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Critique de film
Le film

Les Quatre fils de Katie Elder

(The Sons of Katie Elder)

L'histoire

Les frères Elder, John (John Wayne), Tom (Dean Martin), Matt (Earl Holliman) et Bud (Michael Anderson, Jr.), se retrouvent tous les quatre à Clearwater au Texas à l’occasion de l’enterrement de leur mère, Katie, qu’ils n’avaient plus revue depuis très longtemps. Ils découvrent alors non seulement qu’elle ne vivait plus dans le ranch familial dans lequel ils avaient grandi, mais qu’elle a fini sa vie dans la misère après que son époux s'est fait tuer lors d’une partie de cartes. Le domaine appartient désormais à Morgan Hastings (James Gregory) qui, ne voyant pas d’un bon œil le retour des fils de Katie, vient d’embaucher Curley (George Kennedy), un inquiétant tueur à gages. Qu’est ce que cache tout cela ? C’est l’énigme que vont essayer de résoudre les quatre frères dont la réputation n’est guère flatteuse : hormis Bud qui a été forcé d’aller étudier, les trois autres n’ont pas suivi une voie très honnête (un joueur, un hors-la-loi...) au grand dam de leur mère qui au contraire était un modèle de droiture, appréciée par tous ses concitoyens. Se sentant en partie responsable de la déchéance et de la mort de leurs parents par le fait de les avoir délaissés trop tôt, les quatre fils de Katie Elder vont risquer leur vie afin de faire éclater la vérité...

Analyse et critique

Les 4 fils de Katie Elder est le deuxième film consécutif que tourne John Wayne sous la direction de Henry Hathaway juste après Le Plus grand cirque du monde (Circus World). Alors que leur collaboration est moins réputée que celles avec John Ford ou Howard Hawks, Wayne et Hathaway auront cependant travaillé six fois ensemble ; une coopération s’étalant sur presque 30 ans qui a commencé en 1941 avec The Shepherd of the Hills (Le Retour du proscrit) au Technicolor flamboyant pour se conclure en beauté par le célèbre True Grit (100 dollars pour un shérif), un excellent western dont les frères Coen feront un remake en 2010. Entre ces deux films, nous trouvons deux divertissements de haute volée que sont la comédie westernienne, Le Grand Sam (North to Alaska), ainsi que - bien plus sérieux - le western qui nous concerne ici, un vieux projet de la Paramount qui l’a ressorti des tiroirs à maintes reprises jusqu’à ce qu’il atterrisse en 1964 entre les mains de ce vétéran de Hollywood qu’était Henry Hathaway, après être passé entre celles de John Sturges qui aurait à cette occasion tourné pour la première fois avec Alan Ladd. Le tournage est néanmoins repoussé suite à l’opération en urgence que subit John Wayne en rapport à son cancer du poumon. Ayant vaincu la maladie pour la première fois, le Duke le fait savoir haut et fort à ses admirateurs, décidant d’être honnête avec eux jusqu’au bout. Alors que certains pensent que cette annonce va mettre un frein à la carrière de l’acteur, c’est le contraire qui se produit ; dès cette date, quasiment tous ses films seront de gros succès, à commencer par The Sons of Katie Elder pour lequel l’acteur insista, alors qu’il était encore en convalescence, pour tourner les scènes d’action sans doublure pour prouver à ses fans que la maladie ne l’avait pas diminué.

Et effectivement, John Wayne semble non seulement bien rétabli mais, grâce à son habituel charisme, porte une fois encore le film sur ses larges épaules, à tel point que ses partenaires paraissent dans l’ensemble comparativement bien effacés, y compris l’acteur qu’il retrouvait sept ans après le fameux Rio Bravo, Dean Martin. Il faut dire que la plus grosse faiblesse d’un scénario par ailleurs très carré est le manque de nuances dans la description des personnages, excepté justement pour celui de John, le frère aîné. Comme si, paradoxalement, les auteurs s'étaient tellement échinés à faire vivre un personnage n'existant en fait qu'au travers de toutes les discussions qu'ils semblent avoir oublié d'enrichir l'écriture des autres protagonistes, bien vivants ceux-là. Car il est rare qu’un western ait fait d’un personnage féminin, qui plus est décédé avant même que l’intrigue du film ne débute, quasiment le protagoniste principal, celui dont tout le monde parle, un modèle d’honnêteté, de bonté et de vertu. C’est d'ailleurs l’une des petites originalités du western de Hathaway qui par ailleurs est très classique dans son traitement, surtout à une période où le western italien avait déjà commencé à fait voler en éclats les conventions du genre et où les Américains s’engouffraient bien plus souvent désormais du côté de la parodie (cf. les westerns humoristiques sortis quelques semaines plus tôt réalisés par de John Sturges - Sur la piste de la grande caravane - ou Elliot Silverstein - Cat Ballou) ou du cynisme nihiliste (Major Dundee). Avec Les Prairies de l’honneur (Shenandoah) d’Andrew V. McLaglen, Les 4 fils de Katie Elder aura heureusement été là en cette année 1965 pour contenter les amateurs de beaux et amples westerns classiques qui se désespéraient peut-être de leur probable et rapide disparition. Car si cette histoire familiale de vengeance et d’expropriation de terrain n’est pas nouvelle, elle aura néanmoins eu le mérite de tomber entre les mains de scénaristes chevronnés qui l’auront transformée en un très bon divertissement populaire (ces termes n'ayant sous ma plume aucune connotation péjorative).

En effet, il serait vain de chercher un quelconque message ou des thématiques forcément passionnantes au sein de ce western qui se révèle être avant tout un spectacle au moralisme bon teint (contrairement à ce qu'il est coutume de dire, les bons sentiments ne gâchent pas obligatoirement une œuvre, quelle qu'elle soit), une récréation fortement plaisante et via laquelle Henry Hathaway prouve une nouvelle fois son sens inné de l’espace, sa virtuosité dans le maniement du cadre en Cinémascope (dès ce plan magnifique lors des funérailles de Katie qui voit l’entrée en scène du Duke) et son talent pour gérer le rythme d’un film pourtant assez bavard et qui malgré tout ne semble jamais statique ni ennuyeux. Les amateurs d’action devront en effet attendre les trois-quart du film pour être à la fête - et quelle fête ! La fameuse séquence de traquenard sur un pont surplombant une rivière est un véritable modèle du genre. D’une durée approximative de 15 minutes, elle commence par nous transporter dans des décors naturels assez étonnants et quasiment jamais vus (ressemblant un peu à ceux de la séquence qui ouvre Le Dernier train de Gun Hill de John Sturges), composés de plusieurs cascades ainsi que d’un petit bois d’arbres centenaires aux racines proéminentes qui servent d’ailleurs tout du long de cachettes aux protagonistes de cette épique fusillade qui fera des dégâts dans les deux camps. Une séquence non seulement parfaite dans son timing mais aussi d’une redoutable efficacité, grâce non seulement à la mise en scène millimétrée de Hathaway mais également à des cascadeurs chevronnés. Devant une telle démonstration de fougue, de vitalité et de panache, étonnés par de brusques éclairs de violence sèche, on pardonnera aisément les quelques grosses invraisemblances - comme le fait que John Wayne, attaché aux chevilles à son frère Earl Holliman par une chaîne d’à peine un mètre, plonge un moment dans la rivière pour se protéger tandis que son "compagnon de chaîne" est encore étendu blessé sur la rive, alors que dans les plans suivants on retrouve Wayne et Holliman attachés de très près comme si de rien n’était.

Ce manque de rigueur dans l’écriture se révèle cependant assez rare. Au contraire ce scénario à plusieurs mains, hormis également des personnages un peu trop schématiques ou même malheureusement totalement sacrifiés au vu de leur potentiel de départ (Martha Hyer), une fin un peu trop vite expédiée ou encore le fait de céder à quelques reprises à la facilité (le combat à poings nus entre les quatre frères), s’avère un modèle du genre, extrêmement bien ficelé et très habile par la façon de faire ressentir d'une manière prégnante la présence de Katie Elder (son entière loyauté rejaillissant sur ses fils après coup), par celle de se faire succéder une multitude de scènes dialoguées sans jamais nous lasser, de faire alterner scènes calmes et tumultueuses avec une parfaite fluidité. Le western de Henry Hathaway nous permet également de nous remémorer les talents incomparables du chef opérateur Lucien Ballard et du compositeur Elmer Bernstein qui retrouve ici une verve et un ton comparables à ceux qui présidaient à sa BO des Sept mercenaires (The Magnificent Seven), peut-être même encore plus efficace. Il nous permet aussi de revoir des "vieux de la vieille" qui ont déjà peuplé maints westerns, que ce soit George Kennedy (moyennement crédible en gunfighter), Paul Fix (très attachant en shérif vieillissant) ou au contraire découvrir de nouvelles têtes comme Michael Anderson Jr. et surtout Dennis Hopper, tous deux très convaincants. On se réjouira de certaines scènes marquantes comme le manche de pioche dans la figure de George Kennedy, le coup de "l’œil de verre" par un Dean Martin goguenard, ainsi que des partis pris finalement assez originaux concernant la manière très expéditive de mettre fin à la vie de certains personnages importants, ce qui se révèle en définitive plus réaliste et vraisemblable que si cela avait été par l'intermédiaire d’épiques gunfights.

Il ne s’agit certes pas d’une œuvre majeure au sein de la filmographie de Henry Hathaway mais Les 4 fils de Katie Elder n’en demeure pas moins un western hautement recommandable, un spectacle sacrément séduisant, parfaitement calibré pour au moins ravir les aficionados de John Wayne ainsi que ceux qui apprécient les histoires abordant les notions d’honneur, de rédemption ou de vengeance, revenant également sur les valeurs familiales chères au Duke. Les spectateurs ne s’y trompèrent pas et ne furent effectivement pas déçus en lui réservant un formidable accueil en salles et en en faisant l’un des plus gros succès westerniens de la décennie.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 6 février 2016