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Tops de la rédaction

Selon la formule communément sollicitée, un scénariste aurait écrit le déroulé de l’année 2020 qu’on l’aurait pris pour fou. Nous n’allons pas refaire ici l’historique inconcevable de ce qui s’est déroulé douze mois durant, ni même - pour se limiter au domaine cinématographique qui nous concerne ici - établir l’effrayant catalogue des disparitions illustres ou dresser l’inventaire des événements inédits qui auront émaillé cette année impensable. Nous nous en tiendrons aux faits : en France, les salles de cinéma ont été fermées du 14 mars au 22 juin, puis à nouveau depuis le 30 octobre dernier. Les conséquences ont été multiples et nécessiteraient un rapport spécifique, notre attention retient plusieurs points inextricablement liés : la mise à mal de l’économie de la culture, significativement pointée comme "non essentielle" (et nos pensées vont à tous, distributeurs, exploitants de salle, techniciens, auteurs, etc... qui, non contents de subir les atermoiements de leurs autorités "compétentes", ont dû se résigner à ne plus pouvoir définir des projets qui leur donnaient le droit de vivre de leur passion) ; le serrage de frein durable de l’industrie, qui pour des raisons de production comme de calendrier, ne pourra pas rattraper le retard accumulé en un claquement de clap ; l’accélération de la montée en puissance, déjà observée ces dernières années, de la vidéodiffusion, placée soudainement dans une situation de monopole de fait qu’elle ne réclamait pas - en tout cas pas déjà.

On connaît le refrain : le cinéma s’en remettra. Ou mieux, il se « réinventera ». 
C’est certain, notre époque ne se mettra pas subitement à arrêter de produire des images (la tendance est même largement inverse), mais qui dit « images » ne dit pas « cinéma ».
Quand le cinéma, dans les années 50 ou 60, eut à affronter la concurrence de la télévision :

  • - il conservait la prérogative de l’exclusivité chronologique durable ; aujourd’hui, sans même parler des questions de piratage qui font que certains films sont disponibles sur des plateformes de streaming avant même leur sortie salles, la réduction drastiques des délais (17 jours aux Etats-Unis depuis juillet dernier !) annule ce privilège ;
  • - il offrait la promesse unique de l’expérience collective ; aujourd’hui, entre le respect des règles de distanciation et la crainte d’un air insuffisamment brassé, la promesse principale est celle de la contamination ;
  • - il garantissait des conditions techniques optimales pour, en particulier, découvrir les superproductions les plus spectaculaires sur écran géant ; aujourd’hui, la généralisation des écrans HD et des systèmes home-cinéma font que les plus technophiles des spectateurs ont chez eux un système au moins équivalent (sans - qui plus est - le risque de nuisance d’un inconvenant voisin) et les majors (Disney en tête) n’ont ainsi cette année pas eu de scrupule à sortir leurs têtes de gondole directement sur leurs propres plates-formes.

En bref, une partie du public s’est approprié le slogan « restez chez vous », impératif sanitaire de base, pour s’abreuver des images livrées à domicile. Mais entre la tendance très « in » du nesting et la pathologie très « out » qu’on appelle la clinophilie, la frontière est parfois infime.

Il ne s’agit pas de pointer du doigt les platesformes de vidéodiffusion, Netflix en tête, qui non seulement ont (probablement littéralement) sauvé des vies pendant les périodes de confinement, mais ont proposé cette année des productions exclusives qualitativement assez supérieures à celles des années précédentes (pour le dire simplement, certains des meilleurs films que nous ayons vu cette année étaient issus de ces plateformes). Mais quiconque s’est enquillé, par exemple, plusieurs productions Amazon Prime Video de suite ne peut nier la grande uniformité des contenus, que ce soit en termes de codes de narration ou de dominantes esthétiques (avec notamment ce rendu très numérique et ces palettes chromatiques pensées pour les écrans haute-définition). On peut dire oui aux plateformes donc, mille fois oui, mais il faut s’opposer fermement à leur exclusivité : le cinéma est une industrie fragile, et il repose depuis longtemps sur ce délicat équilibre qui permet aux succès populaires de financer une large partie des œuvres moins porteuses, celles qui font naître les nouveaux talents et germer les expressions artistiques de demain. Aller en salles, c’est un plaisir individuel, c’est une expérience collective, c’est aussi un acte conscient qui consiste à refuser de confier la production des contenus audiovisuels à des algorithmes trop complaisants.

L’un des paradoxes de notre bilan salles, cette année, c’est que justement, puisque les succès annoncés (commerciaux ou critiques) ont été repoussés, il nous a été donné l’occasion de porter notre attention sur une flopée d’autres films qui, en temps normal, seraient pour beaucoup passés entre les mailles de notre attention, assez largement incapable d’encaisser la totalité de la douzaine de sortie hebdomadaires qui était devenue la norme ces dernières années. La première conclusion que nous en tirons est que, malgré le rapetissement considérable de l’offre quantitative, le niveau qualitatif s’est lui encore maintenu : malgré l’absence de bon nombre des habituels « capteurs d’attention », il y avait des choses à voir en salles, il suffisait de s’en donner la peine.

Une autre observation consiste à souligner la vivacité du cinéma documentaire, qui a rarement témoigné d’une telle diversité de formes : citons la délicatesse de l’approche de Sébastien Lifshitz (auréolé d’un succès salles pour ses Adolescentes et d’une attention particulière pour son documentaire Petite fille, produit pour Arte), le dispositif narratif très particulier de La Cravate de Mathias Théry et Etienne Chaillou (qui donne son scénario à lire à son protagoniste principal), l'exemplarité monumentale du travail de Frederick Wiseman (City Hall, cette année), la réactivité scato-politique de Sacha Baron Cohen (certaines séquences de Borat 2 - sur Amazon Prime - furent tournées en juillet, le film sortit en octobre), le faux documentaire qui brasse des vraies questions de Jean-Pascal Zadi et John Wax (Tout simplement noir) ou encore le très insolite dispositif de fictionnalisation à l’œuvre dans le remarqué Dick Johnson is Dead (sur Netflix). La vigueur du cinéma tel que nous l’aimons et le défendons réside aussi dans sa manière de témoigner, avec la singularité du regard, d’un réel qui s’emballe et qu’on peine à appréhender : l’actualité politique et sanitaire française a ainsi, déjà, donné lieu à deux documentaires très différents qui auront, cette année et chacun à leur manière, fait l’actualité : l’un, salué par un de nos rédacteurs, et centré notamment sur la question des violences policières, a connu une production et une distribution - avec des débats en salles - somme toute conventionnelles (Un pays qui se tient sage) ; l’autre, qui aura témoigné par l’exemple de l’intensité du débat public que peut encore susciter un film, et brassant large autour de l’épidémie de COVID, aura œuvré en contrebandier, diffusé et commenté par le large biais des réseaux sociaux (Hold-up). Si on s’interrogeait encore sur la vocation des salles de cinéma comme agora, ce comparatif peut contribuer à donner des éléments de réponse.

Car tout ceci a une autre conséquence, liée simplement à notre rapport au monde et à la manière dont nous le regardons : depuis ce printemps, chaque spectateur a eu ce réflexe, en voyant un film tourné « avant », de se dire que telle embrassade, telle étreinte, telle réunion, ne pourraient plus avoir lieu désormais, que ces interactions relevaient du monde tel que, pour au moins un temps, nous ne l’éprouvons plus. Bientôt, inévitablement, des films viendront témoigner de la réalité effective de ce monde du repli sur soi qui est désormais en partie le nôtre. Alors il nous faudra des artistes, avec leurs visions, pour nous donner la possibilité de mieux comprendre, s’approprier et redéfinir, ensemble, ce que nous souhaitons être le monde d’après.

Cette année, compte tenu des circonstances, nous ne proposons pas de classement collégial de la rédaction.
A chacun de piocher dans les listes individuelles pour y repérer de potentielles découvertes.

LES CLASSEMENTS DES REDACTEURS

STEPHANE BEAUCHET

1. Madre (Sorogoyen)
2. Adolescentes (Lifshitz)
3. Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary (Chayé)
4. Light of My Life (Affleck)
5. Invisible Man (Whannell)
6. Enorme (Letourneur)
7. 1917 (Mendes)
8. La Fille au bracelet (Demoustier)
9. Les Choses qu’on dit, les choses
qu’on fait (Mouret)
10. La Communion (Komasa)
11. Eva en août (Trueba)
12. Drunk (Vinterberg)
13. Lucky Strike (Yong-hoon Kim)
14. Relic (James)
15. The Climb (Covino)

 

Mentions :
Antidisturbios (Movistar+)
Je veux juste en finir (Netflix)
Uncut Gems (Netflix)

RONNY CHESTER     

1. Madre (Sorogoyen)
2. Le Cas Richard Jewell (Eastwood)
3. 1917 (Mendes)
4. Dark Waters (Haynes)
5. Adieu les cons (Dupontel)
6. Tenet (Nolan)
7. Lettre à Franco (Amenabar)

Mentions :
Soul (Disney+)
Mank (Netflix)
Uncut Gems (Netflix)

Justin Kwedi

1. Séjour dans les monts Fuchun
(Gu Xiaogang)
2. Les Choses qu’on dit, les choses
qu’on fait (Mouret)
3. Eva en août (Trueba)
4. Ema (Larrain)
5. La Communion (Komasa)
6. Queen and Slim (Matsoukas)
7. The Crossing (Bai Xue)
8. Tenet (Nolan)
9. Drunk (Vinterberg)
10. Mignonnes (Doucouré)
11. Madre (Sorogoyen)
12. The King of Staten Island (Apatow)
13. Dark Waters (Haynes)
14. Les Siffleurs (Porumboiu)
15. Le Cas Richard Jewell (Eastwood)

 

Mentions :
Mank (Netflix)
His House (Netflix)
The Vast of Night (Amazon Prime)
Petite fille (Arte)

ERICK MAUREL

1. Play (Marciano)
2. Adolescentes (Lifshitz)
3. Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait (Mouret)
4. Madre (Sorogoyen)
5. Le Cas Richard Jewell (Eastwood)
6. The King of Staten Island (Apatow)
7. Le Sel des larmes (Garrel)
8. Police (Fontaine)
9. La Fille au bracelet (Demoustier)
10. La Communion (Komasa)

Mention : 
Petite Fille (Arte)

ANTOINE ROYER

1. Madre (Sorogoyen)
2. The Climb (Covino)
3. Benni (Fingscheidt)
4. Deux (Meneghetti)
5. 1917 (Mendes)
6. Dark Waters (Haynes)
7. Le Cas Richard Jewell (Eastwood)
8. En avant (Scanlon)
9. Monos (Landes)
10. La Communion (Komasa)
11. Kajillionaire (July)
12. Drunk (Vinterberg)
13. Les Siffleurs (Porumboiu)
14. La Cravate (Théry & Chaillou)
15. La Fille au bracelet (Demoustier)

 

Mentions :
Les 7 de Chicago (Netflix)
Mank (Netflix)
Dick Johnson Is Dead (Netflix)
Petite fille (Arte)

JEAN GAVRIL SLUKA

           

1. Kajillionaire (July)
2. Tommaso (Ferrara)
3. Hotel by the River (Hong Sang-Soo)
4. Never Rarely Sometimes
Always (Hittman)
5. Douze Mille (Trebal)
6. Les Siffleurs (Porumboiu)
7. Le Sel des larmes (Garrel)
8. Un pays qui se tient sage (Dufresne)
9. The King of Staten Island (Apatow)
10. Le Cas Richard Jewell (Eastwood)
11. The Climb (Covino)
12. Ema (Larrain)
13. Eva en Août (Trueba)
14. La Femme qui s'est enfuie
(Hong Sang-Soo)
15. Dark Waters (Haynes)

Mentions :
L'Extraordinaire Mr Rogers
(Amazon Prime)
Uncut Gems (Netflix)
Da 5 Bloods (Netflix)
Dick Johnson Is Dead (Netflix)
Borat 2 (Amazon Prime)
On the Rocks (Apple TV)
Le Domaine (Arte)

Par Dvdclassik - le 20 janvier 2021