Menu
Livres

2001 Le futur selon Kubrick
un livre de Piers Bizony

Edition Cahiers du cinéma
1984 (2000 pour l’édition française)

Acheter sur Amazon

Analyse et Critique

 Quelques mois avant l’entrée dans le troisième millénaire, les éditions des "Cahiers du cinéma" ont eu l’idée de traduire et de publier "2001 Le futur selon Kubrick". A cette époque le monde du cinéma est partagé entre la joie et la tristesse : joie de fêter enfin cette année rêvée par Kubrick en diffusant sur les plus grands écrans du monde une copie sublime de "2001 l’odyssée de l’espace" et tristesse d’avoir perdu le génie qui marquera à jamais l’histoire du cinéma et plus largement l’histoire de l’art.

Ce livre de 165 pages, présenté dans un très beau format, est le fruit du travail de Piers Bizony. Ce cinéphile quarantenaire a réunit une quantité de documents rares et d’entretiens passionnants qu’il a synthétisé dans un ouvrage qui se lit comme on regarde un "makin’ of" réalisé par un passionné (qui a dit Bouzereau ??).

Dans sa préface Bizony raconte sa première expérience 2001 : à 8 ans il insiste auprès de ses parents pour aller voir ce long métrage qui s’annonce comme le plus grand film jamais réalisé sur la conquête de l’espace. A la sortie ses parents, perplexes, lui demandent s’il a compris quelque chose. Le petit Piers leur répond alors "On est pas censé comprendre ! Il suffit de regarder !". Cette phrase résume le regard que continue à porter Bizony sur le film. Lors de l’écriture de son ouvrage il ne cherche jamais à convaincre que 2001 est le plus grand film. Il écrit juste de quoi ce chef d’œuvre est fait et, à travers différents chapitres très riches en photographies en dessins et en notes de production, Bizony plonge le lecteur au cœur de l’expérience 2001.

Tout d’abord il y a cette idée de Kubrick qui apparaît dans un contexte historique de guerre froide. A partir de 1961 les USA entrent en compétition avec les Russes à propos de la conquête spatiale. Kennedy promet la lune à ses concitoyens, la NASA devient le septième service public américain en terme de budget et les émissions TV en direct de Cap Canaveral battent des records d’audience. Hollywood doit réagir. Stanley Kubrick, jeune réalisateur auréolé du succès de "Docteur Folamour", débarque alors avec son projet. Il obtient le feu vert, un budget faramineux, tourne son film en toute indépendance et obtient un succès critique et public quelques années après la sortie du film. Dans un chapitre intitulé "Le Voyage ultime" Bizony raconte toutes ces péripéties et ce climat de guerre froide avec minutie. Il nous permet ainsi de mieux comprendre comment un chef d’œuvre d’une telle modernité a pu voir le jour dans l’industrie Hollywoodienne.

Le troisième chapitre qu’il appelle avec finesse "Le choc des Titans" décrit la rencontre entre Kubrick et Arthur C Clarke. En réunissant de nombreux témoignages il montre que cette réunion de talent est l’élément déclencheur du film. Sans Clarke, Kubrick n’aurait pas eu cette inspiration créatrice. Ce chapitre est intéressant car il permet de mettre un terme aux légendes narrant la mégalomanie et la solitude artistique du grand Stanley. Comme tout réalisateur de talent, il a toujours su s’entourer d’artistes, et de techniciens hors pairs, prouvant que le cinéma est et restera le fruit d’un travail d’équipe.

A partir de cette rencontre avec l’écrivain de science fiction, 2001 commence à voir le jour. Clarke écrit son roman et Kubrick l’adapte en un synopsis que Bizony nous offre dans son second chapitre. Les équipes se construisent autour de l’artiste, il leur insuffle son génie. Les effets spéciaux, les décors, et les premières images commencent à apparaître dans les studios londoniens. Cette énergie créatrice est abondamment décrite par Bizony dans les chapitres 4 (la construction des vaisseaux), 5 (les simulateurs de vol), 6 (une aube africaine) et 7 (marcher sur les murs). Cette partie du livre en constitue le cœur. A travers une masse de documents iconographiques, d’interview et de témoignages d’époque, le lecteur est plongé dans les coulisses de 2001. Parmi ces documents passionnant retenons le témoignage émouvant d’Andrew Birkin (le frère de Jane !) à qui Kubrick donna sa première chance : arrivé sur le tournage en temps que coursier, il se fait repérer par une remarque qui le propulse troisième assistant réalisateur !!! Ses souvenirs sont pleins de tendresse et de respect pour l’homme et l’artiste Kubrick …

Enfin dans le dernier chapitre ("Un homme très secret") Bizony livre le secret de l’indépendance artistique du cinéaste. Il explique comment ce dernier a su cacher ses images à la MGM en réussissant même à se débarrasser des visiteurs du studio. "Kubrick épuisait les cadres du studio. Il n’avait pas d’ulcère, il en donnait aux autres" écrit Bizony. Il parle également des méthodes de travail du réalisateur avec son équipe et décrit son regard sur le cinéma et la critique… Véritable lettre d’amour à un artiste, ce dernier chapitre se termine tristement sur la mort de Kubrick évoquée simplement à travers une phrase du responsable des effets spéciaux, Con Pederson : "Je crois que nous pensions tous qu’il était immortel". Ces quelques mots qui ferment l’indispensable ouvrage de Bizony suffisent à rappeler la disparition du maître et nous poussent à redécouvrir son extraordinaire odyssée qui elle est éternelle…

Par François-Olivier Lefèvre - le 23 octobre 2005