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Livres

CINEMA CONTEMPORAIN,
MODE D'EMPLOI

un livre de jean-baptiste thoret

Relié / 254 pages
Editeur : Flammarion
Collection : Mode d'emploi
Date de sortie : 21 septembre 2011
Prix Indicatif : 30 euros

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Analyse et Critique

Dario Argento, Magicien de la peur (Cahiers du Cinéma), Massacre à la tronçonneuse : une expérience américaine du chaos (Dreamland), Les Fantômes de John Carpenter (co-écrit avec Luc Lagier), Le Cinéma américain des années 70 (Les Cahiers du cinéma, collection Essais), 26 secondes, l'Amérique éclaboussée (Rouge profond)... ces cinq essais - incontournables pour tout cinéphile qui se respecte - ont imposé Jean-Baptiste Thoret comme l'un des plus pertinents analystes du cinéma américain des années 70 et, plus largement, du cinéma dit « de genre ».

Ce Cinéma contemporain, mode d'emploi a de quoi surprendre venant d'un critique qui nous a habitué à aborder le cinéma par des entrées très précises : un film trauma (Massacre à la tronçonneuse), des cinéastes de chevets (le duo Argento et Carpenter, auxquels il convient d'ajouter Romero pour lequel il a coordonné le recueil Politique des Zombies), un événement matriciel (le film d'Abraham Zapruder et l'assassinat de Kennedy), une période charnière du cinéma américain... Car ici l'exercice est tout autre, Thoret répondant à une invitation de la collection Mode d'emploi dont l'objet est de « décrypter le monde contemporain, ses expressions artistiques et ses modes de pensée en jetant des ponts entre passé, présent et futur. » Ce sixième titre de la collection créée par Elisabeth Couturier (après l'art contemporain, le design, la danse contemporaine, l'architecture, la mode) est donc consacré au cinéma dit « contemporain ». Autant dire que l'objet d'étude est très large, très ouvert, d'autant que le principe de la collection est d'aborder chaque thème selon des angles différents - historique, esthétique, sociologique.

La surprise sera moindre pour ceux qui connaissent plus avant le travail critique de Jean-Baptiste Thoret qui, de ses notules dans Charlie Hebdo à ses interventions dans l'émission Mauvais genre en passant par ses nombreux textes ou entretiens à l'occasion de bonus DVD (notamment le très beau livret qu'il a consacré au Guépard pour l'édition Pathé), dépasse allégrement le cadre du cinéma de genre. Si ses goûts cinéphiles le portent peut-être plus naturellement vers le fantastique, le polar, le cinéma italien, asiatique ou américain, il ne se cantonne pas à quelques « spécialités » et essaye toujours d'avoir une approche globale du septième art. Il y a constamment chez lui le souci d'aborder le cinéma aussi bien par le biais de son histoire que par l'histoire de ses idées. Convaincu qu'un film ne naît pas de rien, qu'il est le produit d'une longue chaîne d'expérimentations, d'évolutions et de révolutions techniques et esthétiques, il aime à inscrire les films ou les auteurs qu'il analyse au sein d'une histoire plus vaste, celle de l'évolution des formes. De la même manière, il sait que que l'on n'écrit pas aujourd'hui sur le cinéma comme on pouvait le faire il y a cinquante ans ; et là où nombre de critiques aiment s'imaginer qu'ils font table rase du passé, lui préfère inscrire son travail dans la déjà longue histoire de la critique, ne manquant pas une occasion de citer les travaux fondamentaux d'un Deleuze ou d'un Daney. En bref, il faut explorer le passé, le penser pour être en mesure de comprendre le présent.

Il s'avère donc que Thoret était un candidat idéal pour ce pari qui consiste en 250 pages à proposer quelques grandes clés permettant de comprendre les enjeux du cinéma contemporain. Comme il l'explique dans l'introduction de cet ouvrage, il ne s'agit plus aujourd'hui d'espérer rendre compte du cinéma dans sa globalité comme il était encore possible de le faire dans les années 50 ou 60. Outre la profusion de nouveaux films venus des cinq continents, il y a chaque année des nouvelles terres qui apparaissent et dont on ne soupçonnait même pas l'existence. L'auteur cite les mélodrames mexicains, le Bollywood ou le Nollywood qui viennent d'un coup redessiner les contours de la planète cinéma. Des auteurs, des genres oubliés réapparaissent et sont célébrés tandis que des monuments tombent dans l'oubli... la cinéphilie est en constante évolution à l'image d'un septième art si vaste et si riche qu'il serait vain de vouloir en dresser une cartographie complète. L'idée est donc ici de ne pas se refermer sur quelques théories, quelques chapelles, mais de prendre le cinéma comme il vient avec ses génies, ses faiseurs, ses artisans, ses artistes jusqu'au-boutistes. Accepter cette diversité et s'amuser à tisser des liens, à trouver des filiations, à faire circuler les idées et les images et ainsi montrer que des formes de cinéma à priori antinomiques se répondent en fait parfaitement, se nourrissent les unes les autres. Pour cela, il faut dépasser les barrières entre cinéma des studios et cinéma indépendant, cinéma commercial et cinéma d'auteur, autant de catégories qui « rabattent sur une réalité économique indiscutable une évaluation d'ordre esthétique. » C'est ainsi que Tsui Hark, Bruno Dumont, Jacques Tati, David Fincher et Abdellatif Kechiche se côtoient et c'est de cette mise en résonance que naît un portrait certes composite mais vivant du cinéma mondial contemporain.

Dans un premier temps, Thoret essaye déjà de définir l'objet de l'ouvrage. Comme l'exprimait Serge Daney à propos du Bon, la Brute et le Truand, un film contemporain pourrait être un film qui a un « coup d'avance sur son temps. » Thoret rappelle au passage une notion très importante, qui est qu'un film réalisé à un instant T peut très bien appartenir à un courant plus ancien du cinéma et non à l'un de ceux qui caractérise l'époque où il voit le jour. On peut tourner un film en 2010 et ce film peut appartenir en fait aux années 50, que ce soit d'un point de vue formel ou par les idées qu'il véhicule. A l'inverse, il y a des œuvres qui par leurs thèmes, leurs motifs, leur esthétique appartiennent pile au temps qui les voit naître, voire qui ont quelques décennies d'avance et annoncent des mouvements à naître. Thoret propose donc de définir un film contemporain comme étant à la fois daté et intemporel, capable de mettre en forme les sentiments qui travaillent l'époque où il apparaît.

Il y a ainsi deux histoires du cinéma possibles : une purement chronologique et l'autre - qui a les faveurs de l'auteur, on l'aura compris - qui repose sur l'évolution des formes. La première est l'objet de deux chapitres complets : l'un consacré à une quinzaine de « premières fois » (le premier travelling, le premier film qui commence dès le générique, le premier film expérimental...), l'autre proposant une quinzaine de dates repères. La seconde histoire court, elle, tout au long de l'ouvrage et les multiples entrées que propose l'auteur sont autant de moyens de la cerner.

Pour commencer ce voyage, Jean-Baptiste Thoret propose d'identifier le cinéma contemporain à travers ce qu'il nous raconte du monde : perte de repères, éclatement de la cellule familiale, jeunesse désœuvrée, solitude, amnésie, surconsommation, marchandisation de l'humain... quelle que soit sa nationalité, le cinéma contemporain fait sien ce même constat de désœuvrement humain et d'éclatement de la société sous le coup d'un capitalisme forcené. De la même manière, Thoret met en évidence une série de thèmes qui parcourent et travaillent les cinématographies du monde entier : la théorie du complot, la fin des identités, le « tous cinéastes », les effets spéciaux, le 11-Septembre, l'accélération des images...

Le cinéma contemporain, que l'on peut ainsi délimiter via ses thèmes et son humeur, est également l'expression d'une rupture formelle que Thoret situe non pas avec le néo-réalisme ou la Nouvelle Vague, mais au milieu des années 60 : le Nouvel Hollywood, le cinéma Nuovo au Brésil, le Free Cinema en Angleterre, les cinéastes du Printemps de Prague... c'est de ce vaste mouvement mondial que sont nés les films des ces cinquante dernières années.

Mais comme toujours chez Thoret, les ruptures ne suffisent pas à comprendre le cinéma, il faut aussi étudier les filiations. Un chapitre du livre est ainsi consacré à des cinéastes (Ford, Melville, Bunuel...) qui nourrissent en profondeur les artistes contemporains, un autre à vingt films matrices du cinéma (de Freaks au Scarface de Brian De Palma, en passant par la série Le Prisonnier ou Aguirre et la colère de Dieu) et un troisième à l'évolution des genres de l'âge classique aux derniers essais post-modernes. Thoret en profite d'ailleurs pour préciser ces quelques notions (cinéma moderne, maniérisme, réalisme social...) et voir comment ces différents styles travaillent (ou sont travaillés par) le cinéma contemporain.

Thoret consacre le dernier chapitre du livre à trente cinéastes en activité qui, selon lui, incarnent le cinéma contemporain. Une sélection à la subjectivité assumée, forcément frustrante (Thoret cite à peu près autant de noms qui auraient pu être sélectionnés dans l'introduction du chapitre) qui entend mettre en avant « les créateurs de visions et de formes. »

Cinéma contemporain, mode d'emploi est en substance une compilation de textes de Jean-Baptiste Thoret (on reconnaîtra ici et là des avis donnés dans les colonnes de Charlie Hebdo), ordonnés et commentés de manière à composer un ouvrage ludique et facile d'accès (saluons au passage la très riche iconographie qui aère considérablement l'essai) à l'usage de tous ceux qui désirent s'initier plus avant aux secrets du cinéma. Si l'on note ça et là quelques « couacs » dans la construction - des textes un peu arbitrairement placés ou encore une critique de True Grit répétée quasi à l'identique - l'ensemble se lit avec un grand plaisir ; et même si le public visé est plutôt celui des jeunes cinéphiles, les plus endurcis y trouveront également matière à réflexion. Ici, pas de théories absconses, de concepts à l'hermétisme entretenu, mais une pensée claire, construite et précise.

Il y a ne serait-ce qu'un vingtaine d'années, le jeune cinéphile pouvait facilement faire son chemin dans la planète cinéma. Il y avait alors un accès limité aux œuvres et quelques prescripteurs suffisaient à faire découvrir les films et les auteurs (quelques rendez vous télé - Le Cinéma de minuit, Le Ciné club de Claude-Jean Philippe, La Dernière séance - le vidéoclub du coin, le cinéma de quartier, quelques revues...). Les jeunes cinéphiles se trouvent aujourd'hui placés devant une incroyable profusion de films, un accès quasi illimité aux œuvres de toutes les époques et de toutes les nationalités. Un tel ouvrage trouve donc naturellement sa place dans un environnement qui a opéré une incroyable mutation en cela qu'il ne propose plus seulement quelques titres ou artistes phares, mais des éclairages, des notions qui clairement posées permettent de cerner les grands enjeux du cinéma contemporain.

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La page de l'éditeur

Par Olivier Bitoun - le 20 décembre 2011