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Portraits

portrait de mikio naruse

S’il est aujourd’hui encore injustement méconnu du public occidental malgré plus de 80 films au compteur réalisés entre 1930 et 1969, année de sa mort, Mikio Naruse y est aussi pour quelque chose. Il n’a en effet jamais cherché à attirer l’attention sur lui et ne s’exprimait pratiquement pas. Réalisateur silencieux et très secret, alors que le cinéma japonais commençait à s’exporter plus facilement dès la fin des 70’s, il fut ainsi un peu relégué dans l’ombre par la publicité faite autour d’un autre cinéaste de l’intimisme familial, plus disert et œuvrant lui aussi dans le ‘Shomin-Geki’ (films sur les gens d’origine modestes), Yasujiro Ozu. Il faudra attendre 1983 pour que les premiers films de Naruse traversent les frontières occidentales et arrivent jusqu’à nous, leurs diffusions restant malgré tout encore restreintes à quelques projections de festivals. Il est pourtant dans son pays considéré comme l’un des cinq indiscutables maîtres du cinéma national de l’âge d’or classique aux côtés d’Akira Kurosawa, Kenji Mizoguchi, Tomu Uchida et Yasujiro Ozu.

Né à Tokyo en 1905 dans une famille pauvre, Mikio Naruse n’aura pas une enfance heureuse et sera toujours complexé par ses origines qui feront de lui un éternel pessimiste ; l’idée que le vrai bonheur puisse exister sur cette terre ne lui viendra que rarement à l’esprit et il choisira, comme le feront la plupart de ses personnages, de vivre simplement et de se résigner à son sort sans rechercher une quelconque gloire ou reconnaissance, accomplissant son travail du mieux qu’il aura pu avec une conscience professionnelle jamais prise en défauts. En 1927, il s’intègre au groupe des jeunes assistants qui se formèrent au sein de la Shochiku à l’école de Yasujiro Shimagu. Ce stage d’assistant dure à peine deux ans puisque Chambara Fufu, son premier film en tant que réalisateur est entrepris dès 1929. Fortement influencé par le cinéma dramatique américain de la fin du muet (Borzage, Sternberg, Hawks…), dès le début des années 30 Naruse met en scène des mélodrames (encore muets) où les femmes subissent déjà des sorts contraignants. Mais c’est seulement après une longue période d’effacement (les connaisseurs de son œuvre comme Donald Ritchie ou Lindsay Anderson parlant même de médiocrité) qu’il revient à la surface dans les années 50 avec Le Repas (Meshi) faisant du même coup ressusciter le ‘Shomin Geki’. A partir de ce film et surtout l’année suivante avec La Mère (Okaasan), son œuvre aujourd’hui encore la plus connue, il explore alors systématiquement toutes les facettes d’un cercle familial toujours en crise, devenant le cinéaste de la souffrance et de la douleur atténuées cependant par des échappées furtives mais bien réelles sur le bonheur ‘illusoire’ entrevu.

Son absence totale d’ambition fait immédiatement de lui l’employé modèle car il ne refuse aucune des commandes des studios. Pris dans les tourments du quotidien, ne voyant aucun espoir dans son avenir, il ne proteste jamais devant aucun projet proposé, mais une fois lancé dans un tournage, il devient inflexible et intransigeant, n’acceptant quasiment aucun changement. Il possède tout le découpage de ses films en tête dès le premier tour de manivelle et ne dévoile son story-board à quiconque de ses collaborateurs. Ne donnant pas plus d’indication à ses acteurs, il se concentre uniquement sur son script et peut ainsi arriver à tourner très vite, ce qui explique le nombre impressionnant de ses réalisations. Il donne ensuite une très grande importance au montage qui doit selon lui donner le rythme idéal à ses œuvres. Réalistes sans jamais sombrer dans le misérabilisme, mélodramatiques sans jamais aucune grandiloquence, engagés mais rarement militants, les films de Naruse sont extrêmement nuancés et empreints d’un bel humanisme. Sans aller jusqu’à l’analyse clinique, ils observent avec minutie et lucidité et décrivent sans concessions les problèmes des gens de conditions sociale modeste et suivent l’évolution du Japon moderne ; en cela sa prolifique œuvre est sociologiquement très importante. Cinéaste éminemment pessimiste, ses films s’en ressentent fortement et, si ses personnages tentent de revendiquer individuellement le droit au bonheur, ceci n’aboutit la plupart du temps sur aucune échappatoire à leur quotidien étriqué et monotone.

Si elles abordent souvent les mêmes thèmes et utilisent la même famille d’acteurs, les œuvres de Mikio Naruse se révèlent bien plus sombres que les drames familiaux et intimistes de Yasujiro Ozu et développent un style et un ton totalement différents ; pour cette raison, c’est à tort que certains cherchent à confondre les deux cinéastes. Il est même tout à fait possible d’admirer l’un et ne pas apprécier l’autre (ce qui n’est cependant pas mon cas). Chez Naruse, nous ne retrouvons pas comme chez Ozu ce sentiment de plénitude, cette poésie du quotidien et des objets, cette atmosphère à la fois triste et apaisante, ‘guillerette’ et mélancolique comme hors du temps. Son cinéma est bien plus rude, les dialogues plus triviaux, les protagonistes masculins souvent bien moins sympathiques ; Naruse ne cherche pas systématiquement à créer l’empathie ni à caresser le spectateur dans le sens du poil. Stylistiquement aussi, leurs films se reconnaissent facilement. Dans les années 50, Mikio Naruse, contrairement à Ozu, découpe ses films en plans relativement courts, les rythme par un montage rapide et d’imperceptibles mouvements d’appareils, multiplie les lieux et filme souvent les extérieurs, caméra à l’épaule (il fait beaucoup marcher ses personnages). Mais ne cherchons pas plus à mettre en comparaison ni en compétition deux cinéastes aussi importants l’un que l’autre si ce n’est pour faire voir qu’ils ne sont pas aussi interchangeables qu’on a voulu nous le faire croire et réparons immédiatement un oubli assez sérieux en ce qui concerne le cinéaste qui nous préoccupe ici. En effet, nous n’avons pas encore évoqué le plus important : Naruse est avant tout, comme Cukor l’est pour les Etats Unis, le cinéaste de la femme. Le Repas, Nuages flottants, Nuages d'été... trois exemples - parmi bien d'autres - pour nous le prouver, chacun d'eux nous offrant de superbes portraits de femmes japonaises, personnages simultanément interprétés par trois magnifiques actrices : Setsuko Hara (Michiyo), Hideko Takamine (Yukiko) et Chikage Awashima (Yaé).

Par Erick Maurel - le 28 septembre 2006