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Critique de film
Le film
Affiche du film

Un justicier dans la ville 2

(Death Wish II)

L'histoire

Installé à Los Angeles, Paul Kersey tente de reprendre une existence ordinaire auprès d'une journaliste aux idées progressistes et de sa fille – toujours traumatisée par les évènements de New York. Sa vie s'effondre à nouveau à la suite du viol et de la mort de sa bonne et de sa fille. Jugeant les institutions impuissantes face à son drame et à la violence urbaine, Kersey arpente les rues de Los Angeles pour exécuter les agresseurs.

Analyse et critique

"Je ne pense pas que la violence à l'écran ait quelque effet sur les gens dans la rue et aucune étude ne le prouve. S'il en était ainsi, les spectateurs regardant des comédies deviendraient drôles et ceux regardant des films d'amour deviendraient amoureux." Michael Winner – Broadcast, 23 octobre 1987

"Me and a gun"

Vous pensiez Winner cynique dans Death Wish ? Il faut alors voir Un Justicier dans la Ville 2 / Death Wish 2. Il y a deux manières de considérer ce film : d'abord, le foutre à la corbeille en l'étiquetant putassier et racoleur, Winner troussant cette fois un pur film d'exploitation, une des premières productions de nos amis Menahem Golan et Yoram Globus de la Cannon (et cela se voit). Le film rajoute un peu plus de morts graphiques et de viols. Le spectateur s'agite dans son fauteuil en se demandant s'il faut prendre au sérieux ce truc. On peut aussi estimer que Winner creuse délibérément le sillon de l'absurde. Jusqu'à se perdre. Il ne renonce pas à ses vieux dadas, insistant davantage sur le caractère prédateur de son héros moustachu et un climat amoral. Tourné en 1981, Death Wish 2 ressemble furieusement à un film des années 70.

Winner tourne à Los Angeles, la filme la nuit comme un pandémonium naturaliste, recrutant les figurants parmi la population locale d'ivrognes, drogués et prostituées. On mesure l'ambiguïté de Winner face à cet illustre inconnu qu'est Le Voyou de la Jungle Urbaine quand il écrit dans Winner takes all : "filmer de nuit dans les pires taudis est fascinant. Parler aux habitants et entendre leurs histoires est passionnant". Donc, l'atmosphère est idéalement glauque, aidée par l'extraordinaire partition de Jimmy Page, le guitariste de Led Zeppelin. Une musique grinçante, toute en guitares et synthétiseur devenus fraises sordides de dentiste non conventionné. C'est un cercle de l'enfer juste sous celui de New York. Tout le regard de Winner est dans ce plan où un alcoolique rote à la moustache d'un Bronson - en pilotage automatique pendant tout le film - à la fois fasciné et révulsé. Les scènes d'action sont bien troussées. Et par contraste, les scènes de jour sont plus ennuyeuses. Peut-être pour se démarquer du précédent film, Winner conclue par un final diurne presque anti-climatique, sans coup de feu ni bazooka, mais très "Cannon" dans l'esprit.

Pour ce film, Winner se débarrasse de toute progression psychologique ou débat médiatique : Death Wish 2 est un film à raccourcis, où Kersey n'a qu'à se promener la nuit pour tomber sur les voyous traqués. Le fait qu'il retrouve cette fois-ci les agresseurs de sa fille – "prédisposée aux accidents", selon le réalisateur – allège pour Kersey son boulot de Sisyphe de nuit. C'est fastoche mais permet à Winner de creuser un peu plus la folie du personnage et, sous l'exploitation, de dépeindre un monde encore plus absurde que dans le premier volet. Ne pas espérer de cas de conscience de la part de Kersey puisqu'il est cinglé. Sa fiancée (Jill Ireland, fade) n'est qu'une vague excuse pour rester un peu civilisé, encore qu'on peut se demander pourquoi il s'accroche à cette journaliste aux idées progressistes à des années-lumière des siennes.

Des détails idiots font tiquer : le drame de sa fille survient parce que Kersey se défend rudement contre ses agresseurs qui se vengent ensuite. Les voyous se font exécuter sans apparemment reconnaître Kersey, qui leur épargne systématiquement le laïus "tu l'as tué, je me venge". En étant pervers, on peut se demander pourquoi Winner traite d'une manière très contrastée le viol de la bonne (étiré, insoutenable) et le viol de sa fille (éthéré, presque supportable parce qu'elle ne semble pas en avoir conscience) : la lecture économique du premier film plaiderait ici pour une hiérarchie consciente de la violence selon la classe. Entre le sort expédié de la bonne hispanique dont on ne reparlera plus du tout ensuite (1) et la mort presque miséricordieuse accordée à mademoiselle Kersey, il y a comme un malaise.

L'absurde et un franc nihilisme sont aussi ailleurs, dans le dialogue de sourds entre Kersey et les progressistes (dont un psychiatre stupide), mais aussi avec Dieu. Kersey croise dans le film des Hare Krishna mais s'en fout, passe longuement devant des églises de rue mais s'en fiche, poinçonne d'un stigmate par balle la main d'un voyou serrant un crucifix. Winner garde le fusil mais pas la bible, ce qui n'est pas étonnant quand on le voyait manger du curé dans La Sentinelle des Maudits. Un sentiment de défiance envers les institutions - typique des années 70 - persiste ici, à entendre des officiels de la ville de New York suggérer de supprimer Kersey pour couvrir leur laxisme vis-à-vis du justicier dans le premier film.

Pour enfoncer le clou, Winner s'essaie aussi à des notations encore plus sarcastiques, malheureusement en partie noyées sous la complaisance. Dans des plans un peu trop signifiants, Kersey marche au milieu des rats, est encadré par l'arme d'un policier et le drapeau américain ("A history of violence" donc) ou est un peu ridiculisé par un sublime travelling devant la vitrine d'un magasin de perruques qui découvre notre héros dans l'ombre, vêtu en docker justicier. L'uniforme de Kersey est ainsi caractéristique des ambiguïtés de Winner par rapport à son sujet. Kersey se grime pour mieux se fondre dans les bas-fonds, poussant l'identification avec les déclassés qu'il traque, comme dans du Eugène Sue crade (Rodolphe dans Les Mystères de Paris) : voilà un motif habituel des films de Winner dans les années 70, où la distinction entre bons et méchants est difficile. Dans son livre Le Complexe du Loup-Garou, Denis Duclos autopsie les tueurs en série, démêle les racines de la violence américaine en remontant jusqu'à un fond mythique de légendes nordiques et écrit ceci : "(…) Clin d'œil aux vieilles légendes du chasseur noble rencontrant sa propre image bestiale dans l'animal qu'il chasse? Partie prenante du rituel de la chasse à courre, ces récits sanctifient la victime et justifient le dégoût pour la viande de chasse, qui permet au noble de se distinguer du bas peuple de sa "mesnie", en lui laissant manger sa proie. Mais la manœuvre phobique ne trompe guère : le chasseur aime d'autant plus sa victime qu'elle est "comme" lui, son double, reflet de sa propre sauvagerie". Lignes s'appliquant tout à fait à notre justicier, qui chasse pour le spectateur. Car comme nous le rappelle la bande-annonce américaine d'époque : "il le fait pour vous" (dans sa version complète en anglais, cela donne : "Death Wish Two, he does it for you!").

Winner a l'air d'aimer le prestige de cette seconde peau, le traitant sur le mode super héroïque avec habillage dans les toilettes et ombre à la Nosferatu-Batman. Mais on n'enlèvera pas à l'esprit de l'auteur de ces lignes qu'un petit regard amusé jeté par un éphèbe en salopette sur notre héros le remet un peu à sa place. Le film est ainsi parfaitement bancal : monotone le jour et aux aguets la nuit comme son héros, sarcastique et irresponsable. L'ange exterminateur Kersey agit en dehors des voies du seigneur. Ce grand gamin de Winner a du mal à faire comprendre que selon lui, "en dépit de la violence, les Death Wish sont aussi un peu des bandes dessinées, qui font clin d'œil au spectateur" (Los Angeles Times, 23 juin 1985). Cela, on ne s'en apercevra qu'avec Le Justicier de New York / Death Wish 3, sorte de point de non-retour.

   

(1) Les connaisseurs de Death Wish 3 se rappelleront aussi du partenaire de Kersey, monsieur Rodriguez, lui aussi expédié avec sa pompe à vélo dans le troisième volet. Pompe à vélo (un "zip gun") mystérieusement citée dans le Munich de Spielberg où, d'ailleurs, le personnage incarné par Geoffrey Rush déclare qu'il ne veut pas d'un "Bronson" pour exercer les représailles envers les instigateurs de la prise d'otage.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

La critique du premier Death Wish

Par John Constantine - le 21 mars 2006