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Interviews


Philippe Garnier a toujours une bonne histoire à raconter ou un bon tuyau à donner. Pour certains, il est l’homme, le passeur à qui l’on doit les découvertes (et parfois les traductions) en France de Charles Bukowski, John Fante, Cormac McCarthy ou encore Nick Tosches. Pour d’autres, il est le premier dans Rock’n Folk à avoir parlé du Gun Club, de R.E.M et de Chris Isaak. Il a écrit une bio très personnelle sur David Goodis et consacré une étude aux scénaristes hollywoodiens des années 30 et 40. Pendant plus de vingt ans, il a été le correspondant à Los Angeles (où il vit toujours) de Libération. Il se décrit lui-même comme un enquêteur, un détective du cinéma plutôt qu’un historien, un spécialiste, voire un critique. Ce qui l’intéresse, c’est de démystifier les légendes en leur donnant un ancrage bien réel. Ceux dont il aime parler, ce sont généralement les seconds couteaux, les ouvriers de l’ombre, les oubliés de l’écran comme Gloria Grahame ou encore Edmond O’Brien auxquels il consacra un bel ouvrage : Caractères, Moindres Lumières à Hollywood chez Grasset. On n’oubliera pas non plus les entretiens qu’il offrit dans Cinéma Cinéma ou les nécros qu’il consacra à certains de ses héros, comme celle fort émouvante qu’il écrivit sur Sterling Hayden qu’il avait rencontré quelques années auparavant dans sa péniche au bord de la Seine. La dernière fois que l’on avait entendu parlé de lui, c’était à propos d’une bio sur Grover Lewis et le gonzo journalisme. Cette fois, Philippe Garnier, fidèle à lui même, était revenu faire un tour en France pour une double actu complètement hors de l’actualité. Il présente ainsi avec Eddy Muller une sélection de perles noires et autres raretés du crime à la Cinémathèque Française. Mais aussi un livre qu’il vient d’écrire pour accompagner un coffret DVD de deux westerns de Richard Sarafian (Le Convoi Sauvage et Le Fantôme de Cat Dancing) chez Wild Side et qui sort le 7 juillet. Déjà, il y a un an, il en avait composé un autre pour la sortie de La Chevauchée des bannis d’André de Toth dans la même collection, Classics Confidential. C’était donc l’occasion de l’interroger sur ce travail d’écriture qui consiste à accompagner les DVD de films méconnus, sur sa collaboration avec Wild Side mais aussi pour gratter quelques infos supplémentaires sur le réalisateur de Point Limite Zéro, maverick haut en couleurs qui rejoint la liste de tous les oubliés ou bannis d’Hollywood que Garnier se plait à remettre dans la lumière.

DVDClassik : Après Noir Comme Neige pour La Chevauchée des Bannis, c’est la deuxième fois que tu écris un livre pour la collection Classics Confidential. Qu’est ce qui te plait dans cette collection ?

Philippe Garnier : Ce que j’aime bien dans cette série, c’est qu’on ne travaille pas exclusivement sur le nom d’un auteur. On est plus centré sur le film lui-même. On tente de retrouver des trucs pas forcément trop connus. C’est là que je peux intervenir. Le problème bien entendu, c’est de savoir si on va trouver ou non de la documentation ou une bonne histoire à raconter. Parce que si c’est juste pour ramener ma science, dire si c’est ou non le meilleur western qui a été fait, j’en ai vraiment rien à foutre. Ca, je le laisse à d’autres types sur les bonus. S’il n’ y a pas un minimum d’enquêtes à faire, ça ne m’intéresse vraiment pas. Il se trouve que parfois j’ai vraiment du bol comme sur le De Toth ou sur ces deux westerns de Sarafian. Parce que ça m’est déjà arrivé de ne quasiment rien trouver. Dans ces cas-là, c’est vraiment chiant. On peut toujours dire tout et n’importe quoi, faire monter la mayonnaise et ça m’est arrivé de devoir le faire. Mais je n’en vois pas trop l’intérêt. Et surtout je ne vois pas pourquoi ce serait à moi de faire ça puisque mon truc c’est quand même l’enquête et la petite histoire que l’on ne connaissait pas jusqu’alors.

Le format plutôt court te convient-il ?

45 pages pour un DVD est absolument parfait à mon sens. Quelques pages pour raconter la genèse d’un film, comment ça s’est passé, pourquoi le résultat est tel qu’on le connaît : c’est vraiment génial. Donc là, avec Manuel Chiche, on va sans doute remettre le couvert. Je ne sais pas trop encore sur quoi, peut être sur les deux derniers Lang ? Ce qui a été marrant avec La Chevauchée des Bannis de De Toth, c’est ce que ça a bien marché et on a même dû en passer par la réimpression. Ca m’a fait plaisir. Et ce n’est pas tant grâce au bouquin que grâce au film qui a eu un super bouche à oreilles. Les gens ont aimé parce que le film les a surpris. Même les gens qui n’aiment pas le western ont été étonnés par la façon dont tout ça est goupillé.

Comment as-tu procédé pour Noir Comme Neige ?

Pour le De Toth, trouver l’iconographie a représenté presque la moitié du boulot alors que je ne m’étais jamais occupé de ça auparavant. En trouvant ces photos de scènes qui ne sont pas dans le film, c’est là que l’on voit ce que devait être le film dans l’esprit des producteurs et ensuite ce que De Toth s’est perversement ingénié à ne pas faire. Prenez par exemple la scène avec la comédienne (Tina Louise), ils l’ont mise dans la neige en corset avec un revolver. Tu ne vois pas ça dans le film. Y a même une scène où elle devait être violée dans la neige. C’est là que je m’interroge  sur ce que s’est réellement passé. J’aurais peut être pu de son vivant le demander à De Toth mais je ne suis pas certain qu’il m’aurait donné d’explications, ou alors il se serait sans doute amusé à répondre à coté. De Toth ne répondait jamais directement aux questions. Il avait sa façon bien à lui de dire les trucs. Il y a des cinéastes qui aiment raconter des bobards et qui ramènent tout à eux. Lui, au contraire, il jouait plutôt le modeste. C’était le genre à dire qu’il ne faisait rien, que rien ne lui était dû. Tu pouvais lui dire qu’il avait retravaillé tel scénario, il te répondait qu’il n’en était rien et que d’ailleurs n’importe quel metteur en scène qui ne réécrit pas en partie le scénario est un crétin. C’était sa façon à lui de dire qu’il l’avait fait. A ce propos, j’avais découvert un bobard qu’il racontait sur la manière dont il avait perdu son œil, en Tchécoslovaquie. J’avais retrouvé son passeport français avant qu’il ne quitte la Hongrie et il y avait écrit dedans comme signe particulier: « borgne d’un œil ». C’était avant la Tchécoslovaquie, avant les fameux événements qu’il s’amusait à décrire. Alors, je lui ai montré le fameux passeport et je lui ai demande la vérité. Il m’a simplement répondu : « Je vais vous laisser deviner. » Il était tout le temps comme ça. Il était à la fois bluffé que je pousse l’enquête jusqu’à retrouver ce passeport, pas irrité pour un sou car il trouvait ça plutôt marrant. Mais en même temps, il me laissait quand même me démerder en ne me révélant rien avec cet air de me dire : « Tu en fais maintenant ce que tu veux. »

Et Richard Sarafian ?

Sarafian, c’est un tout autre style de bonhomme. J’avais besoin d’autres infos sur lui pour le bouquin et j’avais du mal à mettre la main dessus parce qu’il était malade à l’époque.

Tu ne l’avais pas rencontré auparavant ?

Si, je l’avais vu une fois ou deux et je l’avais à l’époque interrogé sur Point Limite Zéro, où il racontait toujours les mêmes trucs que tu peux entendre sur le DVD. Quand je l’ai rencontré la première fois, il était plutôt en forme. Je venais de le voir en tant qu’acteur dans le rôle du père de Dylan dans Masked and Anonymous où il a une sacrée présence. Et là, dernièrement au téléphone, j’ai eu un mec peu loquace, qui n’avait absolument pas le désir de bavarder. Puis après, il ne voulait vraiment plus s’arrêter. On sent d’ailleurs chez lui, comme chez De Toth, le type qui aurait vraiment aimé avoir beaucoup plus de reconnaissance. Faut dire qu’il a eu une drôle de carrière parce qu’il a tourné quelques films vraiment intéressants. Même au début. Et après, ça se barre un peu dans tous les sens quand même…

Quel est d’ailleurs son itinéraire ?  Vient-il également de la télé comme pas mal de cinéastes de sa génération ?

Tout commence à Kansas City. Il y avait là-bas une compagnie qui faisait des films industriels. Au lieu de les faire à New York ou à Hollywood, les types les faisaient à Kansas City. C’est là que Robert Altman a démarré, fait ses armes. A cette époque, Altman allait de temps en temps à Hollywood pour faire son Altman, jouer les James Dean. Et Altman a dit à Sarafian : « Faut que tu viennes avec moi. » Ils y ont été en voiture. Altman était raide bourré comme d’habitude à l’époque. Et il a mis quand même le pied à l’étrier à Sarafian. Sarafian a fait des trucs pas mal à la télé dont je parle dans le bouquin, comme Cheyenne, une bonne série western. Ensuite, il y a eu une grande rivalité entre Altman et lui parce que Sarafian a épousé la sœur d’Altman et Altman avait plutôt des rapports… Euh…

Curieux ?

Oui ! Disons de propriétaire sur sa sœur et dès qu’un type s’en approchait, ça n’allait plus. Il y aurait donc eu entre les deux à la fois de la jalousie professionnelle et de la jalousie à propos d’une femme. Il a fini par faire de Sarafian son ennemi public n°1 et n’a plus perdu une occasion de débiter sur lui et de lui en mettre plein la gueule. Alors que Sarafianne disait jamais de mal d’Altman. Je pense que Richard Sarafian, c’est un type qui s’est épanoui grâce ou à cause des contraintes économiques. Par exemple, Point Limite Zéro, c’est le triomphe de ce que tu peux faire avec pratiquement rien, une équipe réduite, sans aides.

Le Convoi Sauvage est une sacrée redécouverte.

Au départ, avec Le Convoi sauvage, j’étais parti sur un autre truc parce que je n’avais pas accès à Sarafian. Donc, j’avais un  vieux souvenir d’un bateau et de Richard Harris. Et moi mon truc, ce sur quoi je partais bosser, c’était l’idée d’un film typique de producteurs parce qu’il y avait eu juste avant Un homme nommé Cheval avec Harris. Et j’avais le souvenir de tous ces films de l’époque sur la sauvagerie, l’Ouest américain. Je ne savais rien sur le film, même pas qu’il avait été tourné en Espagne. Et je pensais que l’homme clé, c’était le producteur qui était en fait un gros faiseur, un brasseur d’affaires, sans grande importance artistique. Et puis je suis tombé sur le script, le scénario en bibliothèque qui m’a énormément surpris. C’était vraiment très bien écrit. Alimenté de tout un tas d’informations dont je fais d’ailleurs part dans le bouquin. On en trouve des dizaines du genre "comment poser un collet". Il y avait un coté cuistre, un peu à ma manière quand j’aime ramener ma science.

Etaient-ce des informations écrites ou ajoutées par Sarafian lui-même ?

Non. C’était écrit comme ça et signé Jack De Witt qui était un professionnel du film d’action. Et là, je me suis dit que ce mec était vraiment bon. En particulier, il y a une description saisissante, émoustillante d’une scène de violence. Tu voyais vraiment la scène. Je me suis donc renseigné sur De Witt et j’ai revu ou découvert d’autres trucs écrits par lui et je suis tombé de ma chaise. Je n’ai pas du tout compris tant il avait  bossé sur des tartignoles, du grand n’importe quoi. Sitting Bull, par exemple, tu meurs après avoir vu ça. C’est d’une connerie ! Tu te demandes comment ce mec a pu faire ça et ensuite Le Convoi sauvage. Auparavant, il avait peut être juste écrit un autre bon film : le truc sur les prisons de femmes avec Ida Lupino (Femmes en prison de Lewis Seiler, ndlr). Quand on lit le scénario du Convoi Sauvage, on sent vraiment qu’il s’est sorti les tripes pour une fois. C’est ce qu’on peut voir à propos des films noirs que nous proposons avec Eddy Muller à la Cinémathèque Française en ce moment : parfois des gars, le temps d’un film, te sortent des trucs vraiment bons. Tout d’un coup, au milieu d’un tas de bouses, ils font un film formidable et on ne sait jamais trop pourquoi. Peut-être que cette fois-ci le sujet les a passionnés, ou alors il y avait un mec qui les faisait bien bosser. Et après ce petit miracle, ils retournent à leur ronron. Ce qui m’intéresse, ce sont donc les films. Les carrières dans le fond je m’en fous. Je n’aime pas trop ça. On en vient à devoir s’occuper de tous les films d’un type, et de devoir justifier même ses plus gros ratages. La plupart du temps, ce sont des mecs qui trouvent un boulot, le prennent et s’en sortent plus ou moins bien. C’est tout.

C’est une manière de te positionner vis-à-vis de la Politique des Auteurs ou de tout un pan de la critique qui cherche à défendre l’intégralité d’une œuvre ?

Il y a effectivement tout un pan de la critique qui m’emmerde, bien qu’aujourd’hui on a un peu dépassé la Politique des Auteurs. Il est aussi vrai que maintenant, il y a beaucoup plus d’efforts pour retourner aux sources, Malheureusement, les universitaires s’y sont mis et ça c’est la pire chose qui pouvait arriver. Ca et les musées, ce sont mes deux bêtes noires. À la rigueur, les vieux universitaires, je comprends qu’ils doivent croûter. Mais l’appropriation du cinéma par les Païni et compagnie, pour moi, c’est la vérole, c’est la grande peste. Ce que je déteste le plus, c’est un film sur un mur qui sert finalement de déco. Et ça, c’est partout maintenant. C’est le sacrilège absolu.

Pour revenir à ma démarche, disons que je préfère enquêter par films. Avant je faisais des petits livrets dans des coffrets DVD et maintenant, c’est un bouquin avec le DVD dedans. C’est une idée complètement zarbi d’un autre cinglé nommé Manuel Chiche. Tant que ce type d’exercices durera, je serais content. En gros, ce que je fais aujourd’hui pour Classics Confidential, c’est ce que je faisais en miniature dans Libé quand j’avais encore les coudées franches. De temps en temps, je pouvais ainsi dire : « Je vais faire un truc sur Pétulia. » Et j’allais me renseigner. Avec le temps, j’ai aussi appris comment avoir les réponses sur les petits détails qui m’intéressent à propos de quelqu’un. Et ce n’est jamais le scénariste, l’acteur ni même le metteur en scène, c’est toujours le producteur qui sait tout car c’est lui qui manipule. Sur Le Convoi sauvage, je ne sais toujours pas quelle a été en fait la part de De Witt et ce qu’a ajouté ou retranché Sarafian.

Sarafian n’avait-il pas un peu honte du premier scénario de Jack De Witt ?

Oui, il craignait surtout que John Huston le découvre comme tel. Il l’a donc réécrit pour que Huston accepte le rôle du Capitaine. C’est ce que m’a dit Sarafian. Vrai ou faux, je ne sais toujours pas mais au vu de la carrière désastreuse de De Witt, on peut se demander s’il n’y a pas un peu de vrai là dedans. Ce serait une des raisons qui expliquerait pourquoi le script est aussi bon. En tout cas, pour moi, il reste un doute.

Le scénario que tu as lu était-il aussi peu dialogué qu’il semblerait quand on découvre le film ?

Vraiment très peu dialogué. Mais peut-être tout de même un peu plus appuyé au niveau du signifiant. Je pense d’ailleurs que Sarafian a gommé très judicieusement par la suite quelques passages hyper explicatifs. C’est ce qui en fait maintenant un film étonnant. Ca jacte au début et puis après il n’y a plus rien, il n’y a que les Indiens qui causent. Bon, il y a deux ou trois voix intérieures dont on pourrait très bien se passer… Même les flash-back sont réussis alors qu’ils m’ont toujours fait tiquer dans Point Limite Zéro parce que je les trouve trop psychologiques, explicatifs et terriblement mal faits. Alors que là, ils sont magnifiques à l’image de ce passage avec sa femme où Harris met sa tête contre son ventre et dit au morpion qu’il va les abandonner.

Ce qui est curieux, c’est que le film a une construction en flash-back et pourtant le flash que l’on attend à propos de sa relation avec le Capitaine (John Huston) ne vient jamais. A la limite, le Capitaine l’évoque mais sans rentrer dans les explications.

C’est vrai. Sarafian avait écrit une scène à ce propos, avec le fils de Harris, qui se passait sur un bateau et où le capitaine forçait le gamin à monter en haut d’un mât d’où il tombait. Cette scène aurait tout expliqué. Mais à mon sens, c’est aussi bien que l’on ne sache pas grand chose sur cette mésentente. Je trouvais l’idée de cette scène trop appuyée. Le film est plutôt étonnant dans ce sens si on le compare par exemple à Jeremiah Johnson de Pollack.

Ou à La Captive Aux yeux clairs. On y songe. Le Convoi sauvage raconte la même traversée mais sur un mode beaucoup plus âpre, cauchemardesque, démystificateur.

Oui, c’est vrai bien que je n’ai jamais aimé ce film de Hawks parce que, comme dans le livre dont il est tiré, les récits de trappeurs sont exagérés et Kirk Douglas en trappeur, je n’y ai jamais cru ! Quant à Arthur Hunnicutt, il en fait trois fois trop. Ca rappelle plus La Rivière de nos amours d'André De Toth pour le coté équivoque  de la nature, qui peut être à la fois régénératrice et mortelle. Sarafian a d’ailleurs un coté mystique, pas religieux mais du genre à te dire : « Pour Point Limite Zéro, j’ai voulu faire un film sur la vitesse. Le héros veut passer dans l’œil de l’aiguille. » Moi, je ne peux pas trop le suivre là-dessus mais il est vraiment comme ça. Pour Le Convoi sauvage, il voulait faire un truc sur l’âme humaine et pas juste un film d’action. C’est pour ça que j’ai appelé le bouquin L’Âme de L’Ouest.

Qu’en est-il du Fantôme de Cat Dancing, le deuxième film du coffret ?

Ce n’est pas du tout la même chose parce que déjà, à l’origine, Richard Sarafian remplace Brian Hutton sur le projet. Il dit avoir lui-même casté Burt Reynolds. Ce que je ne crois pas car c’est sans doute un film qui s’est fait sur le nom de Reynolds.

En sait-on un peu plus sur ce qu’a fait ou tourné Brian G. Hutton ?

Il a fait réécrire le scénario par un autre. J’ai la correspondance d’Eleanor Perry (première scénariste, ndlr). Pour elle, ça a été terrible car le truc lui appartient complètement et elle s’est fait blousée dans les grandes largeurs, d’une manière en plus totalement illogique. Parce qu’elle avait quand même son mot à dire. Elle avait un autre producteur qu’elle avait elle-même choisi et, pourtant, elle a été évincée du projet. MGM ne lui adressait plus la parole. Elle ne pouvait même plus aller sur le tournage. On se dit qu’en tant que productrice, elle aurait très bien pu y aller. Et quoi qu’on en dise, malgré son éviction, le film a été fait grâce à elle parce que c’est une histoire qui lui a parlé. Le film aurait peut être été fait parce que c’était un best-seller, mais tout de même c’est elle qui a réussi à l’avoir. Il y avait une empathie réelle entre elle et Marilyn Durham qui a écrit le roman. Et puis, tout d’un coup, y a un tas de mecs qui débarquent, dont Sarafian, et le film lui échappe. C’est un vrai mystère tout ça. Et comme elle est morte maintenant, on ne peut même pas en savoir un peu plus.

Sarafian dit dans les bonus qu’elle aurait écrit quelque chose là-dessus.

Non. C’est faux. J’ai vérifié quand j’ai entendu ça mais il n’y a rien. Elle s’est effectivement répandue dans la presse. Mais elle n’a jamais écrit ou alors si elle l’a fait, personne ne l’a jamais publié.

Elle a été la femme de Franck Perry.

Elle a d’abord été mariée à un mec de Chicago avec lequel elle écrivait des polars que lui seul signait. En fait, elle a toujours été évincée par ses mecs. Elle s’est mariée avec Perry qui signait aussi seul ses films. Et pourtant, elle l’a secondé à la mise en scène. C’est un peu le cas Bogdanovitch avec Polly Platt. Ces femmes, à tous les niveaux que ce soit, pour le look ou le boulot, elles avaient un input invraisemblable. D’ailleurs, ça peut se vérifier. Dès qu’elles sont parties, les carrières ont dégringolé. Peter Bogdanovitch, c’est même l’exemple parfait.

Avec Le Fantôme de Cat Dancing, tu as découvert pour le coup une histoire de tournage invraisemblable.

Ce tournage a vraiment été rocambolesque. On apprend quand même qu’il y a eu un meurtre. On se demande après tant de péripéties, après le scandale, l’arrivée des médias, comment le film peut aussi bien tenir. C’est presque un miracle, un truc dément. Dis-toi quand même que le film s’est décidé en décembre, que le tournage a eu lieu en janvier et que le truc est sorti en juin.

La distribution est pour beaucoup dans la réussite du film (Burt Reynolds, Sarah Miles, Lee J. Cobb et Jack Warden, ndlr).

C’est vrai qu’il y a une sacrée distribution. A mon avis, Sarafian en est d’ailleurs totalement responsable. C’est vraiment la grande force du film. Parce qu’en fait, l’histoire de l’ancienne femme de Reynolds tuée par les Indiens, ce n’est pas très intéressant. Mais tout ce qui rattache le film à La Chevauchée des bannis de De Toth, c’est tellement mieux. Dans les deux films, il y a un chef qui jongle avec les personnalités de ses hommes. Ca rappelle les histoires de Burt Kennedy pour Boetticher. C’était toujours l’idée d’un déplacement avec de la dynamite. Un chef de bande qui n’aime pas sa bande tel Richard Boone dans L’Homme de l’Arizona. L’histoire d’un type qui, en tant que personnalité, vaut plus que tous les autres réunis. Comme le vieux capitaine dans La Chevauchée des bannis qui a un passé, une histoire et qui veut absolument éviter un nouveau massacre. Ce sont quand même des idées géniales de scénario. Le capitaine sait que Robert Ryan emmène ses hommes à la mort mais il laisse faire.  Pour lui, il n’ y a pas d’autre issue. C’est une grande idée. Quand j’entends encore des gars me dire que c’est un western où il ne se passe rien, je me dis qu’ils passent complètement à coté.  Dans Cat Dancing, il y a une facture très années 70 à coté de laquelle il faut passer outre. J’adore ça mais il y a quand même Burt Reynolds que l’on  identifie vachement à son époque.

Il est pourtant formidable.

 Il y est au moins aussi bien que dans Délivrance.

Revenons à ton travail d’écriture.

Moi, ce que je fais, c’est raconter des histoires qu’on me rapporte ou que je recherche. Je ne suis ni historien ni critique de cinéma. Il m’est arrivé d’en écrire, il le fallait bien sur les Festivals. J’ai bien sûr eu des engouements ou des détestations. Je voulais d’ailleurs bien y aller de mon brûlot. Mais ce que je cherche, ce sont juste des éléments en plus pour mieux apprécier les films. Une bonne critique bien entendu, ça valorise. Mais il y a des gens qui font ça très bien, qui replacent tout dans le contexte historique, qui font leur histoire du cinéma. Je peux le faire mais il y a plein d’autres mecs qui le font mieux que moi. Par contre aller au taf à ma manière, c’est tout autre chose. J’ai en plus le privilège d’habiter dans la mine et de connaître un peu le réseau.  Et pour faire des trucs comme ça, mes connaissances à Los Angeles sont inestimables. Je peux aller chercher dans les archives le journal de tournage ou, par exemple, pour La Forêt interdite de Ray (qui vient de sortir dans la même collection Classics Confidential ndlr) le journal que tenait l’espion de la production. Tu sais, l’ennemi qui raconte à son patron : « Mr Ray a été raide bourré ce jour là…  etc.. » Quand t’as ça, ça colore tout.

Pour le film de De Toth je n’avais pas grand chose par exemple. Et je me suis demandé combien de films avaient été tournés dans le même coin paumé de l’Oregon. Car s’il y a eu un tournage, ça a dû être un sacré événement et on doit pouvoir le retrouver dans le journal local. J’appelle et au bout de quelques temps, une femme à la bibliothèque m’a sorti des documents que j’ai pu photocopier. J’ai  ainsi découvert des tas d’articles. Je n’avais peut être pas tous les secrets de la popote mais ça valait mieux que pas mal de choses que l’on avait pu lire avant. J’ai ensuite parlé à Pierre William Glenn qui a lu mon bouquin et qui me parle du bobard de De Toth comme quoi il aurait fait construire deux mois avant le décor. Glenn m’a dit qu’en tant que chef opérateur, il avait remarqué que la peinture n’était pas fraiche sur les palissades ! Comme quoi, il faut prendre en compte tout un tas de choses : personnalités, contextes etc. Ca explique beaucoup de choses sur des énormités rapportées, colportées depuis des décennies.

Aurais-tu des exemples ?

Evidemment des tonnes. Prends le cas des blackslistés qui ont passé leur temps à raconter leur histoire jusqu’à ce que tout ça devienne un énorme sac de nœuds impossible à démêler. Des mecs comme Rissient, par exemple, ils prêtent totalement foi à ces mecs-là et pour cause. Et ils ne vont pas forcément tout vérifier. Et c’est vrai que ce sont des témoignages directs qui ont donc déjà une sacrée valeur mais, moi, il faut que j’en sache un peu plus, que je vérifie tout. Je crois que le meilleur truc que je n’ai jamais écrit, c’était dans Cinéma, la revue d’Eisenschitz. C’était sur la genèse des Forbans de la nuit de Jules Dassin où j’avais découvert que cela faisait vingt ans que je véhiculais des conneries en pensant que la parole de Dassin était sacrée. Sincère certainement. Mais ils peuvent aussi te raconter des bobards. Dassin disait qu’il avait écrit avec son scénariste le tout à Londres. Ils auraient fait seuls l’adaptation alors qu’il y a eu onze versions du film qui devait d’abord se faire avec Cary Grant.

T’est-il arrivé de réaliser que tu avais toi-même colporté des informations erronées ?

Il m’est arrivé de raconter des trucs sur Bukowski et de me rendre compte après vingt-cinq ans que c’était n’importe quoi. En relisant un bouquin que je fais paraître en octobre, j’ai retrouvé un truc que j’avais écrit dans Metal Hurlant et me suis rendu compte (alors qu’il s’agissait juste d’un détail à propos d’une photo) que c’étaient des foutaises. Pendant 30 ans, je racontais un truc faux simplement parce que c’était une bonne histoire.

Ce qui apparaît surtout quand on te lit, c’est que la statue de commandeur du super auteur s’efface quand même au profit d’une image d’entreprise collective chapeautée par le producteur.

Oui et non. C’est un peu plus compliqué que cela. C’est plutôt ce qu’Eisenschitz dit à propos de Lang : « Il compose énormément. » Un peu comme De Toth qui s’amuse à aller à l’encontre du truc par la mise en scène, en détournant ce qui avait été écrit sur le papier. C’est ça la mise en scène à mon avis. C’est la dernière main. C’est de pouvoir gommer quand c’est trop explicatif. C’est de réussir à dire : « Non, les gens ne sont pas cons, soyons donc plus évocateurs, elliptiques. » Et ça,  c’est un boulot de metteur en scène, d’auteur en fait. C’est ce qu’a fait Sarafian sur ces deux westerns. C’est vrai que je n’aime pas trop ce truc d’auteur car ça te fait justifier des trucs invraisemblables alors que ça ne vaut pas toujours grand chose.

Ecrire sur un film qui est fourni avec le DVD, comment cela se passe-t-il ?

C’est très gratifiant. Parce qu’avant, j’écrivais sur des trucs que les gens allaient devoir encore attendre des années pour les voir. Donc c’était difficile, il fallait véhiculer le maximum sur le film. Manuel me demande d’ailleurs parfois que je raconte un peu plus le film, l’histoire. Mais comme les gens peuvent maintenant regarder le DVD avant de me lire, je ne vois pas trop l’intérêt de raconter. Et de ne pas avoir à faire ça, ça me libère. Je pense pour ma part que pour me lire, il faut d’abord voir le film parce que mes livres sont juste faits pour amener plus de plaisir après.

C’est vrai que de te lire avant de voir le film, c’est quasi impossible. On est complètement paumés.

C’est ce que Manu me reproche, de parler trop aisément d’un personnage comme si tout le monde le connaissait déjà. J’ai eu un peu le même souci quand j’avais bossé sur le coffret Fleischer avec Tavernier. Parfois le boulot sur les DVD est vraiment mal fait. Heureusement des mecs comme Manu, ils savent trouver le bon gars pour parler du film. Mais parfois il y a une telle abondance de richesses que ce ne sont plus que pléonasmes sur pléonasmes. On m’a parfois fait gratter abondamment sur des trucs où je croyais parler d’une source, raconter un truc marrant et puis je me rendais compte bien après, dans les bonus, que l’autre type en interview racontait exactement la même chose. Et les éditeurs ne me le disaient même pas. Il faut donc des gars qui éditent les DVD comme pour les bouquins, des types aux manettes qui font attention à tout pour proposer les meilleures éditions. C’est encore un problème de conditions de production. On confie trop la production des interviews à des gens qui sont bons sur certains trucs plutôt que sur d’autres. Criterion m’avait contacté pour Dassin par exemple mais pas pour Les Forbans de la nuit où, pour le coup, j’avais vraiment des trucs inédits à leur dire. Mais les mecs, ça ne les intéressait pas parce qu’ils avaient déjà tracé leur ligne.

Ca a été la même chose pour Les Passagers de la nuit : ils m’avaient contacté à propos de Goodis pour trouver des photos. Et puis ils ont demandé à un universitaire de compléter le truc. Au final, c’est nul, ça n’a aucun intérêt. Pour eux, c’est la routine parce qu’ils en font cinq par mois. Dans la plupart des DVD, il n’y a que des redites, c’est invraisemblable. Tavernier raconte ce que De Toth raconte et moi je raconte que De Toth racontait peut être des conneries. Là, pour le coup, ça marche parce qu’au moins, ça se complète.


Propos recueillis à Paris en juin 2011 par Emmanuel Voisin et Frédéric Mercier pour DVDCLASSIK.

Nous adressons tous nos remerciements à Philippe Garnier pour sa gentillesse, son franc-parler et sa disponibilité ; ainsi qu'à Wild Side Vidéo pour avoir facilité la réalisation de cet entretien

Par Emmanuel Voisin et Frédéric Mercier - le 1 juin 2011