Interviews

Après des éditeurs ou des laboratoires de restauration, DVDClassik poursuit son exploration du marché de l’édition physique en s’intéressant au métier, méconnu, de distributeur vidéo, à travers un entretien avec Patrick Belz, président de la société Arcadès, laquelle distribue notamment les éditions, largement relayées en ces pages, de Carlotta FilmsL'Atelier d'imagesPotemkineArtusARTE Editions et tant d’autres…

Un entretien avait déjà été envisagé lors de notre première prise de contact il y a quelque temps, mais l’actualité récente nous a semblé rendre la mise en lumière de l’activité d’Arcadès encore plus pertinente. En effet, dans la nuit du 22 au 23 mai 2022, les locaux de la société ont été endommagés par une averse de grêle d’une grande violence, affectant une partie du stock le matériel informatique et rendant les locaux hors d’usage.

Dans ces circonstances, Patrick Belz a eu l’amabilité de nous accorder un entretien décrivant, dans le détail et avec pédagogie, l’activité de son entreprise. Entre les démarches administratives, les rendez-vous auprès des responsables locaux et les notifications téléphoniques ininterrompues (sans mentionner les soucis occasionnés, ce jour-là, par un inopportun oubli de badge…), cette heure passée en sa compagnie nous a permis d’observer sa gestion d’une situation de crise et, de fait, de mesurer le privilège qu’il nous a ainsi accordé.

Nous remercions également David Giuge, responsable communication et développement stratégique de la société, pour avoir contribué à rendre cet entretien possible.

DVDClassik (Antoine Royer) : Tout d’abord, est-ce que vous pouvez nous présenter la société Arcadès ?

Patrick Belz : C‘est une société qui va bientôt avoir 26 ans, qui a été créée par des gens un peu hors du commun, des musiciens à la base, qui n’arrivaient pas à se faire distribuer et qui voulaient donc avoir une société de distribution au départ pas du tout destinée au marché vidéo. Sauf que ça ne s’est jamais fait dans la musique, et que le hasard les a amenés à rencontrer des éditeurs vidéo et des gens qui avaient des contacts en centrale d’achat. Cela n’a dans un premier temps pas très bien fonctionné, et puis au bout de deux ans, les deux associés historiques ont repris les rênes de la boîte et ramé pendant cinq bonnes années avant que ça ne commence à décoller…

… on est quoi, fin des années 90, début des années 2000 ?

Moi je suis rentré dans la société en 2003, en tant que stagiaire, et le fondateur, à l’époque, parlait souvent de « 2001, L’odyssée de l’espace », au-delà de la référence cinématographique, comme l’année à partir de laquelle la société a commencé à être rentable. Les trois premières années, c’était « Pourquoi on n’a pas arrêté déjà hier ? », la quatrième c’était « C’est dur, on n’a toujours pas de salaire » et puis à partir de 2001, ça s’est envolé à une vitesse complètement dingue, avec 50% de croissance par an, jusqu’à 2008-2010, où là, c’était prêt à exploser.

Fin des années 90, première décennie des années 2000, c’est le plein essor du marché du DVD…

Oui, les vrais débuts du support DVD sur le marché français, c’est 1998-99, et l’engouement pour le DVD a évidemment permis de démarrer mais aussi ce sont surtout les contacts avec des éditeurs plus importants de l’époque, l’ouverture de centrales d’achats et puis la constitution de catalogues, les relations avec les clients… Mais indéniablement, le fait d’avoir galéré au démarrage a donné à Arcadès cette génétique toute particulière, et notamment le fait de travailler avec de nombreux « petits » clients : puisque les centrales d’achat ne voulaient pas ouvrir leurs portes, il fallait être inventif, travailler avec des boutiques de presse ou d’autre types de points de vente, travailler les produits régionaux…

Vous avez repris la société en 2015…

Oui, et quand il a fallu réorienter la stratégie commerciale d’Arcadès, je tenais vraiment à respecter ces fondamentaux, à recentrer la boîte sur son ADN de départ. Au fur et à mesure des années, on était devenus comme les autres, des faiseurs, qui ne traitaient que les plus gros titres avec les principaux clients… Mais, même quand on a les plus gros studios à défendre, c’est essentiel de continuer à bien travailler avec ses plus « petits » partenaires. Pour moi, la décroissance du marché vient aussi du fait qu’il y a trop peu d’offre en magasin ! Je pourrais vous le démontrer de multiples manières, mais l’idée centrale c’est que le client a besoin d’avoir le film à proximité de chez lui. A moins de s’y rendre spécifiquement parce qu’on cherche tel titre, on ne se rend pas sur un site de vente en ligne, comme Amazon par exemple, pour passer des heures à chercher un film, à explorer comme on le fait dans un magasin spécialisé, avec des rayons qui donnent envie, un classement bien pensé par réalisateurs, un assortiment crédible et du conseil client. Si tu es fan de Gus Van Sant et qu’il y a une PLV (publicité sur le Lieu de vente) Gus Van Sant, tu risques de repartir avec des DVD, alors que Gus Van Sant perdu dans une offre 5 pour 30 €… Au passage, c’est la raison pour laquelle ces offres multi-bail se vendent en général assez mal sur internet, parce que l’internaute, au bout de trois pages, s’il n’a pas trouvé ses cinq titres, il abandonne son panier…

Et donc votre particularité commerciale, aujourd’hui, c’est la diversité des points de vente ?

Aujourd’hui, on a un potentiel de plus de 3000 points de vente, qu’on mobilise selon les titres. A titre d’exemple, cette année, on a eu un titre très fort – un des plus forts de l’année, tous distributeurs confondus – qui était Les Bodins en Thaïlande, c’est un titre qui a été placé dans 2300 points de vente, là où la plupart des distributeurs travaillent avec 1500 points de vente. On réussit donc à aller chercher 50% de clientèle potentielle en plus, ce qui constitue une partie de notre force. En réalité, toute l’organisation de la société est faite pour atteindre cette perméabilité exceptionnelle.

Donc votre métier, c’est de constituer un intermédiaire disons « inventif » entre un éditeur et un point de vente ?

Alors nous travaillons avec différents types d’éditeurs : certains ne font que de la salle, d’autres ne font que de la restauration, d’autres comme ARTE Éditions font les deux… et notre rôle, c’est de les conseiller sur la stratégie commerciale qu’ils doivent adopter et de la mettre en oeuvre. On les accompagne dans la préparation et la création de leur argumentaire commercial, on trouve des comparables et notre expertise c’est aussi de fournir une préconisation de distribution : combien on va en placer à la FNAC, combien chez Carrefour, etc… Si on explicite bien la pertinence (ou pas) d’un titre à tel ou tel endroit, ça permet à l’éditeur de mieux calibrer économiquement sa sortie, de décider s’ils mettent plus ou moins de plan média, s’ils destinent des éditions spéciales à une enseigne, etc… Ensuite, on opère le référencement exact en centrales d’achat, on contacte tous les points de vente et on procède à la livraison.

Donc vous êtes aussi amenés à discuter de la pertinence ou pas d’une sortie, selon son potentiel commercial ?

Totalement et c’est nécessaire, parce qu’il y a des films qui sortent en salle et ne font parfois pas plus de 15 000 entrées au lieu des 100.000 objectivées initialement et dont le potentiel en vidéo est trop faible, pour rentabiliser les coûts de fabrication et de marketing d’une part et avec le risque d’en vendre moins de 300 exemplaires.

Donc le dialogue entre l’éditeur et vous, il est là dès le départ, dès l’envie pour l’éditeur de sortir tel ou tel titre ?

Oui, l’accompagnement se fait plusieurs mois en amont de la sortie et c’est une discussion constructive entre l’éditeur et nos équipes. Pour reprendre l’exemple des Bodins en Thaïlande, au départ l’éditeur voulait en mettre en place seulement 25 000 exemplaires, nous l’avons convaincu de voir plus grand et nous en avons finalement livré 120 000 pièces.

Combien de personnes la société Arcadès emploie-t-elle ?

En temps normal, au moins 45 personnes. Une vingtaine dédiée au commerce (responsables de la force de vente, comptes clé…) qui sont en contact direct avec les éditeurs, les centrales d’achat et les points de vente. En comptabilité, support de référencement, support de logistique, une dizaine de personnes. Et puis entre quinze et vingt-cinq personnes, selon la saisonnalité, en logistique.

Concernant la logistique, justement, vous avez des entrepôts, avec du stock considérable…

Nous sommes les logisticiens et stockeurs des éditeurs. Leur marchandise est chez nous. Après, c’est un peu à la carte selon les éditeurs : si on prend l’exemple de L’Atelier d’Images, ils font eux-mêmes la vente par correspondance (VPC) de leur site, mais c’est Arcadès qui fait leur logistique à destination des enseignes et autres clients BtoB. A partir de septembre, on va assurer une prestation logistique pour Arte Boutique. Pour autant, on reste les distributeurs exclusifs d’ARTE Éditions ou de L’Atelier d’images sur tout territoire (selon les contrats, soit France uniquement, soit France, Suisse, Belgique, Luxembourg). Et depuis le 1er janvier dernier, nous faisons aussi de la presta commerciale pour Universal.

C’est un gros contrat ?

C’est un contrat important, c’est sûr. En fait, nous sommes quasiment la dernière force de vente active sur le secteur de la vidéo. C’est ce qui nous a permis de signer ce contrat avec Universal Picture Vidéo France (UPV). Auparavant UPV était distribué par Universal Music et la direction américaine semblait vouloir remettre en cause ce poste de dépense, mais les équipes UPV ont réussi à les convaincre de ne pas le faire et on a récupéré le contrat… C’est sûr que c’est facile de se dire que ça ne sert plus à rien d’essayer de vendre des DVD de nos jours, surtout quand le digital explose (ce qui profite en priorité aux gros studios), mais nous, on conserve des personnes dédiées, qui sont en contact avec chacun de nos clients, qui définissent des objectifs détaillés selon notre connaissance du client et des retours potentiels – comme on travaille avec reprise d’invendus, on ne tient pas à ce que ça se vende mal – donc on calibre la mise en place de la meilleure manière possible. C’est d’ailleurs pour ça qu’on ne prend pas spécialement de risques en posant 120 000 exemplaires des Bodins : on sait qu’on en aura vendu 120 000 à la fin de l’année, parce qu’on aura environ 15 ou 20 % de retours, qu’on va re-placer… Ma conviction, c’est qu’il est actuellement impossible de travailler autrement. Ceux qui ne sont pas prêts à faire cet effort-là vont disparaître ou passer au tout-digital. En n’allant que dans les plus gros points de vente, les volumes deviennent de plus en plus minimes…

Mais alors c’est quoi, ces autres points de vente ?

Rien qu’en librairie, on a 800 points de vente que nous sommes les seuls à travailler – hormis les diffuseurs de livres. Bien évidemment, les librairies, on ne les mobilise pas pour les Bodins, mais pour des titres ARTE Éditions, Blaq Out, etc… Il y a aussi les musées, les lieux touristiques, mais surtout l’ensemble de la micro GSA qui représente un vivier de consommateurs très important.

Enfin, partout, les rayons DVD diminuent en taille, dans les grandes surfaces, il n’y a plus que les opé Disney, alors comment on s’y prend pour convaincre les points de vente qu’ils ont tout intérêt à mettre en vente des DVD ?

On se bat. Mais c’est notre relation commerciale terrain, élaborée sur la durée, qui nous fait exister. Alors on explique au client qu’il faut qu’il propose autre chose, et si on fait bien notre travail, il voit qu’on a raison puisque factuellement, une édition placée au bon endroit, elle se vend. Dans un Leclerc, le directeur de magasin qui constate que les petits pois se vendent mieux que les DVD, il n’a aucune raison de pousser plus loin la réflexion, mais si on lui prouve le contraire, ça pique sa curiosité et il laisse plus de marge de manœuvre à l’acheteur vidéo de son magasin. Pour autant, c’est cette relation singulière qu’on entretient avec chacun de nos points de vente qui nous permet d’exister et le contrat avec Universal légitime encore plus cette relation commerciale. C’est le discours que je tiens à nos éditeurs : on ne peut pas se permettre de se mettre des bâtons dans les roues les uns les autres, on doit se battre ensemble pour défendre le marché.

Mais ce n’est pas un combat un peu perdu d’avance ?

Le marché fait 300 millions d’euros. Il est encore aujourd’hui au même niveau que le marché du soda, et pourtant tout le monde le dit mort depuis des années… Pour l’anecdote, la dernière fois que j’ai envoyé une carte postale, j’étais mineur, et pour autant, on voit encore des cartes postales partout : ce sont des marchés qui vont devenir des marchés de niche, mais une niche à 300 millions d’euros, c’est un beau toutou qu’on met dedans.

Il y a des passionnés, il faut qu’ils trouvent ce qu’ils ont besoin de trouver, et si on leur laisse encore la possibilité d’acheter, ils vont acheter. Évidemment, si on leur coupe totalement la possibilité de l’acheter, si ce n’est pas dispo en linéaire, si ce n’est pas ou plus édité, forcément, à un moment, cela va finir par mal se passer, d’où ma volonté de travailler avec tout le monde, y compris avec une major comme Universal. Parce qu’évidemment, on s’est posé la question de travailler avec une major, qui n’a pas exactement les mêmes orientations stratégiques qu’Arcadès… mais l’enjeu était de leur démontrer qu’une autre stratégie est possible et parce que je souhaite qu’Universal continue d’éditer en France. D’ailleurs, ils sont déjà en train de se rendre compte de notre surperformance auprès de nombreux clients, qu’ils n’avaient pas forcément identifiés comme stratégiques…

La conséquence de ce marché de niches et de cette logique commerciale, c’est que mis à part les éditeurs qui font leur propre distribution – il y en a encore quelques-uns – il n’y a pas vraiment de place pour plusieurs sociétés de distribution. Arcadès aspire donc à monopoliser le marché ?

J’aspire avant tout à assurer une qualité de conseil et de service optimal à tous les éditeurs avec lesquels je travaille et à ceux qui nous rejoindrons dans les mois et années à venir. Le leader, nous le sommes déjà en matière de relation commerciale, en étant la seule force de vente active sur ce secteur. Et nous le deviendrons en part de marché au fur et à mesure de nos conquêtes de nouveaux catalogues. Pour le coup, j’ai l’impression d’avoir une mission, je suis un militant. Lors de notre dernier séminaire annuel où sont conviés tous nos partenaires, j’ai renouvelé ma promesse : je ne peux pas arrêter la décroissance du marché, mais je m’engage à ce que les catalogues que je distribue soient travaillés de manière optimale, en essayant à l’occasion d’aller chercher la croissance. Quand on me confie un catalogue comme celui d’ARTE Éditions par exemple, ma première préoccupation est que cela ne nuise pas à la part de marché des autres catalogues. Le but est d’emmener tout le monde vers le haut, quitte à ce que ça passe par une certaine sorte de monopole, mais on en est encore loin !

Mais donc il faut faire des choix.

Clairement. Par exemple, un éditeur qui ne cherche pas à développer de belles éditions et qui vise juste l’aide du CNC, je ne sais pas si je peux continuer à l’accompagner…

Auquel cas il n’existe plus.

Cela fait partie du dialogue, en particulier avec les plus « petits » éditeurs.  On inclut d’ailleurs le CNC dans la discussion, car ils partagent cette réflexion. Une édition, si elle est aidée, doit bien évidemment avoir un intérêt éditorial, mais il ne faut pas exclure son potentiel commercial de l’équation.

Mais derrière l’idée du monopole, il y a la responsabilité de ce qui devient ou pas disponible pour l’acheteur. Et si vous ne travaillez pas avec un éditeur, ses éditions n’existent plus.

C’est exactement comme cela que je perçois les choses. Cette responsabilité, elle est énorme, et il est indispensable de la prendre en compte dans notre collaboration avec les éditeurs.

Donc cette responsabilité, elle implique de tout sortir, sans que vous vous posiez, à vous-même, la question du qualitatif ?

C’est une bonne question et ce n’est pas évident d’y répondre. Chaque titre nécessite une réflexion spécifique, il faut regarder le potentiel, les réseaux… Chez Arcadès, on estime le potentiel commercial d’une édition sur la base de plusieurs critères, car il n’y a pas de bon ou de mauvais en matière d’édition vidéo, tous les goûts sont dans la nature. Ce qui va donner une réponse à la question du potentiel, c’est la qualité de la sortie : une belle restauration, la présence de bonus, un livre ou un livret qui l’accompagne… c’est ce qui va intéresser les enseignes et surtout le client final. Ensuite on tient compte du succès en salle ou de l’audience TV et on le compare à des titres similaires, afin d’estimer la quantité juste à mettre en place le jour J de la sortie.

Vous avez un objectif minimal de ventes pour une sortie ?

On a pas mal de titres qui font 400-500 exemplaires, et c’est à peu près notre minimum, mais on continue de soutenir les éditeurs parce que ce sont des partenaires historiques, parce qu’on connaît leur sérieux… De toute façon, eux-mêmes, ils ont des engagements vis-à-vis des ayants-droits, donc c’est un partenariat global. Par contre, un éditeur qui multiplie les sorties à 300 exemplaires, qui ne nous confie pas le réseau institutionnel par exemple (le réseau des médiathèques, réseau mieux-disant en termes de rémunération, qui contribue à rentabiliser une partie de la distribution), qui se contente de travailler avec les réseaux qui l’arrangent lui, non, on ne va plus l’accompagner… Mais on le prévient. On dit ce qu’on fait, et on fait ce qu’on dit. Sur un marché baissier, c’est une responsabilité, on ne peut pas ne pas exprimer précisément les choses. On ne peut pas se permettre les fausses promesses, et je pense que notre franchise et notre fiabilité sont appréciés de tous nos partenaires.

L’état du marché actuel fait qu’une sortie vidéo ne bénéficie que d’une exposition très brève… et vous parliez du réseau des médiathèques, qui offre l’opportunité d’une « autre vie »… Quelle est votre approche stratégique de la chronologie d’une édition ? En termes de mise en lumière, il faut être particulièrement agressif à la sortie ?

Pas nécessairement. C’est même de moins en moins vrai. On reste évidemment sur un marché de l’offre, plus on en présente, plus ça se vend, mais on est sorti du modèle du « mass market » où on inondait les rayons pour que le titre se vende. On en revient à l’idée essentielle : la juste quantité, au bon endroit. On a eu des déconvenues qui nous ont fait revoir à la baisse certains objectifs, car sinon après on se retrouve avec beaucoup d’invendus, ce qui coûte en logistique, contraint à envisager des « secondes vies » dans les fameuses opérations 5 pour 30 €, et ça induit des effets pervers, parce que ça donne la perception au consommateur qu’il ne faut pas qu’il achète à 20 euros puisqu’il suffit d’attendre pour payer le produit moins cher…

D’autant que le consommateur qui voit un titre qui sort à 19,99 € et qui le retrouve six mois après dans une opé à 5 pour 30 €, il se dit que ceux qui ont sorti l’édition visaient au départ une marge énorme…

Évidemment, tout le monde se dit ça, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Bon, schématiquement, il faut distinguer deux business models : celui des majors américaines, et celui des acheteurs de droits français. Pour les majors, qui possèdent 100% des droits (salle, vidéo physique, VOD, SVOD, TV, etc), hormis pour leurs très grosses sorties mondiales simultanées, elles ne sortent pas un film s’il n’a pas été rentabilisé aux Etats-Unis. On vise la rentabilité chez soi, et ensuite on déploie. Et le digital leur permet de justifier leur marketing.

Alors que pour un éditeur comme L’Atelier d’Images par exemple, qui achète des droits parfois uniquement pour sa sortie vidéo, l’enjeu est bien plus important et ils ne peuvent pas se permettre de placer leurs titres en 5 pour 30. S’ils le font, c’est que, au mieux, la première vie a permis de rentabiliser la sortie et ce genre d’opérations permet de le placer en mécanique pour exister ; au pire, ils essaient de ramasser ce qu’ils peuvent comme miettes d’une sortie vidéo qui n’a pas du tout marché, qu’ils ont des surstocks et qu’il faut perdre le moins possible…

Donc pour la plupart des éditeurs, c’est un marché très risqué.

Est-ce qu’il y a une spécificité dans la distribution des films de patrimoine ? J’imagine qu’on ne les travaille pas comme Les Bodins en Thaïlande.

Oui, c’est clair. Eh bien, pour les films de patrimoine, on vise prioritairement les magasins spécialisés ou les librairies. En grande surface, cela ne fonctionne pas, ou seulement sur des titres extrêmement cultes.

« Magasin spécialisé », c’est pour les vieilles boutiques suspectes de cinéphiles usés ?

(rires) « Magasin spécialisé », c’est FNAC, Gibert, la boutique Potemkine pour les Parisiens… Et puis, selon le potentiel, ça intègre les « semi-spécialisés », type Leclerc ou Cultura, surtout si c’est « tous publics ». Tiens, par exemple, Dario Argento, si on en vend chez Leclerc ou Cultura, c’est vraiment marginal et en opération. On est donc amenés à travailler de manière très cloisonnée les titres selon leur potentiel. Mais pour le cinéma classique, on a remarqué qu’il y avait un vrai potentiel dans notre réseau de librairies : c’est une clientèle commune avec celle des livres, très souvent des passionnés, un peu comme pour la FNAC.

Tiens d’ailleurs, vos employés, vous leur imposez de consommer du support physique ?

(rires) Je n’impose rien, mais ils achètent pas mal de DVD en achat interne notamment, avec des prix très raisonnables, ce sont plutôt des gros consommateurs de DVD en fait. Mais dans le même temps, ils ont quasiment tous des abonnements sur les plateformes que tout le monde connaît. Les modèles peuvent tout à fait cohabiter, y compris sur la durée. C’est en tout cas ce que je défends, auprès de tout le monde, y compris du CNC, et c’est l’avis de beaucoup d’éditeurs, c’était aussi l’objet de l’appel des 85 : on consomme en SVOD pour un loisir, mais une fois qu’on a été bluffé par un film, on le veut. On veut le coffret Kubrick chez soi, le coffret Tarkovski, on a tous des éditions auxquelles on tient et qu’on veut conserver. Or la SVOD ne permet pas cela. Beaucoup de gens ne le savent pas - d'ailleurs la FNAC va communiquer dessus, et je pense que c’est important qu’on communique tous là-dessus – mais la SVOD ne permet pas de voir un film « quand on veut » . C’est un médium qui n’offre qu’une fenêtre de droits d’exploitation pendant un temps donné, on ne sait d’ailleurs pas toujours bien lequel. Et après, c’est fini, il est de nouveau indisponible pour un temps indéterminé. Et puis si on veut pouvoir regarder ce que l’on veut, on peut s’abonner à dix plateformes, mais au final, on n’a pas le temps de tout consommer, on n’y arrive pas, et puis on a souvent besoin d’un accompagnement. Donc on va vers des plateformes qui font un effort d’éditorialisation, et puis une fois qu’on a été touché par un film, on finit par revenir vers la volonté de le détenir physiquement.

Dernière question : Arcadès est implantée à Châteauroux. Y-a-t-il une raison particulière ?

Historiquement, c’est là que les fondateurs se sont implantés, et quand j’ai repris la société, je l’ai maintenue ici. Moi-même, je suis venu vivre avec mon père à Châteauroux durant mon adolescence, j’y ai été lycéen, et puis après mes études à Limoges, je suis rentré chez Arcadès comme stagiaire… mais bon, on parlera de mon parcours une autre fois, parce qu’il est assez insolite. On a aussi ouvert en 2018 un bureau parisien, à Bastille, qui vient d’ailleurs de s’agrandir.

Parce que, spontanément, on peut se dire que pour une activité à rayonnement a minima national, s’implanter à Châteauroux, ça pourrait être un frein…

Le télétravail et les nouveaux modes de communication ont largement diminué le frein que ça pouvait être. Avant, on pouvait être considérés comme des « outsiders ».

Et donc Châteauroux, il y a de violents orages de grêle…

Oui. Depuis trois semaines, on était dans une phase d’état des lieux, d’inventaire, mais lundi (NDLR : le 20 juin dernier), on redémarre l’activité – j’allais dire partielle, mais en fait on redémarre tout, flux de nouveautés et flux d’opérations de ce qu’on a récupéré dans notre entrepôt historique. C’est extraordinaire compte tenu de la situation de n’avoir souffert que de seulement trois semaines d'arrêt. Maintenant, il faut reconstituer tout notre fonds de catalogue, les redémarrages de flux picking seront opérationnels à partir du 4 juillet, et le redémarrage complet, quand on aura reconstitué l’intégralité de notre rayonnage, ce sera mi-juillet. D’ici un mois, on devrait donc être en situation « normale ».

Il y a eu un article, dans la presse locale, qui avait avancé des chiffres…

Des chiffres largement exagérés. Au lendemain de la tempête, on savait qu’on avait subi des dégâts de toiture, de matériel informatique, mais heureusement que les humains n’avaient rien et que le serveur informatique avait été sauvé, donc les deux ressources essentielles étaient là. Le reste des chiffres, le stock détruit, l’impact sur le chiffre d’affaires, ça n’avait pas vraiment de sens, mais au moment où l'article auquel tu fais référence a été écrit, nous n’avions pas beaucoup d'informations sur la situation réelle… Ensuite, on a pu rapidement trouver de nouveaux locaux, grâce à la ville…

Ils ont peut-être intérêt à bichonner leur société…

Oui, le maire a conscience d’avoir une très belle entreprise dans sa ville, qui est assez hors-normes, avec un rayonnement national et qui est en croissance. La mairie nous a beaucoup aidé. Depuis le sinistre, les gens ne se rendent pas forcément compte, mais cela a été un travail énorme avec les assurances, pour valider les projets et les budgets qui permettent de sortir de cet arrêt total d’activité, de communiquer avec nos partenaires… ce temps-là il était incompressible, mais on a une formidable équipe, qui permet à Arcadès d’être ce qu’elle est et qui fait que, à peine trois semaines après, on peut rebondir et redémarrer.

Entretien réalisé le vendredi 17 juin 2022 à Châteauroux

Par Antoine Royer - le 4 juillet 2022