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Portraits

Portrait de René laloux à travers ses films

Né en 1929, René Laloux abandonne l'école à treize ans pour apprendre la sculpture sur bois et le dessin lors de cours du soir. Il s'intéresse aussi au cinéma, au théâtre, apprend le métier de marionnettiste auprès d'Yves Joly, écrit. Il travaille de 1956 à 1960 à la clinique (anti)psychiatrique de La Borde en tant que moniteur. Il accompagne les patients dans leurs activités artistiques et monte avec eux de nombreux spectacles de marionnettes, de théâtre ou d'ombres chinoises. Ces derniers fonctionnent particulièrement bien, et c'est en filmant l'un d'eux avec une caméra 16mm que Laloux réalise par hasard son premier film, acheté par Frédéric Rossif pour une émission de télé, Cinépanorama. Laloux réussit à obtenir de lui un soutien financier et travaille alors avec quinze patients sur la réalisation des Dents du singe, œuvre d'improvisation collective s'inspirant du test d'association de Jung qui est sélectionnée dans plusieurs festivals.

Laloux rencontre Roland Topor avec qui il réalise deux films courts, Les Temps morts et Les Escargots (1965), puis son premier long métrage La Planète sauvage, tourné entre 1969 et 1972, et qui obtient le Prix Spécial du Jury à Cannes. La production de longs métrages d'animation étant très difficile en France, Laloux doit attendre près de dix ans pour donner un successeur à ce premier long métrage. Ce sera Les Maîtres du temps, qu'il réalise avec Moebius en 1981. Il retrouve Caza - avec qui il avait travaillé en 1977 sur ce qui devait être son deuxième long - avec qui il réalise deux courts métrages (La Prisonnière et Comment Wang-Fô fut sauvé d'après Marguerite Yourcenar, peut-être son chef-d'œuvre) et son troisième et dernier long métrage, Gandahar, qui sort sur les écrans en 1987.

La planète sauvage (1973)

Les Draags, grandes créatures humanoïdes à la peau bleue, règnent sur la planète Ygam. Ils ont à leur service des petites créatures, les Oms, qu'autrefois ils ont ramenées d'une planète en ruine et qu'ils considèrent comme des animaux familiers. Les jeunes Draag suivent une éducation télépathique et c'est ainsi que Terr, un jeune Om rentré fortuitement en contact avec le réseau par le biais d'un collier, s'imprègne des connaissances Draag. Sorti de l'ignorance dans laquelle est conservée son peuple, il s'échappe et découvre un groupe d'Oms rebelles. D'abord méfiants envers Terr, ceux-ci acceptent finalement son savoir et, cachés de la civilisation Draag, s'instruisent, développent leurs connaissance et commencent à organiser la révolte contre l'oppresseur...

C'est en 1960 que Roland Topor, fasciné par un court film d'animation, Les Dents du singe, cherche à rencontrer son réalisateur René Laloux. Les deux hommes s'entendent immédiatement et c'est le début d'une longue amitié et d'une douzaine d'années de travail en commun. Le premier projet de film, sur lequel devaient également travailler Folon et Yhpé, n'aboutit pas mais les deux hommes rebondissent rapidement et réalisent deux courts métrages, Les Temps morts (1964) et Les Escargots (1965). Ils travaillent ensemble en partant d'une idée, d'une image, l'enrichissant et la développant mutuellement avant de se lancer, toujours de concert, dans la fabrication du film. Tous deux partagent une même passion pour les mondes imaginaires et la fantaisie, et sont portés par l'idée que le cinéma d'animation doit sortir du ghetto où il est enfermé. L'animation est en France cantonnée aux formats très courts et, au niveau mondial, Laloux et Topor constatent un incroyable appauvrissement du genre autour de quelques formules répétées ad nauseam. Le projet d'un long métrage de science-fiction s'impose à eux et c'est grâce au courage de deux producteurs (André Valio-Cavaglione - que Laloux a rencontré sur Les Dents du singe - et Simon Damiani) que La Planète sauvage réussit à prendre vie.

Le film, adaptation de Oms en série de Stefan Wul, est une co-production franco-tchécoslovaque dont le tournage - qui durera plus de deux ans - débute en 1969 dans les studios Jiri Trnka de Prague. Laloux utilise la technique du papier découpé, technique qui a l'intérêt d'être économique mais qui surtout correspond à son approche de la mise en scène. Son but en tant que réalisateur est de conserver intact le graphisme d'origine et qu'il soit signé Topor, Moebius, Caza ou par des patients de La Borde, c'est toujours cette même volonté qui guide son travail. Laloux veut respecter au mieux le dessinateur avec qui il collabore. Il souhaite restituer son trait, l'originalité de son graphisme, l'esprit qui anime ses planches, ses choix de couleurs, de textures... et la technique du papier découpé permet de conserver tout ça. La Planète sauvage nous plonge ainsi dans un univers merveilleux, étonnant, parfois inquiétant. Une profonde poésie se dégage des décors, des créatures, et l'ambiance étrange et irréelle qui imprègne le film en fait une expérience inoubliable aussi bien pour les enfants que pour les adultes.

Le papier découpé permet aussi de ne rien sacrifier du scénario qui reste pour le cinéaste le cœur de l'œuvre. La phase d'écriture est pour Laloux aussi importante que l'exécution concrète du projet. Pour lui, un film doit défendre une morale, doit être un geste politique, doit être porteur d'une vision poétique du monde. Laloux dénonce dans ses films - et notamment ses courts métrages - l'aliénation des individus par le système. Il montre des hommes malmenés, humiliés, détruits par la guerre, la pauvreté, un système politique ou éducatif. Il voit la folie que cela engendre chez certains (comme lors de son long travail avec les patients de la clinique « antipsychiatrique » de La Borde) et la façon dont ces malades s'effacent et disparaissent alors aux yeux de la société. Topor, qui a fondé le mouvement Panique avec Jodorowski et Arrabal (qui passent au même moment à la réalisation), partagent cette même vision du monde des hommes.

La Planète sauvage est une fable merveilleuse sur la conquête de la liberté et sur le droit à l'éducation et la connaissance. C'est un film sur la vie, sur un équilibre à trouver entre la réflexion et la méditation (les Oms qui ne cessent d'apprendre et d'évoluer et les Draags, lents et majestueux, qui se perdent dans la contemplation). C'est un film qui nous invite à voir le monde depuis le point de vue des faibles, des invisibles (le film est à hauteur d'Om), mais qui loin d'exacerber un désir de vengeance en appelle au contraire à la compréhension et à l'empathie. On pourrait lui reprocher un excès d'optimisme si ce n'était l'intelligence avec laquelle tous ces thèmes sont menés par les deux auteurs. La Planète sauvage est une œuvre envoûtante, débordant d'imagination et de fantaisie qui joue totalement sur la sidération du spectateur. Des qualités qui ont permis d'ouvrir le sacro-saint Festival de Cannes au cinéma d'animation, le film y remportant même le Prix Spécial du Jury en 1973.


LES MAÎtres du temps (1982)

Jaffar, un mercenaire de l'espace, reçoit un message de détresse de son vieil ami Claude. Ce dernier vient de s'écraser sur la planète Perdide et, attaqué par des frelons géants, il a tout juste le temps de supplier Jaffar de porter secours à son fils Piel. L'aventurier se détourne de sa mission pour porter secours à l'enfant, mais son actuel employeur, un prince déchu qui a volé l'or du royaume de son père, ne l'entend pas de cette oreille...

La production d'un long métrage étant particulièrement difficile en France, René Laloux doit attendre une dizaine d'années pour donner un successeur à La Planète sauvage, film qui a pourtant été primé dans d'importants festivals et a rencontré un très bel accueil de la part du public. On pouvait penser que le succès du film sortirait le cinéma d'animation de son ghetto, mais Laloux échoue pourtant à mener à bien un projet avec Caza qui devait être son deuxième long métrage. Après plusieurs projets avortés, il commence à travailler avec Jean-Pierre Dionnet sur l'idée d'une série de films d'animation de 52 minutes inspirés de l'univers de Metal Hurlant et dont chaque épisode aurait été signé par un pilier du magazine tel Druillet, Caza ou Moebius. C'est avec ce dernier qu'il réalise ce qui devait être le premier chapitre de la saga et qui devient finalement, avec l'abandon du projet global, son deuxième long métrage.

Les Maîtres du temps est ainsi un one-shot, ce qui fait de lui un véritable OFNI dans le paysage du cinéma français : d'une part car c'est l'un des rares longs métrages d'animation produits dans l'Hexagone à ce moment-là, d'autre part car c'est un récit de science-fiction, genre complètement absent des productions de l'époque. Le film bénéficie d'un excellent scénario et d'une construction qui laisse toute sa place au merveilleux, au plaisir de la découverte et au suspense. On suit Jaffar et sa troupe affronter les multiples dangers de l'espace et, parallèlement, le petit Piel perdu comme dans un conte de fées au milieu d'un monde inconnu et inquiétant. Le film ménage quelques séquences d'action, mais Laloux le poète laisse surtout la place aux moments contemplatifs et au plaisir du merveilleux. Il développe également les personnages et les relations qui se jouent entre eux, les échanges entre l'équipe de sauveteurs et le petit Piel à travers un microphone offrant à ce titre des passages particulièrement touchants. Laloux adapte avec Moebius (et Jean-Patrick Manchette aux dialogues) L'Orphelin de Perdide de Stefan Wul (écrivain également à l'origine de La Planète sauvage), toute la partie graphique étant confiée à Moebius.

Laloux aime travailler sur les dessins des autres - Topor, Moebius, Caza - et même sur Les Dents du singe, son premier court réalisé en atelier à la clinique de La Borde, c'étaient les patients qui assuraient la conception graphique. Cette méthode de travail lui plaît car il a à chaque fois l'impression de pénétrer et d'explorer un nouvel univers graphique, un nouveau monde. Il conçoit son travail de metteur en scène comme celui d'un passeur entre l'univers d'un auteur et le spectateur qui, à son tour, reçoit une invitation au voyage. Dans le cinéma d'animation de l'époque, la précision et la sophistication du dessin sont difficilement compatibles avec la fluidité de l'animation et il faut faire des choix parfois douloureux. Celui de Laloux est de respecter au mieux le graphisme de l'auteur, d'où une animation qui aujourd'hui fera certainement tiquer les spectateurs habitués aux prouesses de la 3D. Laloux essaye donc au mieux de restituer la précision et l'originalité du dessin de Moebius. Mais Giraud est un fou du détail, son trait est extrêmement élaboré, réaliste, et son graphisme s'avère d'une richesse et d'une complexité hallucinantes. Aussi Laloux ne parvient malheureusement pas à rendre vraiment justice au travail de Giraud à cause du faible budget qui lui est alloué, et visuellement le film ne se révèle pas toujours convaincant.

Mais même si l'animation est très mécanique et le graphisme parfois approximatif, il n'en demeure pas moins que Les Maîtres du temps demeure une œuvre poétique, imaginative et originale qui nous invite à l'évasion la plus totale. La force du cinéma de Laloux, et ce quel que soit l'artiste avec qui il travaille, c'est de parvenir malgré les contraintes budgétaires à créer un univers riche et surprenant qui fait s'envoler l'imagination du spectateur. On a toujours cette impression à la vision d'un film de René Laloux de seulement découvrir un petit morceau d'un univers plus vaste, et ce mystère qui nimbe ses œuvres en fait l'une des plus mystérieuses et enchanteresses qui ait vu le jour en France.


Gandahar (1988)

Il y a longtemps que les hommes ont fuient la Terre, devenue invivable, pour établir des colonies sur d'autres planètes. Tridan est l'une d'entre elles. Là, les humains vivent au cœur de la nature, dans un état d'harmonie parfait. Ils n'utilisent plus la technologie et ont fondé un mode de vie basé sur le plaisir et les arts, toutes choses rendues possibles par une nature généreuse. La reine Ambisextra règne avec sagesse sur ce royaume paisible depuis la grande cité de Gandahar. La paix règne ainsi jusqu'au jour où des hommes-machines font leur apparition et menacent de faire tomber la cité. Ambisextra confie pour mission au jeune chevalier Sylvin Lanvère de découvrir qui sont ces êtres et comment déjouer leur funeste plan...

En 1977, René Laloux contacte Caza dont il admire le travail et ils travaillent ensemble sur un projet qui doit devenir son deuxième long métrage, l'adaptation du premier roman de Jean-Pierre Andrevon, Les Hommes-machines contre Gandahar. A l'origine, Andrevon a réalisé une bande dessinée mais il est contraint de la transformer en roman suite au refus des éditeurs. Celui-ci est publié grâce au parrainage de Stefan Wul, ce qui amène peut-être Laloux à le contacter, l'œuvre d'Andrevon offrant au cinéaste l'opportunité de travailler sur un nouvel univers fantastique tout en se situant dans la continuité de celui de La Planète sauvage (Laloux ne cesse de tourner autour de Stefan Wul, comme l'atteste son second long métrage Les Maître du temps tiré à nouveau d'un de ses écrits). Sept minutes de film sont réalisées pour trouver les financements, mais le projet tombe à l'eau faute de producteurs croyant dans le projet. En 1985, René Laloux retrouve le dessinateur et ils réalisent en l'espace de deux ans deux courts métrages (La Prisonnière et Comment Wang-Fô fut sauvé d'après Marguerite Yourcenar) et le long métrage Gandahar, concrétisant enfin un projet vieux de bientôt dix ans.

Pendant deux années, Laloux travaille bon gré mal gré en Corée du Nord. Un choix purement économique qui ne satisfait le cinéaste ni politiquement (il est tout à fait conscient d'utiliser une main d'œuvre à bon marché), ni techniquement (la qualité de l'animation étant loin d'être à la hauteur de ses ambitions). Mais tourner un long métrage d'animation est toujours aussi difficile en France, et avoir recours à des studios asiatiques est alors la seule possibilité de mener un projet un tant soit peu ambitieux à bien. Si l'animation souffre d'un manque flagrant de fluidité, le film de Laloux offre toutefois un univers fantastique magnifique, le cinéaste nous proposant une nouvelle fois l'une de ces évadées imaginaires dont il a le secret. Le film repose bien entendu énormément sur le graphisme de Caza, l'un des plus grands auteurs de bande dessinée en France, qui imagine pour l'occasion un monde mystérieux, dont les règles physiques et biologiques sont des sources constantes de surprises et d'émerveillement. On croise nombre de créatures fantastiques, des plantes aussi fascinantes que dangereuses, et le film nous emporte dans un voyage merveilleux vers l'inconnu. Le seul regret est que René Laloux n'ait jamais eu les moyens de ses ambitions car en l'état, Gandahar, troisième et dernier long métrage du cinéaste, est un joyau du cinéma d'animation et, plus largement, du cinéma de science-fiction.

Laloux s'éloigne ensuite du cinéma d'animation et enseigne à Angoulême, où il dirige le laboratoire d'imagerie numérique du Centre National de la Bande Dessinée de 1996 à 1999. Il continue à peindre et écrit en 1996 Ces dessins qui bougent, imposant livre de réflexion sur cent ans de cinéma d'animation. Il s'éteint en 2004, sans avoir pu mener à bien un nouveau projet de long métrage intitulé Un monde tout neuf. Il n'aura pu, à cause d'un système de production français ne laissant alors aucune place à l'animation, exprimer son immense talent et son univers singulier que dans une poignée de films...

Par Olivier Bitoun - le 31 janvier 2013