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Livres

James Stewart,
une biographie de l’Amérique

Un livre de Jonathan Coe

Edition des Cahiers du Cinéma

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Analyse et Critique

A l’instar de David Lodge ou Nick Hornby, Jonathan Coe est un des romanciers anglais les plus appréciés en France. De Bienvenue au Club à Une touche d’amour en passant par Testament à l’anglaise, ses livres connaissent un vif succès de librairie et sont adulés par la critique littéraire. Avant d’écrire son premier roman, Coe a été journaliste pour l’hebdomadaire anglais : The New Statement. Au sein de cette rédaction, il fut en charge de la critique cinéma et rédigea de nombreux articles consacrés à l’actualité du septième art. Amoureux du cinéma, Jonathan Coe porte également une grande affection pour les classiques du genre et, au début des années 90, la maison d’édition londonienne Bloomsbury lui propose de rédiger une biographie d’Humphrey Bogart.

C’est peut-être sur ce point que l’honnêteté intellectuelle de Coe présente sa première faille : il accepte ce projet alors qu’il avoue dans l’entretien donné à Marie-Anne Guérin des Cahiers du Cinéma (en première partie de l’ouvrage consacré à James Stewart) : "J’ai accepté sans passion. Bogart n’a jamais été un de mes acteurs préférés". Cette remarque est assez surprenante venant d’un artiste qui se qualifie de cinéphile. On a évidemment le droit de ne pas aimer Bogart, mais le respect imposerait qu’on ne lui consacre pas un ouvrage sans ressentir la moindre passion à son égard !

Paradoxalement, le livre est un succès et Bloomsbury lui demande d’écrire une nouvelle biographie consacrée cette fois à James Stewart. Ce projet enthousiasme Coe qui est un admirateur de Stewart et il accepte le projet sous les conditions imposées par Bloomsbury : rédiger un ouvrage chronologique et biographique. Edité en 1994 en Angleterre sous le titre James Stewart : Leading Man, l’ouvrage décrit la carrière du comédien dans les "grandes largeurs". Coe ne s’attarde malheureusement pas sur les premières expériences théâtrales et cinématographiques de Stewart : il les survole pour se concentrer sur ses interprétations les plus connues. Agrémenté d’une vingtaine de photographies noir et blanc, le livre prend alors la forme d’un catalogue filmographique assez répétitif et peu passionnant. Avec quelques pages consacrées à chaque film et de rares anecdotes sur la vie du comédien, Coe semble avoir oublié l’aspect biographique que lui commandait Bloomsbury. Le titre du livre en français James Stewart : une biographie de l’Amérique paraît alors exagéré : non seulement Coe ne décrit pas l’histoire américaine dans son ouvrage mais il ne relate pas non plus (ou si peu) l’histoire de James Stewart ! Le lecteur friand d’anecdotes et d’informations rares ne trouvera pas ici un travail d’investigation semblable à celui de l’ouvrage de Sperber et Lax qui ont magnifiquement mis en parallèle le destin de Bogart avec les évènements de l’histoire américaine dans leur biographie de Bogey (1) ou de celui de Nick Tosches qui en fit de même avec Dean Martin dans son fameux Dino (2).

Les admirateurs de Stewart se contenteront donc d’une succession de critiques qui donnent parfois envie de partager l’enthousiasme de Coe (son chapitre sur L’Odyssée de Charles Lindberg de Billy Wilder est remarquable sur ce point) mais qui peuvent agacer au plus haut point ! Lire que Ford est un réalisateur révisionniste ou que L’homme qui tua Liberty Valance est un film anti-pacifiste pourrait donner la nausée aux moins cinéphiles d’entre nous. Les attaques contre le conservatisme de Ford sont d’autant plus choquantes que Coe fait l’apologie de Stewart pendant plus de 200 pages. Il rappelle pourtant que le comédien fut l’un des grands défenseurs de la guerre au Viêt-Nam, un soutien politique de Nixon et un ami des Reagan… Enfin, si Coe avait la décence d’argumenter correctement son propos, il y aurait matière à débat ; mais il se perd dans ses références au film de Ford et fait de grossières erreurs comme affirmer que Tom Doniphon (le personnage interprété par John Wayne dans Valance) clame "C’est ça l’Ouest Monsieur, même quand la légende devient réalité, elle reste toujours une légende". Les amoureux de Ford et n’importe quel cinéphile le sait, ce n’est pas le Duke qui lance cette célèbre remarque mais le journaliste local et la phrase n’est pas exactement celle que Coe raconte, mais "Quand la légende devient réalité, imprimez la légende". (3)

En tant qu’ancien journaliste Jonathan Coe devrait avoir la décence de vérifier ses sources et d’étayer ses propos avant de partir dans de telles considérations ! On pourra toujours l’excuser en pensant qu’il avait déjà l’âme d’un écrivain de fiction. Il est donc conseillé de se précipiter sur ses romans et d’éviter cette biographie de pacotille qui, de surcroît, est vendue à un prix élevé !

(1) Dino, La belle vie dans la sale industrie du rêve, Nick Tosches (2001), Edition Rivages
(2) Bogart, A-M Sperber et Eric Lax, Editions Belfond
(3) La phrase exacte est prononcée par le personnage du journaliste : "This is the west, sir. When the legend becomes fact, print the legend".

Par François-Olivier Lefèvre - le 9 septembre 2004