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Interviews

Aux côtés des noms des jeunes réalisateurs américains qui émergèrent dans les années 70, on retrouve presque systématiquement celui d'un brillant directeur de la photographie : Vilmos Zsigmond. Tous ou presque firent appel à lui : Altman, Boorman, De Palma, Spielberg, Schatzberg ou Cimino. Le prodige hongrois est un homme indispensable pour donner à ses réalisateurs la nouvelle photographie qu'ils attendent pour leur cinéma. Zsigmond sera distingué aux Oscars, pour son travail sur Rencontres du Troisième Type, et reste un nom incontournable du cinéma moderne.

A l'occasion de la ressortie en salle de The Rose, de Mark Rydell, nous avons eu le privilège de rencontrer Vilmos Zsigmond pour un entretien. A 85 ans, l'homme est généreux et passionnant, et nous avons hélas manqué de temps pour évoquer tous les thèmes que nous souhaitions aborder, ce qui ne fait que renforcer notre espoir de prolonger l'entretien prochainement.

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L'ENTRETIEN

Que retenez-vous de vos années d'apprentissage en Hongrie ?

L'école de cinéma était intéressante. Il y avait vraiment d'excellents professeurs, de très bons directeurs de la photographie et ils étaient tout sauf égoïstes. Ils nous apprenaient tout ce qu'ils pouvaient. On pouvait s'exercer après les cours, utiliser le matériel, poser des questions...
Après quatre années passées dans cette école, la Révolution éclata. C'était en 1956. J'ai quitté le pays et suis allé en Amérique. Je ne pouvais pas travailler immédiatement, j'ai dû apprendre la langue, etc. Mais ce que j'avais appris à l'école de cinéma était suffisant. J'ai finalement réussi à avoir des contacts avec de jeunes réalisateurs. Et une sorte de Nouvelle Vague est arrivée, de nouvelles façons de faire des films. Avec Lazslo Kovacs, mon ami,  on a eu la chance d'être là, à ce moment-là, ensemble. Des jeunes cinéastes voulaient faire des films réalistes à la manière européenne, ceux de la Nouvelle Vague française ou ces films italiens. Pour nous, ce fut facile de démarrer, on a eu de la chance de pouvoir profiter de cette tendance. Laszlo a fait Easy Rider et j'ai commencé à travailler avec Brian De Palma, Steven Spielberg, Jerry Schatzberg, Robert Altman...

Ils demandaient une vision plus européenne...

Oui, ils avaient besoin de quelque chose de différent, de neuf. C'était une époque où l'on faisait beaucoup de bons films, que le public aimait voir, et qui rapportaient de l'argent. C'était l'âge d'or des bons films ! (Rires)

Votre art se caractérise en partie par votre usage de la lumière naturelle et son aspect diffus et organique. Vous aimez lui donner de la matière. Est-ce un goût que vous avez manifesté très tôt dans votre carrière ou cette approche s'est-elle développée en travaillant avec différents cinéastes ?

Vous savez, cela est surtout lié à tous ces merveilleux films italiens que j'étudiais à l'école de cinéma, ceux de Vittorio de Sica, qui parlaient des gens. C'était la même chose en France avec la Nouvelle Vague. Les Américains ont vraiment appris de ces cinémas-là car il y avait une vraie profondeur, un réalisme représentant la "vraie" vie. Pour moi, à cette époque, faire des films c'était parler des gens. Et ça a duré quelques temps.

Considérant les liens forts qui vous unissent à Laszlo Kovacs, vous êtes-vous aidés mutuellement pour vous adapter au style de vie et de travail aux USA ?

Avec Kovacs, on a fui la Hongrie ensemble. Et nous nous sommes entraidés en arrivant en Amérique, on s'échangeait les jobs. Quand on me proposait un travail alors que j'étais déjà occupé quelque part et que je ne pouvais me libérer, je suggérais Kovacs en disant qu'il était meilleur que moi. Il faisait la même chose avec moi. On était plus que des amis, nous étions comme des frères. On a passé de merveilleux moments ensemble et cela a duré longtemps.
Mais vous savez, la façon de travailler des Américains n'est pas si différente finalement. La seule chose qui m'a troublé au début, c'est que je ne pouvais pas manipuler la caméra. Aux Etats-Unis, il y a à la fois un directeur de la photographie et un opérateur pour la caméra. J'ai dû m'y habituer car en Europe (sauf en Angleterre où, par chance, n'ai jamais eu à travailler) cela se fait plutôt seul. En Amérique, je devais trouver un moyen de tromper tout le monde : j'engageais un opérateur et je lui disais dès le début que, s'il serait crédité et payé pour ce travail, c'est moi qui manipulerais la caméra. En même temps, j'étais pénalisé par le syndicat car je faisais quelque chose d'illégal. Aujourd'hui, je pense qu'il n'y a plus ce genre de problèmes car Roger Deakins, par exemple, est aussi opérateur de sa caméra. Et personne ne vient l'ennuyer.

Dans les grands films auxquels vous avez participé, vous avez donné une poésie aux paysages naturels américains comme peu de directeurs de la photographie l'ont fait. Est-ce que votre nature d'étranger a joué un rôle important dans le regard que vous portez sur ces paysages ?

Je crois que c'est toujours une bonne chose d'être dans un autre environnement que celui dans lequel on a débuté. Venant d'Europe, vous voyez différemment les paysages américains que si vous y étiez né. C'est la même chose si vous allez en Amérique du Sud, en Afrique où vous voyez des paysages différents. Par exemple, je devais tourner un film sur des lions, en Afrique, avec un climat totalement différent (L'Ombre et la proie en 1996). Vous êtes obligé de regarder d'une autre manière que les habitants du lieu. C'est très bien de voyager, c'est nécessaire.

En fonction de ces nouveaux lieux, ajustez-vous votre travail, modifiez-vous vos méthodes, votre façon de travailler la lumière ?

En venant en Amérique, on a trouvé de bien meilleurs équipements d'éclairage et de prise de vues, et en nombre. Cela nous a facilité la tâche car les progrès techniques permettaient d'être plus mobiles, comme les Steadicams. Les petites caméras Panaflex nous ont permis de filmer à l'intérieur des voitures de police dans The Sugarland Express. Tout cela a aidé à montrer quelque chose de différent.

Comment réagissez-vous au fait que vous soyez considéré aujourd'hui comme l'un des artistes les plus importants du cinéma des années 70, au même niveau que les cinéastes de cette époque ?

Je crois que c'est surtout la façon de faire des films qui a changé durant ces années. Il fallait savoir capter les nouvelles choses qui arrivaient. Je ne saurais pas expliquer pourquoi, c'est une époque où on a commencé à tourner de nouveaux genres de films. Mais je ne dis pas que c'est grâce à moi ou Laszlo que tout a changé, nous étions simplement là au bon moment. C'est toute l'industrie qui a changé en faisant plus de films sur les gens, leurs problèmes, plus de réalisme, moins de comédies musicales ou comme aujourd'hui de films à effets spéciaux. Il y a un vrai problème de nos jours parce tout le monde fait des films à effets spéciaux. C'est une folie de tout faire en fond vert au lieu de sortir tourner en extérieur, dans les rues par exemple. Je n'aime pas ça, peut-être que ça s'arrêtera... Cela a une influence sur les histoires, ce qui est le plus important. Aujourd'hui, les films parlent de gadgets, d'explosions, de je ne sais combien d'accidents. C'est fou. J'aimerais qu'on revienne à des films à l'ancienne. 

Revenons à vos premières années en Amérique. Comment se sont faits vos débuts à Hollywood ? Pendant des années vous avez travaillé sur des films de genre commerciaux à petit budget. Comment êtes-vous passé de ces productions à un film aussi important que McCabe and Mrs Miller de Robert Altman ?

C'était au tout début de ma carrière. C'est grâce à Robert Altman que tout a vraiment commencé. C'était un génie. Il aimait utiliser les zooms optiques, il m'a beaucoup appris. Il faisait des films vraiment différents des autres. Un jour il est venu vers moi et m'a dit "Faisons un film qui ressemble à un vieux film, tournons-le comme si on avait une caméra de 1890." Il voulait quelque chose qui paraisse ancien, délavé, presque rayé et moche. En flashant la pellicule, on a pu donner cet aspect si différent que tout le monde a aimé. Le studio a détesté mais la critique a adoré et le public a trouvé cela intéressant. Altman cherchait quelqu'un pour obtenir la photo qu'il souhaitait et j'ai pu lui apporter des réponses.

Est-ce que Robert Altman vous laissait une liberté d'action ? Etait-il très directif ?

Au tout début, il m'a appris comment utiliser les zooms optiques. Il aimait beaucoup ces zooms, c'était plus simple pour lui, cela lui permettait de se déplacer plus rapidement. Et pour moi, c'était très pratique parce que je détestais changer tout le temps les objectifs sur les caméras. Tout était plus simple et plus rapide avec les zooms. Il m'a appris une certaine façon de travailler. J'aime travailler avec ce genre de personnes, flexibles, qui peuvent changer de style d'un film à l'autre. J'aime travailler avec des inventeurs qui veulent obtenir quelque chose de différent.

Après avoir travaillé avec tous ces grands réalisateurs et photographié tous ces films, qu'est-ce qui vous motive aujourd'hui ? Avec qui souhaiteriez-vous travailler ? Un réalisateur débutant, quand la plupart des films se font sur fond vert ?

J'aimerais tourner des films à la montagne et pas devant un fond vert ! J'ai fait un film en Hongrie qui comportait 70 plans en fond vert censés se dérouler sur la plage en Floride et nous avons tourné à Budapest ! (Rires) J'aimerais revenir à des vrais films, de vraies personnes, de vraies rues... Ca ne me gêne pas de tourner en fond vert si on n'a pas pu trouver le lieu adéquat. Selon certains, cela coûte moins cher. Je penserais plutôt le contraire... Je crois que c'est surtout de la paresse. 


Entretien réalisé par Stéphane Beauchet et Philippe Paul le 14 juin 2015 à Paris avec le support de Ronny Chester. Nous remercions Vilmos Zsigmond pour son accueil chaleureux, ainsi que Marc Olry et Stéphane Ribola, et toute l'équipe de Lost Film, qui ont rendu possible cette rencontre.

DANS LES SALLES

THE ROSE
UN FILM DE MARK RYDELL (1979)

DISTRIBUTEUR : LOST FILMS
DATE DE SORTIE : 29 JUILLET 2015

La Page du distributeur

La Chronique du film


1969. Mary Rose Foster (Bette Midler) est une rock star adulée, rebaptisée The Rose. Malgré son succès, c’est une femme esseulée et au bout du rouleau, vidée aussi bien physiquement que moralement par la vie qu’elle mène, sous l’emprise de l’alcool qui a remplacé la drogue. Elle fait part à son manager, Rudge Campbell (Alan Bates), de son souhait de prendre une année sabbatique afin de se refaire une santé. Tenant entre ses mains la poule aux œufs d’or, ce dernier, plus intéressé par le profit que par la santé de sa protégée, refuse d’accéder à sa demande et la pousse au contraire à peaufiner le concert qu’elle doit donner sur les lieux de son enfance en Floride... (Lire la suite)

Par Stéphane Beauchet, Ronny Chester et Philippe Paul - le 30 juillet 2015