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Livres

BERNADETTE LAFONT,
UNE VIE DE CINEMA
de Bernard Bastide

352 pages
éditions Atelier Baie
octobre 2013

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Analyse et Critique

Bernadette Lafont est née devant la caméra de François Truffaut, à la fin des années 50. Elle a presque 20 ans et, derrière les maladresses de la débutante, percent déjà une véritable nature, un tempérament frondeur et un physique qui ne passe pas inaperçu : le cinéma l’adopte immédiatement. C’est grâce à son mari Gérard Blain qu’elle sera amenée à fréquenter ceux qui feront bientôt la Nouvelle Vague dont elle deviendra l’une des égéries. Après Les Mistons, c’est Claude Chabrol (dans Le beau Serge et Les Bonnes femmes) qui la lancera définitivement. Il disait d’elle : « Quelle que soit la phrase qu’on lui fait prononcer, elle ne la prononcera pas comme tout le monde », faisant notamment allusion à cette voix nonchalante assortie d’un léger accent (qui à cette époque lui faisait honte), petites singularités qui personnifiaient encore davantage une comédienne à contre-courant. Durant cette première période, elle ne brûle pas les étapes, préférant apprendre le métier sur le tas, portée par les projets et les rencontres.

Continuant pourtant de tourner dans des films exigeants, elle ne cesse d’incarner des personnages inclassables qui lui ressemblent. En 1969, l’héroïne de La Fiancée du pirate marque une renaissance, un tournant important dans sa jeune carrière. En lisant le scénario, « pour la première fois j’ai eu conscience que c’était une chance et qu’il ne fallait pas la laisser passer. » Souvent confondue avec ses personnages, elle devient presque un porte-drapeau du féminisme. C’est que, inconsciemment, elle est synchrone avec l’esprit libertaire des années post Mai-68. Elle a franchi de nombreuses barrières morales et accompagné les questionnements de son époque, les transformations de la société. Portée par ce succès, elle ne s’installe pas pour autant dans un vedettariat mais ne désire plus tourner n’importe quoi. Elle sera « une tête chercheuse en quête de sujets originaux et d’horizons nouveaux », donnant souvent leur chance à de jeunes réalisateurs. « J’aime beaucoup les êtres dans leurs promesses, quand ils ne sont pas installés et que tout est encore possible », disait-elle. Et si Bernadette Lafont continue de tourner pour un cinéma d’auteur, elle ne cache pas son envie de toucher davantage le grand public, d’aller vers un cinéma plus populaire. Là encore, pari gagné : on la retrouvera dans de nombreux succès dont Prête-moi ta main (2006) ou Attila Marcel de Sylvain Chaumet, sorti le 6 novembre dernier.

Bernadette Lafont est restée cette provinciale montée à Paris pour faire du cinéma. Elle a toujours gardé un solide ancrage dans sa région de Nîmes, où elle a grandi, s’y ressourçant régulièrement et s’impliquant dans la vie culturelle. Ce livre est aussi une affaire de complicité, un projet rétrospectif né dans le Gard, fruit de l’amitié d’un historien du cinéma qui désirait honorer un parcours de plus de cinquante ans. Bernard Bastide souhaitait en effet réaliser « un grand livre d’images retraçant sa carrière », revenir sur le travail de la comédienne d’une manière simple et très personnalisée : c’est un livre fait à quatre mains pour lequel Bernadette Lafont a ouvert ses archives et semble s’être beaucoup impliquée, jusqu’à sa mort. Certaines pages ressemblent à des cahiers de souvenirs, des illustrations sont annotées à la main et l’on trouve des documents issus de ses archives personnelles (comme des lettres de Truffaut ou Chabrol, un dessin de Miles Davis, des photos privées...). L’historien et la comédienne ont surtout privilégié l’iconographie, avec de grandes photographies tirées de ses films ou de séances photos. Bernard Bastide a voulu mettre l’accent sur « les métamorphoses physiques » de Bernadette Lafont : la brune sauvage du Beau Serge (1958), la reine barbare et guerrière de Gwendoline (1984), la blonde hitchcockienne d'Inspecteur Lavardin (1985).

Le livre revient plus ou moins longuement sur l’ensemble de ses rôles, célèbres ou oubliés (certains films ne sont jamais sortis ou sont restés inédits en France), qu’elle a interprétés au cinéma, à la télévision et même sur les planches. Ils sont ponctués des souvenirs de la comédienne livrés au gré d’un entretien où elle parle de tournages parfois compliqués et des rapports qu’elle entretenait avec les metteurs en scène (elle devait parfois se battre pour enrichir des rôles). Elle se concentre beaucoup sur les différentes facettes de son métier : son travail sur le jeu, les challenges qu’elle a dû affronter en tant que comédienne (« Paulette, ma Paulette, elle m’a donné du mal mais je l’ai réussie »). Elle parle de ses choix de vie qui ont pénalisé sa carrière, de ses grossesses qui l’ont éloignée des plateaux à la fin des années 60, ou comment certains personnages l’ont enfermée dans des types de rôles. Pour éviter de tomber dans une routine, elle a choisi des projets parfois singuliers qui l’ont montrée sous un jour différent, qui ont dévoilé un peu plus son talent au point d’attirer vers elle certains cinéastes, comme Jean Eustache pour La Maman et la putain en 1972. Ces paris, parfois gagnants, lui ont souvent porté chance.

Il n’était pas dans l’intention de l’actrice de se raconter intimement. Mis à part quelques brefs chapitres où elle s’arrête sur son enfance, sa région des Cévennes, les maisons qu’elle a habitées, sa passion pour la lecture (« ce vice impuni ») ou quand elle se permet de rares allusions sur sa famille (comme cette photo de sa fille Pauline, un deuil inconsolable, qu’elle légende pudiquement), on y trouve peu de choses qui relèvent de sa vie privée. Ce « Beau Livre » est à l’image de la comédienne : libre. Impression qui reste après avoir parcouru cette « filmo-théatrographie » riche et variée. Si la comédienne peut parfois se laisser aller à des éloges de certains réalisateurs, elle garde un jugement parfois sans appel de quelques-uns de ses films, n’hésitant pas à en égratigner plusieurs mais sans jamais renier un parcours dont elle reste fière. Son parcours artistique permet néanmoins de se faire une bonne idée de sa personnalité car le livre dresse, par son travail,  un portrait certainement très fidèle à la réalité : une grande curiosité de la vie et des êtres humains, une véritable envie de transmettre et de partager. Partie d’abord en Chine pour enseigner à des étudiants, elle a renouvelé l’expérience en France de façon régulière jusqu’à organiser des ateliers, des stages, dans plusieurs villes. Sa passion pour le théâtre vient certainement un peu de là, également. C’est auprès de Michel Galabru, dans L’Eau à la bouche de Jacques Doniol-Valcroze en 1959, que cela s’est manifesté pour la première fois. En donnant la réplique à cet acteur de théâtre, elle sut par intuition qu’elle monterait un jour sur les planches. Il lui faudra attendre vingt ans.

Ce livre ne devrait pas ravir que les admirateurs de Bernadette Lafont. Très agréable à feuilleter, il suscite régulièrement la curiosité et donne surtout envie de se replonger dans sa foisonnante filmographie.

En savoir plus

La Cinémathèque Française organise un hommage à Bernadette Lafont du 13 au 15 décembre 2013.

Par Stéphane Beauchet - le 13 décembre 2013