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Critique de film
Le film

Passage Interdit

(Untamed Frontier)

L'histoire

L'histoire se déroule au Texas vers la fin du XIXème siècle. « Vous n'avez pas le droit d'entraver le progrès ! » Un journaliste informe Matt Denbow (Minor Watson) que s'il n'ouvre pas un passage au travers de ses terres pour que les immigrants puissent les franchir afin d'atteindre les libres pâturages cédés par le gouvernement, il le dénoncera dans les pages de son journal local. Mais, entêté comme ce n'est pas permis, le patriarche ne veut rien entendre et fait garder 24 heures sur 24 les limites de son domaine par les vaqueros commandés par son fils, Glenn (Joseph Cotten) et son neveu, Kirk (Scott Brady). Mais lors d'une soirée dansante, alors qu'il était sorti flirter avec Jane (Shelley Winters), une serveuse, Kirk tue le prétendant de cette dernière, l'arme du "fiancé' lui ayant été subtilisée auparavant afin qu'il n'ait aucune chance de pouvoir se défendre. Kirk étant accusé de meurtre, la honte risque de retomber sur la famille si un procès devait avoir lieu et qu'il ne puisse pas se disculper. Jane étant le seul témoin du drame, l'avocat véreux de la famille conseille que l'on célèbre le plus rapidement possible un mariage entre Kirk et Jane, la loi américaine précisant qu'une épouse ne peut en aucun cas témoigner contre son mari. C'est ce qui se passe, la naïve Jane croyant dur comme fer que Kirk l'a prise pour femme par amour. Lorsqu'elle découvre le pot aux roses, il est déjà trop tard. Il n'empêche qu'elle se met à haïr son époux et à tomber sous le charme de son cousin Glenn, un homme d'une grande noblesse. Les relations familiales au sein du ranch Denbow commencent sacrément à s'effriter, d'autant que Jane se confronte à son beau-père dont elle ne supporte pas la dureté et l'égoïsme...

Analyse et critique

Pour ceux qui avaient vu et apprécié Quand les tambours s'arrêteront (Apache Drums) l'année précédente, le rendez-vous avec le nouveau western Universal réalisé par Hugo Fregonese devait être attendu avec une grande impatience. J'imagine la déception à l'arrivée car non seulement l'exploit n'a pas été renouvelé mais le cinéaste a probablement signé le western le moins captivant du studio depuis au moins le début de la décennie. Cependant, grâce surtout au talent de plasticien du cinéaste, Untamed Frontier peut encore se laisser regarder avec plaisir. Car si son scénario se révèle bien médiocre, Fregonese n'a pas perdu la main concernant son sens de la composition, des cadrages et des éclairages, aidé en cela par l'excellent chef opérateur Charles P. Boyle (Tomahawk de George Sherman et évidemment déjà Apache Drums entre autres). Au vu de son intrigue, ce western devrait vous en rappeler un autre beaucoup plus célèbre, et ce, à juste titre !

Vous l'aurez peut-être deviné pour ceux qui auraient lu l'histoire ?! L'intrigue ressemble par de nombreux points à celle de Duel au soleil de King Vidor. En gros, Scott Brady reprend le rôle de Gregory Peck, Joseph Cotten se contente de rejouer le sien et, en lieu et place de Lionel Barrymore, nous trouvons l'insipide Minor Watson. Seulement, alors que le scénario de Duel in the Sun dégageait une formidable puissance dramatique, il n'en est rien concernant celui du western de Hugo Fregonese ; et c'est là que le bât blesse avant tout. Les trois scénaristes semblent ne pas s'être souciés de la progression dramatique justement, commençant leur travail de la plus intéressante des manières pour paraître laisser tomber toute velléité de raccrocher l'attention du spectateur une fois la séquence du mariage bouclée. Bref, tout cela débutait de façon très convaincante avec des personnages semblant plutôt bien croqués mais tout s'écroulait par la suite, le "monolithisme" de chacun ressortant d'une manière assez caricaturale. Et puis quelle manque d'imagination lorsqu'il s'agit de faire mourir les "bad guys", Scott Brady et Minor Watson ! Tous les deux sont expédiés ad patres comme pour s'en débarrasser au plus vite et dans une indifférence à peu près totale. Des leçons d'écriture qui se perdent parfois !

Comment de toute manière aurions-nous pu être émus par ces séquences, étant donné que les personnages sont dénués d'humanité et que du coup nous nous sentons incapables d'éprouver pour eux ne serait-ce qu'une seconde d'empathie ? Alors que Lionel Barrymore dans le film de Vidor trouvait parfois grâce à nos yeux, devenait touchant le temps de quelques minutes grâce à de petits détails, à un jeu plus nuancé qu'il n'y paraissait, celui qu'interprète sans conviction Minor Watson ne se révèle être (n'ayons pas peur des mots en l'occurrence) qu'un vulgaire "facho" sans une once de bonté et qui ne semble obnubilé que par une seule chose, qu'aucun émigrant ne vienne fouler ses terres ! Que son épouse regrette ne pas avoir d'amis à cause de la sale réputation de la famille ne le touche pas le moins du monde. Il en va de même pour le personnage de Glenn ; si Scott Brady (excellent second rôle jusqu'à présent) s'avère assez réjouissant au début dans la peau de cet homme fanfaron et roublard, n'ayant pas l'habitude de se retrouver si important au sein d'une intrigue, il a tendance par la suite à cabotiner un peu plus que de mesure. Son Glenn n'en demeure pas moins le personnage le plus intéressant du film (le plus rutilant et picaresque aussi avec ses chemises à paillettes brillantes et son sourire carnassier), celui qu'interprète Joseph Cotten étant de son côté bien trop lisse et ne sachant pas sur quel pied danser vis à vis de celui que tient Shelley Winters ; celle-ci joue un personnage à priori trop riche pour ses encore frêles épaules, tout d'abord naïve et arriviste (ce mélange est-il d'ailleurs bien crédible ?) puis se transformant en une femme altruiste révoltée guère plus vraisemblable. Le personnage mystérieux qu'incarne Suzan Ball pour son premier rôle au cinéma, plus fouillé, aurait pu faire son effet ; en l'état, il ne passionne guère plus que les autres même si le visage de la comédienne retient sacrément l'attention.

Bref, le semi-ratage de ce film provient pour une grande partie de son scénario (qui démarrait plutôt bien mais qui devient de plus en plus languissant et de moins en moins captivant au fur et à mesure de son avancée), de la mauvaise caractérisation de ses protagonistes et d'un casting bien trop "vert" pour pouvoir assumer une telle tragédie familiale. Il reste néanmoins une bonne idée de départ (avec notamment ce "piège" ourdi pour faire tomber Jane dans les rets de Kirk), quelques images assez vigoureuses comme l'utilisation du fouet par Minor Watson pour se faire respecter, la description intéressante de ce Cattle Baron entravant le progrès par pur égoïsme, et une mise en scène plutôt soignée de Hugo Fregonsese. A ce propos, on trouve un bon nombre de superbes plans (sur les visages notamment), de belles contre-plongées, de magnifiques contre-jour sur les cowboys gardant les clôtures de barbelés. C'est vraiment assez plaisant pour la rétine. Malheureusement, alors qu'Universal s'était fait jusqu'à présent un point d'honneur à ne pas utiliser de transparences, nous en trouvons quelques-unes bien gratinées au sein de ce Passage interdit ; cela tendrait-il à prouver le manque d'implication de l'équipe de tournage ?

Dans le même style, outre Duel au soleil de King Vidor et The Furies d'Anthony Mann évidemment nettement supérieurs, il y avait eu un autre "précédent" mettant en scène les rivalités entre deux membres d'une même famille, en l'occurrence deux frères ; il s'agissait du sympathique La Vallée de la vengeance (Vengeance Alley) de Richard Thorpe, bien plus fouillé psychologiquement parlant. On trouve néanmoins un questionnement intéressant sur la fin d'une époque, celle des ranchers tout-puissants, une histoire pas plus bête qu'une autre, un drame familial qui aurait pu être prenant si les scénaristes avaient eu un tant soi peu le sens de la tragédie et de la progression dramatique. La tension étant presque constamment au plus bas, on ne peut que regarder tout cela d'un œil amusé mais sans vraiment se passionner. Un western pas spécialement mauvais, juste raté et surtout anecdotique !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 21 avril 2012