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Critique de film
Le film
Affiche du film

Sur la piste des Comanches

(Fort Dobbs)

L'histoire

Gar Davis (Clint Walker) arrive à Largo, il y recherche un nommé Hansen. Le shérif (Russ Conway) le prévient de laisser tomber car dans le cas contraire il s’exposerait à de sérieux problèmes. Mais Gar le retrouve et le tue. Le voici poursuivi par les autorités jusqu’au sein du territoire Comanche. Se trouvant nez à nez avec un homme mort transpercé d’une flèche, il a pour idée d’échanger sa veste avec le cadavre et de pousser celui-ci au bas d’une falaise. Le stratagème réussit : le shérif et ses hommes pensent avoir accompli leur mission en découvrant le "meurtrier" gisant au fond du ravin. Désormais Gar passe pour mort et il peut continuer à avancer sans être pourchassé par le posse. Cependant, pour que sa ruse réussisse,  il a dû laisser sa monture. De nuit, arrivé à un ranch, il essaie de voler un cheval mais se retrouve évanoui ; il a été éraflé par une balle tirée par le jeune Chad (Richard Eyer), le fils de la propriétaire Celia (Virginia Mayo). Cette dernière s’inquiète de l’absence de son époux, censé être rentré au bercail depuis quelques jours. Gar n’a pas le temps de s’excuser pour sa tentative de vol puisque les Comanches encerclent déjà le ranch. Ils n’ont pas d’autre alternative que de s’enfuir, ce qu’ils réussissent à faire dès la nuit tombée. Alors que Celia a dans l’idée d’aller se réfugier au plus près, soit à Largo, leur sauveteur, sans leur en donner la raison, préfère conduire la femme et son fils jusqu’à Fort Dobbs. Une nuit, Celia, en fouillant la sacoche de Gar, découvre la veste prise sur le cadavre, qui n’est autre que celle de son mari ; elle accuse alors son "convoyeur" de l’avoir assassiné. Malgré les explications fournies, elle doute encore de sa sincérité. En route, ils croisent Clett (Brian Keith), un homme louche qui semble bien connaître Gar. Il essaie de se faire accepter au sein du petit groupe mais Gar refuse. Quelques heures plus tard, Clett sauve néanmoins la vie de Gar alors en mauvaise posture, attaqué de toutes parts par les Comanches...

Analyse et critique

… Et nous n’en sommes arrivés qu’à peine à un tiers du film ! En pleine vague de westerns adultes, souvent volubiles et à fortes tendances psychologiques, Gordon Douglas nous offrait alors un film d’action survitaminé et sans temps morts avec des dialogues réduits à portion congrue - mais qui n’en font pas moins mouche - typiques de son auteur qui n’est autre que Burt Kennedy, qui écrivit ce scénario entre deux autres westerns de la splendide série Randolph Scott / Budd Boetticher, The Tall T (L'Homme de l'Arizona) et Buchanan Rides Alone (L'Aventurier du Texas). Voici un exemple tout simple de son génie incisif lors des retrouvailles entre Brian Keith et Clint Walker :
Gar (Clint Walker) : « Tu continues à tuer ? »
Clett (Brian Keith) : « Je suis toujours vivant ! »

Même si Face au châtiment (The Doolins of Oklahoma), sa première contribution au western, s’était révélée extrêmement attachante, par la suite, jusqu’en ce début 1958, Gordon Douglas n’aura pas forcément brillé à l’intérieur du genre, beaucoup de ses westerns qui ont suivi n’ayant pas été entièrement satisfaisants. Se succédèrent un exercice de style un peu froid - Only the Valiant (Fort Invincible) -, un bon divertissement guère mémorable - The Nevadan (L'Homme du Nevada) -, voire un film très médiocre - The Great Missouri Raid (Les Rebelles du Missouri). Et puis, en 1957, avec le méconnu Les Loups dans la vallée (The Big Land), le cinéaste nous offrait à nouveau, après son premier western, un autre film au charme certain et au ton étonnamment doux. L’action était réduite au strict minimum, mais lorsqu’elle faisait son apparition elle nous décevait rarement tellement le contraste entre sa brutalité et la délicatesse de ce qui avait précédé provoquait son effet. Virginia Mayo était déjà de la partie et Fort Dobbs prouve à nouveau que Gordon Douglas était l’un des cinéastes ayant su le mieux la diriger.

Durant la seconde moitié des années 50, la Warner était le principal fournisseur de séries westerniennes pour la télévision. C’est grâce à celles-ci que des acteurs tels Ty Hardin, Jack Kelly ou James Garner commencèrent à émerger. Clint Walker était dans la même situation. Alors qu'il était relativement connu des spectateurs américains par le fait d’incarner le héros de la série TV à succès Cheyenne, la compagnie des frères Warner voulu lui donner une chance de percer aussi sur grand écran sans toutefois prendre trop de risques, lui proposant ce western à petit budget dans lequel il n’aurait pas à trop parler de manière à ce que ses carences en matière d’art dramatique ne se remarquent pas vraiment. Le film ne bénéficiera donc que d’un budget restreint, sera tourné en noir et blanc, et quelques stock-shots en provenance de films plus anciens seront utilisés pour l’attaque du fort. A ce propos, on regrette que les auteurs ou producteurs aient été aussi peu regardants sur les séquences choisies, puisque si l’action finale se déroule au sein d’un désert aride, certains plans de coupe sur les Indiens voient l’apparition incongrue d’une large rivière dans laquelle les guerriers tombent avec force éclaboussures ! On regrette parfois un tel laxisme laissant à penser que l'on se fiche parfois des spectateurs qui ne sont pourtant pas dupes. Cela étant dit, je vous rassure tout de suite avant que vous ne tourniez bride, il s’agit d’une excellente série B, l’une des toutes meilleurs du cinéaste. A l’exception de ces quelques stock-shots, du choix frustrant d'un tournage en noir et blanc malgré les splendides paysages traversés, d’une postsynchronisation des dialogues assez gênante et de quelques rares transparences, les faibles moyens alloués ne se font guère ressentir, grâce avant tout au solide métier de Gordon Douglas et au talent de Burt Kennedy.

La première demi-heure du film est un véritable tour de force ; avec un étonnant sens de l’ellipse et une efficacité à toute épreuve lorsqu’il s’agit de mettre en place un suspense, Gordon Douglas et Burt Kennedy semblent avoir tellement de facilités avec tous ces éléments que le spectateur aura du mal à détacher son regard de l’écran. Il y avait longtemps que nous n’avions pas vu un western à ce point mouvementé, les dialogues étant du coup quasiment absents sans que ce ne soit incommodant une seule seconde. Un véritable exercice de style auquel se livrent nos deux comparses cinéaste / scénariste ! Il faut dire qu’ils sont grandement aidés par un Max Steiner qui semble avoir retrouvé une seconde jeunesse, nous octroyant pour l’occasion une musique omniprésente mais tellement inspirée qu’elle ne nous lasse jamais, contrairement à certaines équivalentes signées Dimitri Tiomkin (pour en rester à la Warner). Qu’elle soit contemplative ou virulente, romantique ou stridente, lyrique ou pesamment angoissante, la partition que Steiner a composée pour le film est une réussite totale ; lors du générique, il se permet même de recycler le thème indien d’un de ses chefs-d’œuvre, La Prisonnière du désert (The Searchers) de John Ford, thème que l’on retrouve alors avec grand plaisir. Seulement, que les amateurs de westerns pro-Indiens soient prévenus, ici les "peaux-rouges" sont de vrais sauvages, non seulement violents et assourdissants mais également pas très futés : à une trentaine, ils n’arrivent pas durant tout le film ne serait-ce qu’à blesser les trois fugitifs traversant leur territoire dont une femme et un enfant ! Clint Walker semble prendre un grand plaisir à faire craquer leurs cervicales entre ses puissantes mains et à les tirer comme des lapins en compagnie de son compagnon d’infortune, un vil trafiquant d’armes. Mais pour ce genre de westerns "survival" qui n’a pas d’autres prétentions que de divertir, rien de grave ; il fallait un ennemi implacable pour maintenir constamment le suspense, et en l’occurrence ce sont les Comanches. Aucune tentation raciste là-dessous ! Même face à de simples bandits, le résultat aurait été le même.

En plus d’une mise en scène fluide, rigoureuse et concise, d’un solide scénario parfaitement rythmé et d’une musique puissante, saluons aussi la photographie très contrastée en noir et blanc de William A. Clothier qui, avec un parfait sens du cadre, semble s’être régalé d’avoir tourné quasiment toujours en extérieurs parmi de majestueux paysages. Grâce à ses premières images de l’arrivée de Clint Walker en ville dans une tempête de vent et de poussière, à ses cadrages en caméra subjective lors de l’attaque du ranch, à ses plans en contre-plongée sur Clint Walker, etc., plastiquement le film est également un véritable bonheur. Une séquence démontre l'art époustouflant des auteurs dans la gestion du suspense grâce à la compilation de tous ces éléments, celle au cours de laquelle Clint Walker part en éclaireur pour traverser une vallée, la caméra opérant des panoramiques afin de repérer d’éventuels ennemis sur une musique sourde et inquiétante. Elle nous rappelle celle similaire dans Apache Drums (Quand les tambours s’arrêteront) de Hugo Fregonese, celle durant laquelle Stephen McNally se retrouve seul au milieu d’une gorge qui pourrait receler toutes sortes de dangers, se tournant à droite à gauche avec angoisse. Le côté captivant de l’intrigue (pourtant assez simpliste) est renforcé par le fait que le scénario ne distille que très peu d’informations sur les personnages principaux et que leur passé demeure longtemps énigmatique, notamment celui de Gar Davis : qui est-il et pourquoi a-t-il assassiné un homme de sang-froid dès les premières minutes ? Quels sales trafics a-t-il partagé avec le personnage inquiétant qu'est Cleet ? Quant à ce dernier, que recherche-t-il exactement en tournant avec insistance autour du groupe ? Gar, c’est Clint Walker pour la première fois en tête d’affiche ; si certains l’accuseront de fadeur, je lui trouve, tout comme - toutes proportions gardées - chez Jock Mahoney, une formidable présence rien que par sa stature, sa manière de se tenir et de se déplacer : sa façon de prendre le garçon par le fond de culotte lors de l’attaque sur le ranch, le fait de rendre les chevaux minuscules par sa carrure sont des images relativement marquantes. J’avoue ne pas avoir eu de problèmes d’empathie avec le personnage, preuve s’il en est qu’il ne s’en sort pas si mal même si ses talents d’acteurs sont certes limités. Cleet, c’est Brian Keith avec son nonchalant cynisme et son inoubliable rire de hyène ; à son propos les avis devraient être plus unanimes car en à peine trois ou quatre scènes, et guère plus de 15 minutes de présence à l’écran, il marque les esprits. La scène dans laquelle Keith tente de séduire puis de violer le personnage de Virginia Mayo est réjouissante de sadisme ; sa mort est tout aussi jubilatoire si tant est qu’il soit possible d’accoler ces adjectifs à des séquences censées être fort déplaisantes.

D’ailleurs le cinéaste ne se gêne pas non plus pour inclure dans son film des images très violentes pour l’époque, comme celle où Clint Walker renfonce la flèche dans le cadavre, casse le cou d’un guerrier indien, ou encore certaines images de soldats perforés par des lances lors de la superbe séquence de l’arrivée au fort avec sa vision apocalyptique à laquelle on ne s’attend vraiment pas. Les deux autres comédiens principaux sont donc Virginia Mayo - plutôt convaincante et même assez amusante lorsqu’elle se rend compte que Gar l’a probablement vu nue (cependant il ne naît aucune romance entre les deux personnages, ce qui n’est pas forcément plus mal et qui nous change un peu) - et le jeune Richard Eyer, déjà très bon dans Le Raid de Fregonese et à nouveau plutôt sobre et talentueux ici, se voyant même octroyer une longue séquence dramatique assez touchante grâce à son jeu d’acteur. Si la première heure (celle qui voit nos quatre personnages principaux tenter de traverser le territoire indien sans se faire occire) est formidable, la dernière partie est moins originale, plus classique mais toute aussi spectaculaire et efficace. Elle se déroule tout du long au sein du fort du titre original, celui qu’a réussi à atteindre le petit groupe, vite rejoint par les habitants de Largo venus se réfugier eux aussi, les Indiens menaçant d’attaquer leur ville. Se retrouveront donc ensemble durant le blocus du fortin par les Indiens Gar et le shérif qui le poursuivait au départ : une situation intéressante mais un ensemble un peu moins captivant d’autant que les résolutions des mystères seront un peu décevantes. Cependant, il est assez amusant de constater que les motivations qui ont poussé Gar à tuer un homme ainsi que l’une des révélations sur son passé, inconnue de lui-même, rappellent étrangement la situation de Randolph Scott dans le splendide Decision at Sundown de Budd Boetticher. Burt Kennedy aurait-il regretté de n’avoir pas écrit le scénario de ce dernier après avoir proposé cette idée géniale ? Aurait-il eu cette "illumination'" en même temps que Charles Lang et serait-ce alors du pur hasard ? Cela étant dit, les concordances sont tellement flagrantes que c'en est un peu troublant.

Sur la piste des Comanches est un western sans prétention, un peu froid et sec mais néanmoins bougrement réjouissant, qui ne nous permet pas de souffler une seule minute, évacuant même tout épanchement sentimental (si ce n’est lors de la belle séquence au cours de laquelle le jeune garçon apprend la mort de son père) et instants contemplatifs. Avec une magnifique appréhension des paysages et de la nature saisie dans toute sa sauvage beauté, des dialogues concis et vigoureux, une efficacité aussi bien dans l'action que dans le suspense et un Max Steiner en grande forme, ce western dynamique se révèle somme toute un bel exercice de style. Pour finir, voici un détail qui m’a bien amusé en le remarquant : alors que dans le film Clint Walker se met torse nu une fois et une fois seulement, la majorité des photos d’exploitation le montraient parait-il avec sa musculeuse poitrine velue (comme très souvent d’ailleurs Robert Ryan au début de cette même décennie). Sur quoi un utilisateur du site IMDB a écrit : « as if the movie had been filmed in "Torso-Scope" or "Pecs-a-rama" or "Chest-o-vision" » !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 26 avril 2014