
L'enfance du mal (Coussemacq - 2010).

Céline, une gamine de quinze ans, a fui de chez ses tuteurs. Elle a élu domicile dans la dépendance d’une maison bourgeoise, à l’insu de ses propriétaires, le juge Van Eyck et sa femme. Découverte un soir, elle parvient à se faire accepter, et jour après jour, s’évertue à séduire ses nouveaux hôtes. Jusqu’à ce qu’une série de révélations les amènent à douter que sa présence ne tienne qu’au hasard…
"Quand y'a pas de confiance, y'a pas de confiance !" (Un des merveilleux dialogues du film.


"Et donc tu vas le chroniquer demain ? T'as bien du courage." (Ma mère qui a vu le film avec moi

Effectivement.
Non pas que le film soit mauvais. Au contraire, il y a de bonnes choses et de bonnes intentions mais comme l'on sait, ça ne rend pas toujours une oeuvre meilleure qu'elle peut l'être et il est toujours douloureux de voir quelque chose qui a bien commencé se saborder complètement en son milieu pour déboucher sur une suite d'incohérences, de défauts et de prévisibilité qui laissent au final un mauvais goût en bouche. Retour plus détaillé sur l'ensemble du film.

D'abord, il faut rendre à César ce qui est à César et disons le nettement, le trio de comédiens principaux s'avère des plus justes. Surtout la jeune Anaïs Demoustier qui fait preuve d'un talent plus qu'évident (je comprends pourquoi Dunn en est devenu fan au fond) et se place à jeu égal face au Rohmerien Pascal Greggory ainsi que Ludmila Mikaël. Il en est même évident que ces derniers sont si justes que malheureusement les autres comédiens ne peuvent supporter la comparaison tant dans leur jeu que le personnage parfois caricaturé qu'ils doivent incarner, mais les défauts, on va y venir, un peu de patience.
Sur le plan de la mise en scène, Olivier Coussemacq, dont c'est le premier film (de fiction puisqu'il a déjà pas mal travaillé dans le documentaire apparemment), s'en sort d'ailleurs remarquablement bien. Tourné grâce au soutien de plusieurs régions, dont la région Picardie, il a l'oeil pour mettre en valeur le décor de grandes maisons bourgeoises (Amiénoises ?) semblant échapper de la fin du XIXe siècle. Ainsi il utilisera à fond l'espace d'une chambre, la profondeur que peut donner un escalier majestueux sous plusieurs angles, sans oublier la lumière fournie dans ce même lieu qui permettra de donner un surplus d'ambiance non-négligeable.

L'histoire en elle-même démarre bien et il est judicieux de placer une personne de haut-rang tel qu'un juge, dans l'engrenage que Céline va lentement déclencher par une manipulation subtile. Je ne sais si Coussemacq fait un clin d'oeil malicieux en la présence du nom Van Eyck en lui-même puisque les amateurs d'Art se rappelleront que Van Eyck était aussi à la base un peintre flamand célèbre pour sa toile des Epoux Arnolfini (1434, hop, photo ci-dessous). Allez, ouvrons une parenthèse, je n'y résiste pas. Dans cette fameuse toile, le peintre à peint des personnes de haut-rang dont la sobriété des visages, un peu en retenue ne permet pas de se rendre compte qu'il s'agit en fait d'êtres venant de se marier et qui vont consommer leur nuit de noces très prochainement (ça sert d'avoir eu des cours d'Histoire de l'Art, les amis). La toile est célèbre pour deux raisons. La première, évidemment picturale où la composition (espace, couleurs, traits des personnages) est d'une beauté et d'une justesse fabuleuse. Ce genre de portrait de couple a longtemps été repris et constamment modifié bien avant et bien après Van Eyck mais il est évidemment que ce dernier reste unique et des plus réussis.


La seconde raison, c'est ce fameux miroir au fond où le peintre s'est dessiné lui-aussi, immortalisant par la peinture aussi bien le couple en présence que lui-même, dégageant par la mise en abîme une sorte d'autoportrait caché.
Je ne sais si Coussemacq est conscient de toute la richesse insoupçonnée que le nom Van Eyck peut apporter.
On décèle pourtant là aussi la même ambition de dépeindre (par la caméra), un couple de notables de son époque (la nôtre) mais cette fois, où la flamme du mariage s'est totalement éteinte. C'est peu dire que cette adolescente étrange et trouble va mettre du piquant dans le couple, puisqu'ils vont quasiment l'adopter comme leur fille après quelques réticences... Malheureusement, l'histoire qui avait si bien commencée choisit de se saboter d'elle-même en plein milieu. Déjà, le personnage de Céline qui ne permet pas totalement une profonde empathie avec le spectateur. Bien sûr l'on comprends très vite la raison de ses actes, qu'elle-même est fragilisée à l'extrême et que sa posture souvent dédaigneuse ou méprisante adoptée en telles et telles circonstances cachent un profond mal-être (que l'on va découvrir par la suite).
Mais ses actes n'en restent pas moins moralement discutables et imposent une mise à distance vis à vis du spectateur. Mise à distance que ne semble plus comprendre notre juge qui va finir par tomber sous le charme de cette Lolita frenchy (mouais ok) jusqu'à s'enfoncer littéralement (et les dialogues n'aident hélas pas toujours, voir plus haut). Etrange pour un personnage si bien construit, certes replié sur lui-même mais pourtant pas dénué en même temps d'ouverture et de sensibilité. Non seulement il est musicien mais il partage avec la jeune fille le goût des livres, notamment des intrigues policières. Or, il s'enfonce sans jamais tenter de prendre du recul.

Ce qui handicape le plus le film est ce personnage de jeune, soit-disant petit-ami de Céline, simili-punk au rabais, garçon perdu, en fait une victime manipulée de plus. Je comprends la volonté du réalisateur de montrer le charme vénéneux et quasi-innocent qu'incarne le personnage joué par Anaïs Demoustier, mais fallait-il pour autant s'attarder sur lui au risque de perdre toutes notions de rythme d'une part, d'amener des clichés et du prévisible d'autre part ? Au milieu du film, quand ça commence à s'emberlificoter menu, je chuchote à la moman : "Aie, j'ai peur de deviner la fin à l'avance, j'espère sincèrement qu'il ne tombera pas dedans". Quand la fin est arrivée, j'étais consterné : C'était ce que j'avais prévu à l'avance, malheureusement, nous délivrant quelque chose de déjà vu et revu aussi bien dans le cinéma français que dans la bande dessinée ou les téléfilms.

Je me pose aussi la question.
Et n'oublions pas les incohérences et oublis du film dans cette seconde partie. J'en livre une qui n'a pas manque de me consterner, en adorateur des animaux que je suis avec du spoiler dedans.
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Dommage.
Reste la ptite Demoustier très convaincante et sur ce point elle a tout d'une grande actrice en devenir.
2/6.