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Portraits

portrait de bill plympton à travers ses films

Né à Portland dans l'Oregon en 1946, fils de banquier, Bill Plympton s'intéresse au dessin dès son plus jeune âge et étudie à la Visual School of Art de New York. Son diplôme en poche, il débute en 1968 une carrière de caricaturiste et de satiriste politique dans de nombreux quotidiens et magazines (Le New York Times, Village Voice, Penthouse, Rolling Stone, Hustler ou encore National Lampoon... au total une vingtaine de publications diverses). Il réalise des petits cartons animés pour MTV, une expérience qui ne le convainc guère, mais qui lui permet de trouver l'expérience et l'argent pour permettre son passage au court métrage au milieu des années 80.

Célébré par des réalisateurs comme Matt Groening (lui aussi originaire de Portland) ou Mike Judge, il devient un habitué des festivals. Il réalise entre 1989 et 1992 The Tune, son premier long métrage d'animation. Le film est loin de trouver son public mais Plympton poursuit tranquillement sa carrière. Sa renommée dépasse au fil du temps le cadre des festivals et des revues spécialisées et son cinquième long métrage, Des idiots et des anges, reçoit enfin aux États-Unis un petit succès public. Il réalise ses films en véritable artisan, les auto-produisant et les fabriquant dans son appartement-atelier avec un minimum d'aide extérieure. Une économie de moyens plus supportée que voulue, Plympton ne cachant pas qu'il préfèrerait bénéficier comme ses confrères de l'engouement pour le cinéma d'animation et remporter des succès à la Shrek, même si d'évidence son univers pourra difficilement devenir mainstream...

Plympton cite comme influences Tex Avery, Bob Clampett, Magritte, Sempé, Winsor McKay et Topor (auquel il dit devoir jusqu'à son trait) mais son univers, riche et délirant, ne tient qu'à lui. Bill Plympton est un iconoclaste qui adore Disney, Spielberg ou Capra et qui dans un même temps fait exploser les normes, brise les tabous, signant des œuvres transgressives, pleines de sexe et de fureur. A partir de Hair High son cinéma se fait plus introspectif, mélancolique et romantique mais il y a toujours chez lui ce sens de l'absurde et cet humour noir et grinçant qui fontt la différence. Toutes choses que l'on retrouve dans son dernier né, La Vengeresse, qui sort ce mercredi dans les salles.

The Tune (1992)

Del, un jeune musicien, est sommé par son producteur Mr. Mega - sous peine de prendre la porte - de composer un tube en 47 minutes chrono. Del rêve de gloire mais surtout de remporter le cœur de Didi, la jeune secrétaire de Mega Music. Mais la deadline qui lui est imposée lui semble impossible à tenir et alors que, stressé, il se rend aux studios, il s'égare et se retrouve à Flooby Noby. Va-t-il trouver dans cette étonnante ville musicale, dans laquelle tous les styles populaires coexistent, l'inspiration pour son hit ?

Bill Plympton s'amuse avec The Tune à revisiter l'histoire de la musique populaire américaine, chaque style musical (blues, surf, quadrille, rockabilly, country, jazz...) étant introduit par un personnage bizarre ou une situation loufoque (un chien fan d'Elvis, des hamburgers qui se lancent dans une danse endiablée, un gourou New Age particulièrement "out of space"...). Plympton jouait dans les années 70 dans le groupe country de Maureen McElheron et, devenu réalisateur, il a envie de faire participer la chanteuse à son univers. Elle interprète ainsi la chanson de son court, Your Face, et c'est portés par l'envie de rendre hommage à toutes ces musiques qu'ils aiment qu'ils en viennent à concevoir un projet de long métrage musical. Jusqu'ici, Plympton a réalisé de nombreux courts d'animation qui ont obtenu un très bon succès d'estime et de nombreuses récompenses. Mais lorsqu'il frappe aux portes des studios pour produire ce long métrage, il s'avère rapidement que personne ne s'intéresse à son projet, et ce malgré l'Oscar qu'il a remporté en 1988 avec Your Face. Plympton décide alors de l'auto-produire, réalisant d'abord deux segments (The Wiseman et  Push Comes to Shove qui seront repris dans la compilation Mondo Plympton) qui sont achetés par MTV, ce qui lui permet de trouver les financements pour mener la production jusqu'à son terme (le budget final est de 175 000 dollars).

Plympton part de ses discussions musicales avec Maureen McElheron pour concevoir un storyboard du film qui sert de base à la chanteuse et à son groupe pour composer et enregistrer un certain nombre de morceaux appartenant chacun à un registre différent, morceaux que le réalisateur écoute ensuite en boucle pour dessiner les quelques 30 000 planches du film. Il avance ainsi morceau par morceau, méthode qui lui permet de répondre au coup par coup au financement chaotique du film. Plympton travaille de cette manière pendant deux ans et demi, et cette fabrication morcelée fait que The Tune souffre d'un manque certain d'homogénéité. Mais ce côté bricolé et artisanal participe pleinement à l'originalité du style Plympton, à cette façon unique qu'il a de donner une véritable texture à ses œuvres animées. On a ainsi l'impression d'être au plus près du geste créateur : on sent les coups de crayons, les ratures, la page froissée, l'épaisseur du papier et même l'odeur de l'encre ! Si son style va s'affiner de film en film, Plympton conservera toujours ce trait très direct et il cherchera à chaque fois des techniques d'animation lui permettant de conserver cette proximité entre l'acte créateur et le public.

The Tune est donc un brouillon de son œuvre à venir, mais ce statut de brouillon est en soi une véritable profession de foi. Certes, comparé à ses courts métrages, on sent que Plympton est ici plus dans la retenue, qu'il tient la bride à ses pulsions dévastatrices. The Tune paraît ainsi bien sage au regard des futures créations du cinéaste, même si l'absurde et la folie sont bien au rendez-vous. Le ton général est plutôt enchanteur et joyeux, avec même une morale simple et naïve qui est que l'on ne peut créer qu'avec son cœur. Si l'on a une nette préférence pour la série de films que le cinéaste va bientôt signer et pour ses courts métrages, The Tune ne se limite pas à la simple curiosité : s'il est mal construit, bricolé, bancal et inabouti, c'est aussi une mine de trouvailles visuelles, d'idées farfelues et de gags déjantés qui impose Bill Plympton comme l'un des cinéastes les plus iconoclastes... et donc des plus précieux qui soient !

L'impitoyable lune de miel (I Married a Strange Person !, 1997)

Le premier long de Bill Plympton, The Tune, s'avère un échec commercial total. Plympton essaye de tourner un film en prises de vues réelles, J. Lyle, qui se révèle une expérience catastrophique et financièrement désastreuse. Mais notre cinéaste ne baisse pas les bras, revient à la forme courte et réalise quelques publicités afin de rembourser ses dettes et trouver de quoi financer son nouveau projet de long métrage : L'Impitoyable lune de miel. Il met deux ans à le réaliser, seulement aidé par un opérateur et deux personnes qui le secondent pour les couleurs. Plympton aime son indépendance artistique et il sait que pour cela il ne peut compter que sur des budgets très serrés. Passé un certain seuil, la machine se met en branle et les financiers commencent à peser sur le film, leur influence augmentant à chaque millier de dollars ajoutés dans la production. Du coup, puisqu'il est cantonné aux productions artisanales, autant en profiter ; et après un The Tune presque bon enfant, il se lâche complètement dans le registre "sexe et violence" avec ce second long métrage.

Plympton est alors devenu fan des animés japonais, et il constate qu'il est désormais possible avec l'animation de s'adresser à des spectateurs adultes et même peut-être d'élargir ce qui reste encore un public de niche. Avec L'Impitoyable lune de miel, il s'amuse à faire l'expérience d'une greffe entre Akira, Braindead (deux films qu'il adore) et son univers... et le résultat est particulièrement délirant et furieux. On suit dans ce film les aventures d'un personnage à qui un bubon sur la nuque a donné le pouvoir de transformer à sa guise tout ce qui l'entoure, l'occasion pour le cinéaste de nous plonger dans un monde complètement livré aux pulsions libidineuses de son héros. Aucune règle, physique ou morale n'a droit de cité, tout peut être transformé, réinventé au fur et à mesure que le personnage se laisse aller à un nouveau fantasme. Plympton multiplie les visions de corps qui explosent et de sexes turgescents, s'amuse à triturer et malmener l'être humain pour voir ce qu'il a vraiment dans le ventre. Le film est donc très cru, très gore, mais toujours dans un esprit joyeux et libertaire.

Si Plympton accumule les séquences délirantes et outrancières, on retrouve dans ce film ce rythme heurté si caractéristique de son univers, à savoir des scènes complètement furieuses qui s'arrêtent d'un coup pour céder la place à des moments calmes et lisses comme la mer après la tempête. On est ainsi constamment surpris, aux aguets, attendant le nouveau coup de vent (de folie) qui va nous emporter on ne sait où. Avec ce film, pour lequel il remporte le Grand Prix du Festival d'Annecy, Bill Plympton s'impose véritablement comme un grand cinéaste d'animation, même s'il est encore pour l'heure cantonné au ghetto du cinéma underground. Il lui faudra encore quelques films pour commencer à s'en affranchir et pour s'imposer comme l'un des talents les plus singuliers du cinéma d'animation contemporain.

Les mutants de l'espace (mutant aliens, 2000)

Earl, un astronaute, a passé vingt ans à errer dans l’espace suite à un incident technique. Il raconte à son retour sur Terre qu’il a atterri sur une planète peuplée d'étranges créatures et, pour preuve de ses pérégrinations spatiales, a ramené dans ses soutes cinq de ces spécimens. Ces bribes d'humains - œil, oreille, nez - posées sur des paires de pattes défrayent la chronique. Earl découvre bientôt que son ancien chef, Frubar, a sciemment saboté la mission spatiale à des fins politiques. Aidé de ses nouveaux amis, il prépare sa vengeance...

Bill Plympton est un cinéaste iconoclaste qui, au travers d’histoires délirantes, s’amuse à brocarder les travers de nos sociétés. Il décrit la bêtise des foules, des prophètes, des médias, des publicitaires, toujours avec un sens de la dérision qui trouve son prolongement dans des intrigues tarabiscotées et des visions dignes de l'esprit Mad. Ne se soumettant à aucun diktat de forme (le film est une série de vignettes à peine reliées par un fil conducteur) ou de contenu (on voit Mickey faisant l’amour à Laïka, la chienne russe envoyée dans l’espace), le cinéma de Plympton fait feu de tout bois. Les viscères explosent, les scènes de sexe sont crues, les situations aussi imprévisibles que ne l'est le dessin en constante mutation. Authentique cinéaste underground, farouche indépendant, Plympton signe certes de violents pamphlets, mais il le fait toujours dans la joie et la bonne humeur. Nul sermon dans son cinéma, mais des situations loufoques et hilarantes qui nous amènent tout naturellement à nous pencher sur la folie de notre monde.

Chez Bill Plympton rien n’est jamais acquis, et le spectateur est ballotté d’une histoire à une autre dans un récit qui déboule à cent à l’heure. Si pour la seconde fois le cinéaste remporte avec ce film le Grand Prix du Festival d'Annecy, Les Mutants de l'espace fait néanmoins un peu figure de redite, très proche dans sa forme et dans son ton de L'Impitoyable lune de miel. Mais s'il s’épuise quelque peu dans le format long, tant d'inventivité et de folie ne peuvent laisser indifférents et son univers qui se situerait quelque part entre Tex Avery et Russ Meyer fait toujours mouche.

Mondo Plympton (2000)

Mondo Plympton est un programme composé de onze courts métrages réalisés par Bill Plympton entre 1987 et 1999. Depuis son plus jeune âge et sa découverte de Disney, Plympton rêvait de devenir cinéaste d'animation. Il fait ses premiers pas dans ce domaine avec Boomtown, réalisé en1985 (et qui ne fait pas partie de la compilation), un petit film qui reçoit un écho très favorable dans les festivals et auprès d'autres cinéastes, ce qui pousse Plympton à abandonner sa carrière dans la presse pour se lancer dans l'animation. Il mise les 3 000 dollars qu'il a en poche pour réaliser Your Face, qui remporte l'Oscar 1988 du film d'animation et qui est également présenté en sélection officielle dans la catégorie court métrage à Cannes. Le succès de Your Face lui permet d'enchaîner sur un nouveau court et c'est ainsi que depuis longtemps Plympton avance, chacun de ses nouveaux films recueillant suffisamment d'argent pour qu'il puisse réaliser le suivant. Lorsqu'il se lancera dans le long métrage à partir de 1992, l'équilibre financier ne sera plus le même et il reviendra régulièrement à la forme courte qui devient son principal moyen de subsistance (avec la publicité et les vignettes pour des chaînes comme MTV), leurs réguliers passages à la télévision ou sélections en festivals lui permettant de produire ses œuvres les plus ambitieuses.

Si la forme courte est une nécessité économique pour Plympton, c'est aussi et surtout un laboratoire d'expérimentations et une formule qui lui permet de donner libre cours à tous ses délires. Your Face est ainsi une véritable profession de foi, une œuvre programmatique : Plympton s'y amuse à déformer un visage, à le triturer dans tous les sens, à lui faire subir tous les affronts. Transformer, malmener, tordre... c'est ce que le cinéaste appliquera par la suite à ses personnages et à ses histoires. Plympton nous abreuve dans ses petits films de conseils aussi utiles qu'absurdes (How to Kiss, 25 Ways to Quit Smoking), de sexe et de violence (le démentiel combat entre deux types stoïques dans Push Comes to Shove, la bien nommée série des Sex & Violence, la caméra cachée gore de Surprise Cinema...). Mais une violence toujours joyeuse, festive, absurde qui reflète le regard iconoclaste que pose Plympton sur notre société. Le cinéaste est un farouche indépendant (qui ne manque pas une occasion pour raconter qu'il a refusé un contrat d'un million de dollars pour participer à la production Disney Aladdin) qui dénonce le conformisme, la société de consommation (même s'il signe de temps à autre des publicités, mais en assumant de « faire la pute ») et toutes les formes de dogmes, qu'ils soient politiques, patriotiques (il dut servir cinq ans dans la Garde Nationale pour éviter de combattre au Vietnam), religieux ou économiques. La forme courte lui réussissant généralement mieux que la forme longue (il faut attendre Hair High en 2004 pour découvrir de lui un film long vraiment construit), Mondo Plympton est une excellente porte d'entrée pour découvrir cette œuvre drôle, féroce, outrancière mais aussi parfois poétique et fleur bleue qu'est celle de Bill Plympton.

Hair high (2004)

Un barman loquace raconte à un couple de clients une histoire qui s'est déroulée au lycée « Echo Lake High » dans les années 50, une romance inattendue entre le gringalet du campus et sa reine. Tout allait pourtant de soi dans ce typique établissement scolaire des années 50 et la belle Cherri ne pouvait qu'être promise à Rod, le caïd du lycée. Mais c'était sans compter sur le destin et la malice de Bill Plympton qui vont tous deux se mettre en quatre pour faire tomber la reine du bal dans les bras de Spud, le premier de la classe gaffeur...

Avec Hair High, Plympton tord les figures du High School Movie, s'amusant de ses passages obligés et de cette icône américaine qu'est le teenager. L'amour improbable entre Cherri, la pom pom girl star du lycée, et Spud, le loser patenté, résume à merveille les conservatrices et réactionnaires années 50 ; et tout ce qui pouvait être souterrain dans le genre surgit soudainement à la surface avec une férocité et une vitalité réjouissantes. Mais si on s'attendait de la part de Plympton à une nouvelle bombe transgressive, Hair High surprend par un côté fleur bleue qui se marie de manière réjouissante avec la comédie trash. Plympton signe ainsi à la fois un conte de fées hors norme et une critique acerbe de la mythologie américaine des innocentes années 50, ce prétendu âge d'or d'avant la remise en cause du modèle américain des 60 's. Le discours du cinéaste se révèle très construit, les différentes strates du film se faisant parfaitement écho.

Alors que Plympton concevait ses précédents longs métrages comme des successions de gags, sans chercher à rendre vraiment cohérent le projet d'ensemble, il entame un tournant avec Hair High en travaillant sur l'unité du film, sur sa structure. Il soigne l'histoire, les personnages, et ne se contente plus d'aligner les scènes énormes. Hair High représente trois ans de travail acharné, le cinéaste sous-traitant pour la première fois une partie de sa fabrication en faisant appel à des étudiants pour occuper les postes de traceurs et de décorateurs. Les planches sont filmées en 35mm, une première pour lui, tout comme le fait de travailler avec des acteurs chevronnés (dont David Carradine) pour les voix. Le film est en outre doté d'une bande originale démente signée par Maureen McElheron (que Plympton connaît depuis le début des années 70) et le génial Hank Bones, Le budget total du film avoisine les 400 000 dollars, une peccadille au regard des productions d'animation classiques, mais une somme qui représente pour lui le double de ce que lui coûte habituellement un long métrage. Si le travail de graphisme et d'animation de Hair High est clairement au-dessus de ses précédentes réalisations, Bill Plympton ne sacrifie rien de son style inimitable. Hair High est un nouveau souffle dans la carrière du cinéaste, un film plus posé, plus romantique, qui annonce son chef-d'œuvre à venir : Des idiots et des anges.

Des idiots et des anges (Idiots and angels, 2008)

Angel, un margoulin de la pire espèce, se réveille un matin doté d'une paire d'ailes. Cet appendice angélique ne convient guère à sa vie faite d'arnaques et de dépravation, et il tente tant bien que mal de les dissimuler à son entourage. Il essaie un temps d'utiliser son pouvoir de voler pour monter quelques larcins, mais ses ailes, dotées d'une volonté propre, l'empêchent de mener à bien ses combines. De même, lorsqu'il les emprisonnent avec des sangles, elles s'arrangent pour se libérer et pour montrer au monde qu'il a été touché par la grâce. Angel est à bout mais lorsque des proches commencent à s'intéresser à ses ailes, y voyant une source de profit inespérée, contre toute attente il s'oppose à eux, comme pour protéger la pureté de ces marques divines... Aurait-il finalement fait un bout du chemin vers le bien ?

Bill Plympton, échaudé par la complexité de Hair High et son échec commercial, décide avec Des idiots et des anges de prendre le contrepied de cette expérience. Exit donc les couleurs chatoyantes et la fluidité de l'animation, Plympton choisit des tons monochromes et un style très simple reposant sur le crayonné et les hachures. Il revient à une fabrication artisanale, solitaire et à un budget minuscule (le film lui coûte 100 000 dollars, soit quatre fois moins que Hair High). Il n'y a pas de paroles (l'animation des lèvres ayant pris un temps énorme au cinéaste sur son précédent projet), mais un accompagnement musical très recherché qui participe à donner au film son ambiance si particulière. Plympton apporte toujours un grand soin à l'élaboration de ses bandes sonores et aux choix des morceaux, et il utilise ici des compositions de Pink Martini, Nicole Renaud et Tom Waits, ce dernier lui cédant ses droits pour une bouchée de pain.

Plympton ne simplifie pas seulement son graphisme et ses techniques d'animation, mais aussi son récit. Depuis Hair High, le cinéaste ne cherche plus l'accumulation de gags, l'outrance et les coups de force, il tend vers une ligne narrative plus claire, plus directe. Ici, l'histoire est presque linéaire à l'image du parcours d'Angel qui va - tant bien que mal - du mal au bien... justement. Plympton n'étant ni un bigot, ni un moraliste, faire le bien c'est simplement trouver le bon équilibre entre l'égoïsme et la vie en communauté. Mais pour les pervers, les lubriques et les crapules qui hantent ses films, c'est déjà un véritable chemin vers la grâce divine ! Avec Des idiots et des anges, Plympton signe un magnifique conte noir. L'humour acide du cinéaste est toujours là, mais il s'éloigne de l'underground où il a jusqu'ici œuvré et accepte pleinement ses penchants romantiques, sensibles depuis The Tune mais qu'il mettait en sourdine derrière des délires gore et sexuels. Le cinéaste met souvent en scène un homme solitaire, accablé par la société (The Tune) ou emporté par ses pulsions (L'Impitoyable lune de miel), et l'on retrouve dans ce nouveau film un héros déchiré entre l'envie de faire le bien et le besoin de satisfaire égoïstement ses désirs. Angel est ainsi le dernier avatar d'une longue lignée de personnages derrière lesquels on devine masqués les doutes et les questionnements de l'artiste.

Des idiots et des anges est le film le plus intimiste, la plus introspectif, le plus resserré de Bill Plympton. Si son humour est toujours noir et grinçant, si les situations sont souvent délirantes et extrêmes, l'ensemble est dans un même temps plus mélancolique, poétique et romantique. Un reniement par rapport à ses débuts underground ? Plympton s'assagirait-il ? On aurait au contraire plutôt tendance à penser que le cinéaste s'est retrouvé, Des idiots et des anges rappelant son premier film, The Tune, qui était peut-être le plus proche de sa vraie personnalité. Comme s'il ne se sentait plus obligé d'aller toujours plus loin dans l'outrance et la folie pour s'assurer une place à part dans le paysage du cinéma d'animation, qu'il se livrait enfin complètement à son univers d'artiste et à sa vision douce-amère du monde.

les amants électriques (cheatin', 2014)

A la faveur d'un accident sur un circuit d'auto-tamponneuses, la belle Ella tombe dans les bras de Jack. C'est le coup de foudre (au sens propre comme au sens figuré) et après quelques folles nuits, ils se marient et s'installent dans un petit pavillon de banlieue, prêts à filer le parfait amour. Mais le rêve s'écroule avec l'irruption d'une vamp éconduite par Jack et qui compte bien lui faire payer cet affront. Elle fomente une intrigue pour lui faire croire qu'Ella le trompe avec tous les hommes de passage. Le complot fonctionne à merveille et Jack, fou de jalousie, se jette à son tour dans le stupre pour se venger de la prétendue infidélité de son épouse...

Cette folle histoire d'amour et de haine est venue à Plympton au début des années 2000 suite à une aventure passionnelle qui s'est transformée en cauchemar. La façon dont l'amour le plus total peut se trouver remplacer par une haine à la hauteur de la passion soudainement éteinte le questionne, et il décide d'explorer dans son nouveau film les mécanismes intérieurs qui font passer deux êtres de l'adoration à l'envie de s'entretuer.

Dans la droite ligne de Des idiots et des anges, Plympton a le désir de revenir à une conception 100 % artisanale, de dessiner chaque planche au crayon et à l'encre et d'ainsi retrouver la simplicité du travail d'illustrateur de ses débuts. Les nouvelles technologies lui permettent d'animer ses aquarelles avec le concours d'une équipe de collaborateurs très réduite. Le processus reste cependant très long, minutieux, et cinq années de travail sont nécessaires pour animer les 40 000 planches dessinées par Plympton. Rien que la mise en couleur et le compositing ont ainsi nécessité un an de labeur et si le cinéaste a pu mener sa petite entreprise à bien, c'est grâce à de généreux donateurs et à l'implication de l'acteur Matthew Modine dans la production. On peut s'étonner qu'un artiste qui a derrière lui vingt ans de carrière, qui a gagné des prix dans tous les festivals et qui est adulé par Tarantino ou Matt Groening, doive faire appel au crowdfunding et se retrouve à trimer pendant cinq dans son petit atelier pour réaliser un film. C'est que cet énorme temps passé sur la conception d'un film et la réduction de l'équipe au strict minimum sont le prix que Plympton est prêt à payer pour tourner ce qui lui plaît, sans se soucier des modes et des diktats des studios. Il incarne avec d'autres artistes, comme Jean-François Laguionie (qui revient avec son dernier film, Louise en hiver, à la conception artisanale de ses débuts), Alain Ughetto (dont le magnifique Jasmine a éclairé nos écrans l'an passé) ou Phil Mulloy (dont les oeuvres sont distribuées en France par Ed distribution, comme celles de Plympton), cette alternative salutaire au cinéma d'animation de studio incarné par Pixar ou Disney qui tout en pouvant offrir de pures merveilles reste toujours figé dans un évident formatage de la forme (pour les premiers) ou des idées (les seconds). Il ne s'agit pas de dresser un système contre l'autre mais de se réjouir qu'une autre voie, aussi fragile soit-elle économiquement, existe et perdure contre vents et marées et permette ainsi au cinéma d'animation de se renouveler et de défricher de nouveaux territoires mais aussi de proposer des œuvres destinées à un public adulte friand de tout ce qui sort des sentiers battus.

Car rien ne ressemble à du Plympton et ce film d'apparence plus sage que ses précédentes réalisations ne déroge pas à la règle. Plympton exagère tout : aussi bien les sentiments (du coup de foudre à la jalousie morbide) que les morphologies de personnages. L'Amérique qu'il met en scène est également exagérée, Plympton appuyant sur les clichés que son pays se plaît à véhiculer de lui-même : la fête foraine permanente, la station service perdue dans le désert ou encore les motels où les couples illégitimes se rencontrent. Il joue avec une imagerie directement issue des 50's car c'est une époque où tout est iconique et Plympton n'a jamais fait autre chose que travailler à partir de clichés. Les rapports hommes / femmes, la caractérisation des personnages et des sentiments... tout est ainsi stylisé, icônisé. Il se dégage ainsi du film un aspect satirique évident mais aussi une douce mélancolie, non pour un passé qui ne serait plus mais pour une Amérique rêvée qui n'a jamais été. La stylisation permet également à Plympton de jouer sur l'érotisation des personnages mais aussi des objets et des lieux. Si le film n'est ni explicite ni provocateur, le sexe est partout et conditionne tout. C'est une vision d'une Amérique totalement sexuée à laquelle nous convie Plympton qui met ainsi à jour la schizophrénie d'une culture partagée entre l'omniprésence du sexe et le puritanisme.

On rajoutera que Les Amants électriques est truffé de trouvailles et d'inventions visuelles, magnifiquement mis en scène (incroyable travail sur les placements et les mouvements d'une caméra virtuellement présente) et merveilleusement rythmé par la partition très riche et travaillée de la fidèle Nicole Renaud. Certains diront trop rapidement que Plympton s'est assagi avec ce film, offrant quelque chose de trop classique et linéaire (toute proportion gardée) comparé à ses œuvres antérieures, mais c'est passer à côté de ce ce mouvement qu'il a amorcé depuis dix ans avec Hair High et poursuivi avec Des idiots et des anges, un mouvement qui le ramène à ses premières amours après des années où il s'est fait un nom dans l'underground. Car oui, il serait temps de le comprendre : Plympton est un artiste fleur bleue, un sentimental, un mélancolique, et c'est en se laissant aller à cette veine qu'il offre le meilleur de lui-même, comme en témoigne ce nouveau chef-d'oeuvre que sont ces Amants électriques.

la vengeresse (revengeance, 2016)

Le sénateur Face de mort, ancien biker devenu un célèbre champion de catch, embauche le chasseur de prime Red Rosse pour retrouver un journal intime que lui aurait dérobé une certaine Lana. Rosse, secondé de sa mère, part sur la piste de cette étrange jeune femme aux allures de Ninja. Mais Face de mort a également lancé aux trousses de Lana trois autres bounty hunters bien plus sauvages et dangereux que le petit détective aux imposantes lunettes...

Si Revengeance est comme toujours chez Bill Plympton le fruit d'un travail artisanal – trois ans de boulot et une campagne de crowdfunding pour réunir les fonds nécessaires – pour la première fois il n'est pas l'unique auteur du film. Il collabore en effet avec Jim Lujan, un fan du cinéaste de trente ans son cadet qui lui a sauté dessus lors d'un Comic-Con à San Diego. Plympton se sent immédiatement en phase avec ce jeune animateur autodidacte et il lui propose de travailler à partir d'un de ses scénarios. Lujan signe le script, compose la musique, double la plupart des personnages tandis que Plympton se charge de l'animation, adaptant son trait au style de son jeune partenaire tout en offrant un univers graphique immédiatement reconnaissable. Cette collaboration brise quelque part le trajet artistique de Plympton qui a opéré depuis Des idiots et des anges un virage vers un cinéma plus mélancolique et romantique. Lujan apporte en effet une fougue, une fraîcheur tels que Plympton se retrouve à renouer avec ses délires de jeunesse.

Les deux hommes s'amusent des codes du film noir mais aussi de toute une imagerie à la Hunter S. Thompson ou Fritz the Cat. Ou comment un détective sorti de chez Hammet – certes plus Woody Allen que Bogie – se retrouve propulsé dans une Amérique héritée des 60's, peuplée de Hell's Angels, de bouseux belliqueux et de mouvements sectaires, le tout sur fond de southern rock et de psychédélisme. Le style Plympton - paysages et corps déformés, couleurs criardes - se marie parfaitement avec cette Amérique lysergique. Pour le reste, on navigue en terrain connu avec une enquête de film noir tarabiscotée à souhait ainsi que des personnages et des paysages iconiques (le désert, les motels miteux...). C'est que Plympton et Lujan jouent avec notre connaissance de ces images et de ces codes, non pour s'en moquer ou les pervertir mais juste pour s'en amuser en les détournant gentiment ou en forçant le trait. Lujan avoue être fan du cinéma de Tarantino (qui lui même adore Plympton, utilisant son patronyme pour le mari assassiné d'Uma Thurman dans Kill Bill) et l'on retrouve effectivement ici le second degré et le côté ultra référentiel d'un Pulp Fiction, le scénario rappelant également les récits néo-noirs et humoristiques d'un Shane Black. Et il y a bien sûr l'aspect politique du film, la satire rejoignant là encore une grande tradition de la culture underground. L'argent roi, les magnats corrompus, le second amendement, l'intégrisme religieux, le white supremacism, la politique spectacle (le sénateur fait fortement penser au président d'Idiocracy)... : le film se glisse dans les chaussons de la contre-culture, un peu trop confortablement pourrait-on dire. Si ce n'est que l'actualité immédiate du pays vient ironiquement leur donner raison, Trump étant élu alors même qu'ils viennent d'achever le film. L'air (nauséabond) du temps...

On sent que Plympton prend beaucoup de plaisir à renouer grâce à Lujan avec l'underground foutraque de ses débuts, et ce même si le film s'avère au final plus sage et linéaire que ses œuvres de « jeunesse ». On peut regretter un peu ce retour en arrière après deux chefs d'oeuvres plus personnels, mais la sagesse (toute relative) du récit et le jeu sur des codes éprouvés font de cette Vengeresse une porte d'entrée idéale pour découvrir le cinéma de Bill Plympton.

Tous les films de Bill Plympton sont disponibles en DVD chez Ed Distribution.

Par Olivier Bitoun - le 22 avril 2014