait concertée), d’autre part pour un statisme affecté qui, lui, ne semble qu’à moitié recherché (Richard Brody décrit le film comme le ratage d’un cinéaste génial ayant passé trop d’années chez lui à s’enfiler des DVD). Stillman cherche à mélanger les comédies musicales de Busby Berkeley aux considérations de politiques estudiantines telles que montrées dans School Daze de Spike Lee (pour la première fois, il inclut des comédiens afro-américains et en fait un ressort dramatique), le tout agrémenté de comédie régressive à la Will Ferrell (la fraternité adverse semble droit sortie de Retour à la Fac). La sauce ne prend pas à tous les coups. Le charme pourtant in fine opère, Stillman trouvant un ton humoristique inédit mis au service de la jeune génération comique américaine (mention spéciale à la géniale Aubrey Plaza), mêlant déclaration d’amour à Dunkin’ Donuts et considérations sur le suicide, capable dans la même scène de passer d’un dialogue sur St-Thomas d’Aquin à la blague la plus crûe sur la sodomie. L’air de rien, avec ses échanges courtois mais tendus sur l’importance, ou non, de donner une chance aux « dufus » (ou faudrait-il dire « dufi » ?), la vision du monde inconciliable de Violet la volontaire et de Lily la nonchalante (la plus dure et intolérante des deux n’étant pas celle que l’on croit), le film met au jour un conflit au cœur de la vie universitaire : celui des boursiers et des héritiers. « - You like loosers ? - Very much so. » Contre la tyrannie du cool, le culte du détachement, Stillman propose de redonner une chance à l’enthousiasme et au romantisme. A chacun de juger s’il veut être à la hauteur de ce modeste défi.

The Cosmopolitans (2014)

En réponse au concurrent Netflix et ses séries lancées sur la base d’études de marché déterminant ce qui sera le plus à même de plaire (House of Cards), Amazon lance le 28 août 2014 un programme de vote "à la carte" où les spectateurs internautes peuvent choisir, entre plusieurs pilotes, lequel deviendra une série financée par le groupe. Outre David Gordon Green (Red Oaks) et le tâcheron Mark Forster (Hand of God), un épisode d’une demi-heure est commandé à Whit Stillman, à la condition que sa série se déroule à Paris. Francophile et francophone (il prenait, jusqu’à ce que cela cesse par jalousie d’une compagne, des cours à l’Alliance Française), le cinéaste connaît bien la ville, où il s’est installé jusqu’en 2009 pour un second mariage, avant d’y revenir récemment. La fin de son couple l’avait alors laissé isolé à l’étranger et c’est la parfois difficile solitude de l’expérience expatriée qu’il entend retranscrire dans sa série.

Aubrey (Carrie McLemore) s’installe à Paris rejoindre un amant français qui la laisse immédiatement sur le carreau (son arrivée sur son 31 dans une chambre de bonne rappelle le début de La Dilettante de Pascal Thomas, comédie que Stillman adore). A la terrasse d’un café, elle rencontre un trio d’expats : Jimmy (Adam Brody), Hal (Jordan Rountree), deux Américains fortunés et Sandro (Adriano Gianini), un cynique playboy italien. Elle les accompagne le soir même à une réception organisée, dans son petit palais, par Fritz (Freddy Asblom), un aristocrate pédant. Y figure aussi une Chloë Sevigny en journaliste de mode respirant la suffisance. Stillman avance ici en terrain connu, renouant avec les coteries qui ont fait son succès dans les années 90. Il y a dans cette escapade française un esprit élégamment frondeur ramenant à Hemingway (son arrière-petite-fille, la sublimissime Dree du même nom apparaît dans ce pilote), se jouant de la prétention américaine quand elle se heurte à sa propre ignorance (« Vancouver, France ? »), raillant au passage la proverbiale absence de progressisme de ce genre de milieux (on fait observer sans défaillir à une originaire d’Alabama que ce n’est vraiment pas de chance pour les Etats du Sud qu’ils aient perdu la guerre !). Ce qui pourrait n’être que caricature sonne juste par une méticulosité laissant à penser que les caractères décrits ont dû être directement (et longuement) côtoyés par le metteur en scène.

Dans des spots parisiens de carte postale, cette bande, où certains ont leur propre chauffeur, disserte sur le profil des Françaises faciles à aborder et sur les couples improbables qui se forment entre Américains qui, au pays, ne s’adresseraient jamais la parole. Autant de problèmes de luxe et de penchants au coupage de cheveux en quatre qui ne réconcilieront pas les réfractaires au petit monde de Stillman avec lui mais raviront à coup sûr ses amateurs. Le personnage le plus intéressant du pilote est peut-être aussi le plus antipathique : Fritz, aristo velléitaire (il devait, selon le script, donner ses réceptions dans un appartement pas si cossu, mais la difficulté de trouver un lieu de tournage "normal" à Paris aurait obligé la production à lui allouer un intérieur de grand propriétaire), pratiquant l’imposition du persona non grata avec une ostentation infecte, sûr de son droit en tout. Autour de lui, des peines passées et des peines à venir (la série fonctionnant sur l’hypothèse en partie vérifiable que les Américains vont à Paris se faire briser le cœur quand les Américaines s’y rendent quand elles ont déjà le cœur brisé), complices en un dernier sourire lors d’un trajet collectif en taxi. On souhaite bonne chance à une série dont le pilote suscite suffisamment l’intérêt pour donner l’envie d’en connaître la suite.

Par Jean-Gavril Sluka - le 5 septembre 2014