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Interviews

Par sa nature même, le site DVDClassik a avant tout vocation à commenter l'actualité du cinéma de patrimoine, mais il s'est depuis toujours efforcé de garder un oeil attentif - et souvent enthousiaste - sur la création contemporaine, en particulier quand celle-ci parvient à créer des résonances fortes avec le passé.

Plusieurs raisons nous amènent ainsi aujourd'hui à déroger à cette règle qui nous a, depuis des années, incités à laisser aux autres le plaisir de commenter l'actualité la plus brûlante. La première d'entre elles est l'affection, qu'il est inutile de taire, que nous portons à David Perrault, qui fut pendant des années un membre actif du forum attaché à notre site.

La deuxième vient du fait que son premier long métrage, Nos héros sont morts ce soir - présenté à la Semaine de la Critique lors du dernier Festival de Cannes, et qui sort aujourd'hui même dans les salles françaises - nous est apparu comme un film abreuvé d'une cinéphilie - en tout cas d'une vision du 7ème art - dans laquelle nous nous retrouvons complètement. Cette belle rêverie en noir et blanc, ambitieuse et troublante, peut en effet s'offrir comme un écran sur lequel le spectateur viendra projeter ses propres fantasmes de cinéma.

Et plutôt donc que de nous livrer à une analyse par le menu ou à un hasardeux catalogue de références qui n'aurait pas eu beaucoup de sens, nous avons préféré confier la parole à David Perrault pour qu'il évoque ses propres lubies cinématographiques, et notamment à sa fascination pour le motif du masque, central dans Nos héros sont morts ce soir. Nous lui avons ainsi confié des images "masquées", extraites de films choisis, en l'invitant à réagir librement sur celles qui l'inspiraient, sur ce qu'elles évoquaient en lui, et sur le lien qu'elles pouvaient entretenir avec son propre film...
Bas les masques, monsieur Perrault !

EYES WIDE SHUT DE STANLEY KUBRICK (1999)

Sans doute l'un de mes films préférés de tous les temps. En tout cas, l'un de ceux qui m'obsède le plus, et ce pour des raisons multiples. Je pourrais en parler pendant des heures... Je me souviens encore de l'émotion que j'ai pu ressentir en le voyant à sa sortie en salles, un sentiment amplifié par la mort de Stanley Kubrick. Ce film m'a d'ailleurs donné les clefs pour comprendre son œuvre. Avant, j'avais un rapport admiratif mais un peu distant avec ses films.... Peut être parce qu'il y avait, et qu'il y a toujours, un grand malentendu autour de Kubrick : on le présente souvent comme un cinéaste démiurge et froid, sans doute à cause de 2001. Mais moi, il commence à vraiment me bouleverser après. En revoyant des films comme Barry LyndonShining et Eyes Wide Shut, on se rend compte à quel point il se livre en tant qu'homme et à quel point ce sont des films singuliers, uniques qui développent leur propre langage, leur propre poétique. Et surtout à quel point il tisse avec le spectateur une forme d'intimité qui vire à l'obsession. Bref quelque chose qui est très loin finalement d'une forme totalitaire et écrasante qu'on a bien voulu lui prêter.

Eyes wide shut est un film imparfait, ce qui le rend d'autant plus touchant. Son émotion est tapie, cachée, il faut le voir et le revoir. C'est le feu sous la glace. Tout dans ce film me parle : la structure du conte, l'obsession des masques, la place du rêve dans nos vies et surtout la radiographie du couple en tant que sujet quasi mystique. Tous les cinéastes qui auscultent le couple, l'amour avec cette forme de transcendance, très éloignée du côté trivial, banal que l'on voit de beaucoup trop de films, me transportent. C'est le cas de Borzage, Sirk ou Bergman.

Une dernière chose, le film se termine par cette phrase : « Let's fuck. » Le dernier mot du dernier film de Stanley Kubrick c'est donc "fuck"... et puis "terminé", "noir", "adieu" ! C'est génial, un truc de punk, très inattendu chez lui. La manière la plus élégante de tirer sa révérence. John Ford est parti de la même manière. Le fameux « So long, you bastard ! » qui clot 7 Women. Wahouh !!

Je dis souvent qu'en tant que cinéphile je suis "kubrico-fordien", c'est une forme de boutade bien sûr parce qu'au final il n'y pas plus éloigné que ces deux cinéastes-là. Mais il y a aussi un fond de vérité, un paradoxe qui crée chez moi une véritable tension... quelque chose qui lutte entre l'ancien et le moderne et qui me pousse à faire des films. Nos héros sont morts ce soir, je pense, rend compte de cette tension.

phantom of the paradise de brian de palma (1974)

J'ai découvert ce film adolescent en VF sur France 2. Vous vous rendez compte sur France 2, ça parait complètement improbable aujourd'hui ! Plus tard c'était Blow Out sur feu la 5 et ou encore Sisters sur M6. Dingue...  Brian De Palma est le premier cinéaste dont j'ai commencé à voir tous les films. Et je fonctionne aujourd'hui toujours comme ça, par cycle. Si je découvre un cinéaste, un genre, il faut que je voie tout.

Blow Out m'a fait basculer de l'autre côté : j'ai compris ce qu'était la mise en scène en observant, fasciné, toute cette déconstruction de la machine cinématographique. John Travolta qui découpe ces images et lui plaque des sons pour découvrir la vérité. C'est ultra théorique et en même temps, c'est un mélo flamboyant : un type qui va sacrifier la femme qu'il aime pour se donner raison. La fin est la plus désespérée jamais tournée ; je pleure à chaque fois. Parler au cœur pour mieux faire tourner le cerveau... L'équilibre est parfait, et c'est une alchimie vers laquelle j'aimerais tendre. De Palma est devenu aujourd'hui un cinéaste purement théorique. Il n'y a plus que la mise en scène, ça ne s'incarne plus dans les acteurs. Ça me rend triste. Redacted ou Passion, je trouve ça atroce, notamment au niveau de l'interprétation... Alors que Travolta dans Blow Out, c'est la plus grande idée de casting de tous les temps, et c'est de loin son meilleur rôle ! J'aimerais revoir cette humanité dans les films de De Palma. Mais on s'en fout, ça n'enlève rien à ce que cet homme m'a apporté. Son influence sur moi a été fondamentale. C'est un maniériste mais avec un cœur immense, un romantique qui se cache derrière le formalisme et revisite des formes anciennes pour mieux apprivoiser ses propres angoisses. C'est la démarche de Nos héros sont morts ce soir : utiliser des codes connus, des signes venus du cinéma classique pour mieux se raconter et se découvrir soi-même.

Quant à Phantom of the Paradise, c'est un miracle. Sur le papier c'est n'importe quoi : un mélange improbable de comédie musicale, de film d'horreur, de Glam Rock, du Fantôme de l'Opéra, du Portrait de Dorian Gray, d'influences hitchcockiennes... et non seulement ça tient debout mais on peut le revoir en boucle tellement c'est jouissif et bouleversant à la fois !

DOSSIER SECRET (MR. ARKADIN) d'orson welles (1955)

J'ai un très gros problème avec Orson Welles... Citizen Kane, j'adore l'introduction, magique, je suis fou de la fin (qui est une des plus belles jamais trouvées) mais entre les deux je m'ennuie poliment. J'admire les trouvailles techniques qui sont bien évidement renversantes mais ça ne me suffit pas pour aimer un film. Au final c'est un cinéaste qui ne m’intéresse pas, je le regrette mais c'est comme ça. J'étais même heureux récemment quand il s'est fait détrôner par Vertigo au classement des meilleurs films de tous les temps. Pour moi c'était comme la victoire de la poésie sur la technique. C'est dire à quel point c'est un cinéaste qui ne me parle pas. J'ai essayé de comprendre pourquoi...

Mr Arkadin devrait me fasciner avec ces réflexions sur le masque, l'identité, le monde en tant que gigantesque scène de théâtre mais non. Le seul film de Welles que j'adore c'est La Splendeur des Amberson. Et puis un jour j'ai eu une sorte de révélation : mais c'est bien sûr, Orson Welles ne joue pas dans La Splendeur des Amberson ! Je me suis alors rendu compte que je ne l'aimais pas du tout en tant qu'acteur. Je dirais même qu'il me sort par les trous de nez ! En sachant qu'il joue dans 80 % de ses films, difficile pour moi d'apprécier son œuvre. Mais j'ai tort et je pars toujours du principe que ceux qui aiment ont toujours raison.

Dans Nos héros sont morts ce soir, Anna, le personnage joué par Alice Barnole dit : « Moi j'aime bien aimer, alors je me force tout le temps. » C'est une phrase qui pourrait résumer mon rapport à l'Art et au monde. Il faut toujours remettre en question ses goûts, pour apprécier un maximum de choses et jouir pleinement de la vie. Je ne suis donc pas à l'abri d'aimer un jour Orson Welles...


Les Yeux sans visage de Georges Franju (1960)

Les Yeux sans visage est le seul chef-d’œuvre du film d'horreur français. En tout cas celui qui reste incontestable. Franju avait la formule magique. Son art poétique devrait être un modèle pour tous les cinéastes français qui tentent de se frotter au cinéma fantastique. En France, on a toujours tendance à copier le cinéma américain lorsqu'on aborde le cinéma de genre, je pense que c'est une erreur fondamentale. Il y a une vraie tradition du fantastique, du merveilleux en France qui nous vient des grands feuilletonistes tel Hugo, Dumas, Gustave Lerouge ou Souvestre et Allain, les créateurs de Fantomas. J'ai tenté de retrouver ce goût pour les masques, les ruptures de ton, les récits à la limite du surréalisme dans Nos héros sont morts ce soir. Une forme de gratuité en somme, mais qui parfois délivre des vérités plus grandes que le quotidien. Un peu comme les rêves... Aussi absurdes puissent-ils paraître parfois, les rêves nous connectent de manière fondamentale à notre intimité et à notre mystère.

l'heure du loup d'Ingmar Bergman (1968)

Pour moi, Ingmar Bergman est l'artiste absolu. Il a écrit, réalisé plus de 50 films, seul dans son propre système de production, avec ses comédiens de prédilection afin d'exprimer au plus près ses angoisses, ses obsessions. Ce qui est prodigieux c'est qu'en exprimant des choses très personnelles et singulières, il a réussi à devenir universel. Surtout, il a littéralement inventé le cinéma contemporain, les fameux "films-cerveaux". L'Heure du loup, comme Persona, est un grand film schizophrène (le titre apparaît en plein milieu du film !) : la première partie est la radiographie d'un couple en pleine déliquescence, la seconde un véritable cauchemar éveillé. Et c'est ponctué d'images tétanisantes comme ce moment où Max Von Sydow tue un enfant en le projetant à plusieurs reprises contre des rochers. Il n'y a pas plus violent que Bergman, aucun film d'horreur n'atteint cette puissance-là. Sans son cinéma il n'y aurait pas eu David Lynch, pas de Lost Highway (qui reste encore aujourd'hui mon film favori) ni de Oncle Boonmee. Bref, tous ces films scindés en deux qui laissent une grande place aux trouées poétiques, à l'imaginaire.

Bergman arrive à lier l'intime et le fantastique. Des longues plages de dialogues débouchent sur des visions expressionnistes totalement sidérantes. Son cinéma est taillé dans la matière dont sont faits les rêves, mais toujours de manière sensible et viscérale.

Nos héros sont morts ce soir est aussi un film schizophrène. Au scénario, il y avait d'ailleurs deux parties bien distinctes annoncées par des cartons, mais j'ai abandonné l'idée au montage. La première partie est plutôt réaliste, la seconde est totalement fantasmagorique, comme si on plongeait dans le cerveau instable de Victor, joué par Denis Ménochet. Partir de l'humain, de la parole, pour générer des images obsédantes, telle est la leçon que j'ai retenue de Bergman.


halloween, la nuit des masques de john carpenter (1979)

Celui-là je l'ai découvert sur la 5, je l'ai vu un nombre incalculable de fois depuis. A l'époque, avec mon petit frère, on était terrorisés par cette histoire de croquemitaine ponctuée par cette musique obsédante. Mes parents m'avaient offert un caméscope HI-8 pour Noël peu de temps après. Le premier film que j'ai tourné avec était un remake de Halloween : je portais un masque blanc, je bruitais la musique à la bouche et j’assassinais mon frère avec le couteau à pain de ma mère !

Je suis un grand fan de John Carpenter. Son cinéma est d'une épure totale ; Assaut ou Fog, il n'y a rien, on dirait presque du Robert Bresson ! Halloween, il y a des rues vides, comme désertées par les parents... un homme avec un masque blanc... des entrées et des sorties de champs... Pas grand chose de plus. C'est un film d'épouvante à hauteur d'enfant qui a la pureté du conte. Chez Carpenter, il y a cette éthique de la série B à l'ancienne où l'on refuse d'être l'esclave du pognon : faire de l'absence de moyens une force. Épurer le cadre, plutôt que de le saturer...
Je m'en suis souvenu pour tourner Nos héros sont morts ce soir.

dans les salles

nos heros sont morts ce soir
un film de david perrault

Avec Denis Ménochet, Jean-Pierre Martins, Constance Dollé, Philippe Nahon, Pascal Demolon, Alice Barnole, Yann Collette

DISTRIBUTEUR : UFO DISTRIBUTION
DATE DE SORTIE : 23 OCTOBRE 2013

France, début des années 60. Simon, catcheur, porte le masque blanc, sur le ring il est "Le Spectre". Il propose à son ami Victor, de retour de la guerre, d’être son adversaire, au masque noir :  "L’Equarrisseur de Belleville". Mais pour Victor, encore fragile, le rôle paraît bientôt trop lourd à porter : pour une fois dans sa vie, il aimerait être dans la peau de celui qu’on applaudit. Simon suggère alors à son ami d’échanger les masques. Mais on ne trompe pas ce milieu-là impunément...

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Par Dvdclassik - le 23 octobre 2013