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Livres

Un Belge à Cinecittà, entretiens avec Jean Blondel

Un livre de Geoffroy Caillet

Broché / 252 pages
Editeur : CLD
Collection : Cinéma
Date de sortie : 18 juin 2009
Prix Indicatif : 21 euro

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Disons-le d’entrée : en recevant ce livre, nous ne savions rien de Geoffroy Caillet ni de ce mystérieux Jean Blondel auquel il s’était mis en tête de consacrer un livre. Comme pour nous rassurer, ou donner une caution à ces deux noms, Jean A. Gili préface le livre. Ce grand spécialiste du cinéma italien fournit en quelques pages le contexte des co-productions italiennes qui a permis à Jean Blondel, le "Belge à Cinecittà" du titre, de faire carrière outre-Alpes. Gili retrace la biographie de notre homme en quelques pages et évoque ses débuts de critique cinéma dans la revue « La Libre Belgique » en 1944 et sa passion dévorante pour le cinéma italien qui l’amène, très tôt, à saluer le travail de Rossellini ou encore celui, très méconnu à l’époque (et encore aujourd’hui), de Zavattini. Il aime le cinéma italien mais aussi la culture italienne, la langue, les paysages, les modes de vie. Il a l’occasion de venir y travailler en 1953, à l’invitation d’Alberto Lattuada (son mentor en cinéma) et, dès l’année suivante, il s’installe définitivement à Rome pour travailler à Cinecittà.

Geoffroy Caillet, passionné lui aussi par le cinéma italien (ce qui se ressent au travers de son érudition qui court tout au long du livre), mène dans la première partie un long entretien avec Jean Blondel. En introduction, il raconte comment il est tombé amoureux du cinéma italien (décidemment, cette cinématographie fonctionne sur les coups de foudre). La tête dans le XIXème siècle, il découvre un jour Le Pensionnaire (La Spaggia, 1953), un choc qui lui ouvre une nouvelle passion, plus rassurante : « Je réalisai que je n’avais que cinquante ans de retard. Dans mon cas, c’était consolant. » Cinquante ans, c’est déjà beaucoup, et il ne reste plus beaucoup de témoins du tournage de ce film d'Alberto Lattuada. C’est ainsi qu’il rencontre le deuxième assistant réalisateur du film, un étonnant vieux monsieur parti de Belgique pour faire carrière à Cinecittà. Dès leur première rencontre, Jean Blondel lui raconte le choc qu’a été le fait de plonger dans l’univers de Cinécittà en 1953. Ils se reverront souvent, Blondel se révélant intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer le cinéma italien des années 50. Ainsi est né le désir de ce livre qui regroupe différentes discussions entre les deux hommes, ainsi qu’un ensemble de textes critiques de Jean Blondel et un scénario de film jamais tourné écrit par ses soins.

L’entretien, fort bien mené par Caillet, saute d’un personnage à un autre, enchaîne les anecdotes de tournage et les petites histoires sur ceux qui ont participé à cette incroyable vitalité du cinéma italien. Cet entretien est, selon la note d’intention de l’auteur, conforme à la personnalité de Jean Blondel, il est « A son image je crois, nos échanges ne se sont jamais fixé d’autre règle que l’éclectisme, ce que ce livre s’est attaché à respecter tout en les restituant dans un parcours à la fois chronologique et thématique. » Blondel raconte ses débuts d’auteur dramatique à dix ans, l’occupation allemande, son arrivée à La Libre Belgique en remplacement d’un journaliste ayant collaboré. Lui qui voulait s’engager dans la Résistance, à défaut d’être devenu un homme de Londres, deviendra un homme de l’ombre du cinéma italien.

Il poursuit sur sa découverte de Rome en 1953, restitue son atmosphère, son bouillonnement artistique. C’est Lattuada qui le fait venir, cinéaste que Blondel a rencontré dès 1948 et avec qui il s’est rapidement lié d’amitié. Lattuada devient son mentor (« mon parrain et père spirituel dans le monde du cinéma ») et leurs relations se révèleront aussi riches que conflictuelles. Finalement, Blondel doit quitter le giron de ce père adoptif et poursuivre, seul, sa carrière dans le cinéma italien.

Il œuvre sur multiples postes : scénariste, assistant metteur en scène (comme sur La Spaggia où il doit s’occuper de Martine Carol), chargé de la transcription des scénarios en français, acteur, prête-nom… c’est l’époque des co-productions expliquait Gili dans la préface, et c’est ce phénomène qui permet à Blondel d’enchaîner les contrats sur les films. Il rencontre de nombreux acteurs, techniciens, scénaristes, réalisateurs du cinéma italien. Il y a ainsi une profusion de noms (et d’histoires) dans cet entretien, et Geoffroy Caillet fait constamment preuve d’une connaissance sidérante du cinéma italien et des ses multiples créateurs et interprètes, même les plus obscurs à nos yeux, relançant brillamment la discussion. (1) Parmi les grands noms sur lesquels le livre s’attarde, outre Lattuada bien sûr, il y a le cinéaste Pietro Germi, les producteurs Carlo Ponti et Anatole Eliacheff, moult scénaristes (Fableri, Franciosa et Festa, Ugo Liberatore avec qui il écrit quelques scénarios jamais tournés) et acteurs (Anna Magnani, Michel Auclair…). Ces derniers ont la part belle, Blondel ayant souvent joué le rôle de coach pour des acteurs français venus tourner en Italie. Des anecdotes en pagaille, des rencontres, des personnages hauts en couleurs qui dressent le portrait d’une époque, celle de l’effervescence de l’âge d’or du cinéma italien. Les souvenirs de Blondel sont d’une incroyable précision et même les noms des trattorias romaines sont là, chacune d’entre elles étant le repère d’un « clan » de cinéma de Cinecittà. L’uniformisation de ces restaurants marque d’ailleurs la fin d’une époque : ce sont les années 70, les studios qui ferment, la montée en flèche de la télévision, les salles qui se vident.

La deuxième partie du livre consiste en un recueil des articles consacrés au cinéma italien et parus sous la plume de Jean Blondel dans La Libre Belgique, de 1944 à 1954. On découvre un critique souvent pertinent, à l’œil aiguisé, aux jugements parfois sévères, mais le plus souvent porté sur le panégyrique. Surtout, on sent qu’il travaille à la manière d’un journaliste, fouillant, enquêtant, cherchant à comprendre d’où vient cette vitalité du cinéma italien. Une approche circonstanciée qui tranche avec les habitudes des critiques de cinéma. Ses textes sont consacrés à de grands classiques et à des auteurs reconnus (Rome ville ouverte, Le Voleur de Bicyclette, De Santis, Visconti…), mais aussi à des films et à des réalisateurs plus méconnus (Blasetti, Vivre en paix de Luigi Zampa, Le Moulin de Pô d’Alberto Lattuada…). Des textes sur le contexte cinématographique italien viennent compléter l’approche purement artistique, Jean Blondel s’intéressant aux salles, aux habitudes des spectateurs, au système de production, de co-production… Une plume précise certes, mais aussi lyrique, respirant de cet amour qu’il porte au cinéma, à ceux qui le font et à cette Italie qui l’a accueilli. Une manière d’écrire qui est du même tonneau que les paroles de cet homme qui, des années plus tard, répond aux questions de Geoffroy Caillet. Le plaisir qu’a eu Jean Blondel à participer à cette tranche de l’histoire du cinéma italien, ce bonheur de rencontrer tous ces hommes et femmes qu’il admirait en tant que critique, est une belle récompense et Blondel sait nous faire partager cette joie qui est encore sienne à l’évocation de son parcours.

La troisième partie du livre est consacrée au synopsis d’un film jamais tourné écrit par Jean Blondel, au titre évocateur de « Rome qui t’a vu naître ». Un script écrit pour Simone Signoret que devait réaliser Jacques Becker, le décès de ce dernier marquant la fin de ce projet. On trouve également en annexe des résumés par Blondel des multiples scénarios restés à l’état d’ébauches ou de lettres mortes. Des annexes qui regroupent également divers textes sur Jean Blondel écrits par des tiers, notamment des critiques de ses pièces de théâtres.

Un Belge à Cinecittà est un précieux témoignage sur ce cinéma italien finalement peu commenté dans l’édition cinéma au vu de son infinie richesse. On sait gré à Geoffroy Caillet d’avoir déniché cet homme attachant et prolixe et d’avoir brillamment mené des entretiens qui nous plongent dans l’univers de Cinecittà, monde de cinéma à nul autre pareil.

(1) Un index permet de retrouver les noms et les titres de films, très pratique vu le foisonnement de références.

Crédits photos : collection Jean Blondel& & collection Geoffroy Caillet

Par Olivier Bitoun - le 26 octobre 2009