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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Fille qui en savait trop

(La Ragazza che sapeva troppo)

L'histoire

Nora Davis, une jeune Américaine, se rend à Rome visiter une amie de sa famille. Elle fait la connaissance dans l’avion d’un homme qui sera arrêté à l’aéroport pour trafic de stupéfiants. Le soir de son arrivée et malgré l’avis rassurant du Docteur Bassi, qu’elle a croisé dans l’appartement, la femme qui l’héberge décède sous ses yeux. Prise de panique, Nora s’enfuit dans les rues et est victime d’une agression. A peine a-t-elle eu le temps de reprendre ses esprits qu’elle est témoin du meurtre d’une femme avant de sombrer à nouveau inconsciente. Personne ne voudra croire Nora. N’a-t-elle pas subi un choc psychologique lors de son agression ? Grande amatrice de romans policiers, n’est-elle pas victime de ses mauvaises lectures ? Nora mènera sa propre enquête avec l’aide du Docteur Marcello Bassi, qui en plus de lui servir d’assistant et de guide lui fera une cour effrénée.

Analyse et critique

Financé en partie par les capitaux américains de Samuel Z. Arkoff, le film était à l’origine destiné à n’être qu’une comédie policière de plus. Le scénario, après être passé entre plusieurs mains, atterrit dans celles de Mario Bava qui le modifia et lui donna sa forme définitive. La Fille qui en savait trop devint le film fondateur d’un genre qui allait connaître de nombreuses illustrations dans les années 60 et 70 en Italie : le giallo.

Giallo signifie jaune en italien, couleur de la couverture de ce qui était, à cette époque, l’équivalent en Italie de notre Série Noire. Bava, féru de cette littérature, en projeta ses bases sur pellicule et donna au genre son chef-d’œuvre : Six femmes pour l’assassin en 1964. Les meurtres à l’arme blanche, la ritualisation des crimes et toute une imagerie propre au genre (l’imperméable noir de Nora) se retrouvent à l’écran. En considérant ces éléments aujourd’hui, on ne peut que comprendre l’intérêt que Mario Bava pouvait y porter tant cet univers semble proche de celui qui est le sien dans Le Masque du démon ou Le Corps et le fouet. Erotisme et fascination pour le macabre s’y mêlent déjà subtilement dans une vision gothique et légèrement perverse. Le trauma originel, le fétichisme musical, le souvenir à réinterpréter se retrouveront également dans ce qui est considéré aujourd’hui par beaucoup comme le chef-d’œuvre de Dario Argento : Profondo Rosso en 1975.

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Dans La Fille qui en savait trop, Mario Bava, à travers le personnage de Nora, règle gentiment ses comptes avec le concept de "mauvais genre", lui qui, en tant qu’artisan boulimique de travail, les a à peu près tous pratiqués, de la science-fiction au péplum en passant par le film de vampires ou le western.

Bava tourna la version que souhaitaient les Américains et parallèlement à celle-ci des séquences qui ne furent utilisées que dans la version italienne du film. La version américaine, sortie sous le nom de The Evil Eye, inclue des séquences supplémentaires de comédie (la romance entre Nora et le Docteur Bassi y est plus présente) et supprime notamment les allusions aux produits stupéfiants ainsi que la voix-off qui accompagne le récit. Autre séquence absente de la version italienne : celle où Nora se déshabillant se sent observée par un portrait accroché au mur qu’elle finit par recouvrir d’un écharpe, portrait qui n’est autre que celui de Mario Bava ! La musique de Robert Nicolosi fut également remplacée par un score de Les Baxter.


La jeune et jolie Leticia Roman tient parfaitement son rôle d’ingénue et ses grands yeux effrayés (remember Barbara Steele) captent toute notre attention. En tant que vedette du film, elle eut le choix de son partenaire et recommanda son ami John Saxon (que l'on retrouvera notamment en 1982 dans Ténèbres d'Argento). On sait aujourd’hui que la communication fut difficile entre ce dernier et Mario Bava, et Saxon semble traverser le film comme un zombie, absent et particulièrement peu expressif...

Si les moments de comédie du film peuvent prêter à sourire par leur manque évident de subtilité, ils instaurent néanmoins un intéressant climat de sous-tension sexuelle, et toujours sous un angle particulier, témoin cette étonnante séquence de plage où la démarche de John Saxon, bien décidé à prendre les devants après avoir été maintes fois tenu à distance par Nora, est assimilée à celle d’un assassin.

Du film, on retiendra surtout l’admirable mise en scène de Mario Bava et son traitement photographique. Le génie de Bava explose dans ses cadres et ses éclairages tranchés. L’inquiétante obscurité de la nuit nous plonge dans l’angoisse et s’oppose aux rassurantes balades dans une Rome inondée de soleil. Mario Bava, par le traitement baroque qu’il applique aux événements tragiques vécus par Nora, prolonge notre impression de cauchemar et maintient jusqu’au bout l’ambiguïté sur la réalité des faits, impression renforcée par la "pirouette" finale.

Mario Bava, en plus d’être un chef opérateur de génie, s’affirme définitivement avec La Fille qui en savait trop comme un metteur en scène de grand talent ; et s'il est aujourd'hui reconnu, on ne peut que regretter qu’il ne lui ait jamais été confié de projet plus ambitieux.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Olivier Gonord - le 26 décembre 2002