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Livres

L'HUMANISME
D'APRES-GUERRE
JAPONAIS

Numéro dirigé par Mathieu Li-Goyette
Préface de Claude R. Blouin
Illustrations de Vincent Giard

391 pages
Editions Panorama.cinéma
2e édition, 1er trimestre 2011

ANALYSE ET CRITIQUE

Excepté quelques ouvrages généralistes et des biographies consacrées à des réalisateurs incontournables, il existe très peu de livres en langue française sur le cinéma japonais de patrimoine. Alors que la Cinémathèque Française et la Maison de la Culture du Japon à Paris organisent régulièrement des cycles sur des studios ou des thématiques précises, le monde de l’édition ne suit pas, sans doute par manque d’audience. Dépité, le cinéphile nippophile doit se tourner vers l’anglais pour étancher sa soif de connaissance. Dans ce contexte, nous ne pouvons que saluer l’initiative des Canadiens de Panorama.cinema d’avoir édité, en 2010 L’humanisme d’après-guerre japonais, ouvrage collectif consacré à un courant important du cinéma japonais des années 50 et 60.

Encadrés par une introduction et une conclusion de Mathieu Li-Goyette, étudiant à l’Université de Montréal et responsable du numéro, le livre est composé de 12 parties, consacrées à 11 réalisateurs. A côté de grands noms connus en Occident comme Akira Kurosawa, Kenji Mizoguchi, Yasujirô Ozu ou Mikio Naruse, on trouve des cinéastes moins cotés : Sadao Yamanaka, Hiroshi Shimizu, Keisuke Kinoshita, Masaki Kobayashi, Kon Ichikawa, Kaneto Shindô et Hiroshi Teshigahara.

Dans son approche classique, définie notamment par Donald Ritchie, le courant humaniste japonais débute après la Deuxième Guerre Mondiale. En réaction aux années de censure et de nationalisme, et influencés par les directives du commandement américain d’occupation, de nombreux réalisateurs japonais mirent l’individu au centre de leurs récits. Ils se concentrèrent sur ses difficultés quotidiennes, sur les problèmes d’une société en évolution, sur les traumatismes de la guerre. Animés d’une grande foi dans la nature humaine, ils insistèrent sur l’authenticité des personnages décrits.

Stylistiquement proche du cinéma des années 30 et 40, les films humanistes furent attaqués dans les années 60 par de jeunes réalisateurs n’ayant pas fait la guerre, notamment Nagisa Ôshima et Yoshishige Yoshida. La nouvelle vague japonaise défia le cinéma humaniste de leur aînés, tant stylistiquement que thématiquement. La mort de plusieurs grands réalisateurs humanistes (Mizoguchi en 1956, Ozu en 1963, Shimizu en 1966, Naruse en 1969), la désaffection croissante du public envers les salles de cinéma au profit de la télévision et la faillite, suite à l’échec de Dodes'kaden en 1970, de la société de production montée par Kurosawa, Kobayashi, Ichikawa et Kinoshita signèrent la fin du courant humaniste.

La reconnaissance du cinéma japonais en Occident est fortement liée à ce courant. Elle date du début des années 50, avec l’arrivée dans les festivals de films en costume (jidai-geki) de Kurosawa et Mizoguchi. En France, ces deux réalisateurs suscitèrent des passions contradictoires, le premier étant soutenu par Positif, le second par Les Cahiers du Cinéma, dans des débats caractérisés par un aveuglement impressionnant : en 1957, les Cahiers n’hésitaient pas à tirer à boulets rouges sur la rétrospective Kurosawa à la Cinémathèque, Luc Moullet qualifiant L’Ange Ivre de médiocre et Vivre de ridicule.

Les critiques et le grand public mirent beaucoup de temps à sortir d’une vision exotique du cinéma japonais, circonscrite aux geishas et aux samouraïs : Ozu dût attendre la fin des années 70 pour une reconnaissance posthume en France, et Naruse ne gagna ses galons que durant les années 2000. Pour les autres, malgré le remarquable travail d’éditeurs comme Carlotta et Wild Side en France, Criterion aux Etats-Unis, BFI et Eureka en Grande-Bretagne, seuls quelques-unes de leurs œuvres sont disponibles en vidéo avec sous-titres en langue occidentale.

Partant du constat de la méconnaissance assez générale du cinéma nippon, les auteurs de L’humanisme d’après-guerre japonais ont choisi une approche didactique. Pour comprendre les racines du mouvement et examiner le début de carrière d’Ozu et Mizoguchi, ils ont décidé de remonter aux années 30, le premier âge d’or du cinéma japonais. Pour chaque réalisateur, l’ouvrage présente plusieurs films, parfois précédés d’un chapitre biographique. A quelques exceptions, les titres étudiés existent en DVD français ou américain, évitant au néophyte la frustration de l’inaccessibilité. Bien qu’assez intéressantes dans l’ensemble, ces présentations de films occupent une trop grande place, les trois cinquièmes du livre. Leur enchaînement crée chez le lecteur un certain ennui, accru par un style parfois légèrement pesant et des textes d’un intérêt variable. Coutumiers de la critique cinématographique sur Internet, les auteurs s’aventurent dans un exercice périlleux : la logique papier diffère de la logique numérique, où l’internaute vient picorer, et il est beaucoup plus difficile dans le premier cas de conserver l’attention du lecteur sur la longueur. Les présentations générales des réalisateurs s’avèrent plus réussies : elles mettent en avant les différentes thématiques, replacent le réalisateur dans le contexte de son époque et dans le paysage cinématographique japonais.

Enfin, deux entretiens sont proposés, avec Claude R. Blouin, spécialiste canadien du cinéma japonais, et avec Hiroshi Teshigahara. Le premier constitue le cœur de l’ouvrage : il lui fournit sa raison d’être, dresse des parallèles intéressants entre plusieurs réalisateurs, resitue la place du cinéma japonais en Occident. L’érudition de Claude R. Blouin est impressionnante et nous regrettons qu’il n’ait pas écrit plus de chapitres. L’entretien avec Hiroshi Teshigahara, peu lié à la problématique générale, s’avère passionnant. Il porte sur le tournage d’un de ses films les plus connus en Occident, La femme des sables.

Nous finirons sur une petite déception. Le livre manque de logique d’ensemble, il donne souvent une impression de critiques et présentations collées bout-à-bout sans réelle unité. Il n’y a pas de définition claire de l’humanisme, pas d’explication du rattachement des divers réalisateurs à ce courant. En outre, la contextualisation historique est très légère, chose étonnante pour des films tellement ancrés dans leur époque. Au vu du titre, nous nous attendions à un recueil permettant de mieux comprendre le courant dans sa diversité, non à une juxtaposition de présentations de films et de réalisateurs.

Malgré ces réserves d’un amateur tatillon, L’humanisme d’après-guerre japonais reste un livre bienvenu dans un paysage éditorial francophone pauvre sur le sujet et nous encourageons les jeunes auteurs à poursuivre dans cette voie. Nous le recommanderions particulièrement au novice désireux de se familiariser avec une partie du cinéma japonais des années 30 à 60 qui, pour éviter tout effet de lassitude, pourra se concentrer dans un premier temps sur les présentations et interviews.

Par Jérémie de Albuquerque - le 6 septembre 2012