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Portraits

     

La postérité fait parfois preuve d'une sélectivité regrettable, à laisser dans le flou des artistes dont on se demande bien ce qu'ils ont fait (ou plutôt pas fait) pour mériter, sinon l'oubli au moins le désintérêt poli. Ainsi, quand on parle cinéma italien, voire même quand on évoque le domaine pourtant bien plus spécifique de la comédie italienne, il vient spontanément à l'esprit une liste ô combien prestigieuse (Risi, Scola, Monicelli, De Sica...), liste de laquelle le nom de Pietro Germi est pourtant très souvent exclu, au mieux réduit à une mention complémentaire. Pour témoigner de façon honnête et personnelle, l'auteur de ces lignes avait ainsi découvert Divorce à l'italienne lors de sa ressortie en salles courant 2009 sans être préalablement capable d'en citer le nom du réalisateur. C'est ainsi, la gorge étreinte par la honte, que nous allons ici tâcher de nous rattraper en contribuant, modestement, à l'entreprise de réhabilitation du cinéaste plus généralement entreprise depuis quelques mois par la cinéphilie française, de la presse spécialisée (un article conséquent lui était consacré dans le numéro 583 de Positif daté de Septembre 2009) aux distributeurs salles ou aux éditeurs DVD : après les trois films édités fin février 2010 par Carlotta et évoqués dans cette chronique (Il ferroviere, Meurtre à l'italienne et Ces messieurs-dames), l'indispensable Divorce à l'italienne est en effet désormais disponible (chez M6 Video, chronique à venir), donnant aux plus curieux des cinéphiles l'occasion de découvrir l'essentiel du talent singulier d’un cinéaste passionnant.

    

L'approche pleine de réserve dont a été jusqu'alors victime Pietro Germi de la part du grand public cinéphile pouvait en partie s'expliquer par sa personnalité insaisissable : comme le résume la formule de l'historien du cinéma italien Mario Sesti, « Germi n'avait que deux moyens de communiquer : la colère et le cinéma. » Solitaire, entier, fidèle dans ses amitiés comme dans ses rancoeurs, Germi s'est ainsi progressivement formé l'image d'un cinéaste autoritaire et difficile à cadrer. Sa filmographie n'aide d'ailleurs pas à le faire rentrer dans une quelconque case, et l'évocation du registre de la « comédie italienne » à laquelle nous avons auparavant cédé était déjà fortement réductrice : Germi a en effet débuté à la fin des années 1940 comme bon nombre de ses contemporains dans un registre néo-réaliste, avec notamment Les Chemins de l'espérance, drame social évoquant le chômage des mineurs siciliens. A l'instar par exemple d'un Vittorio de Sica, c'est au tournant des années 1960 qu'il commence à s'orienter vers la comédie ; mais alors que le réalisateur du Voleur de bicyclette s'y limite à la sage application des recettes efficaces réclamées par sa production (notamment Carlo Ponti), Germi y exprime une férocité et une énergie dévastatrices qui vaudront par exemple à Ces messieurs-dames d'être copieusement hué lors de la proclamation de sa Palme d'Or cannoise. Germi, rétif au cirque médiatique, ne cherchera jamais à adoucir son goût pour la polémique ; et si, de fait, il faut trouver au sein de sa filmographie un fil conducteur, c'est bien cette rage sociale avec laquelle il empoigne ses sujets, indépendamment de leur registre. Il a parfois été reproché à Germi, vers la fin de sa carrière, d'être trop démonstratif, un peu trop direct dans la manifestation de son indignation ; mais outre le fait que la comédie italienne n'a jamais été le genre de la modération (c'est même un contresens), ses films brillent toujours d'un éclat particulier grâce à la finesse de leur écriture (ses scénarios auront été récompensés 7 fois, sur 18 films, par le syndicat des journalistes italiens) et par l'acuité de leur regard. C'est donc à une véritable (re)découverte comme il ne s'en offre que peu dans une vie de cinéphile que nous convions les lecteurs chez qui le nom de Pietro Germi n'évoque qu'un vague écho, au travers un parcours de quelques films aussi variés qu'admirables.

  

Les Films de Pietro Germi sur DVDClassik

Par Antoine Royer - le 24 octobre 2010