Menu
Critique de film
Le film

La Ruée sanglante

(They Rode West)

L'histoire

Le commandant d’un fort de l’Oklahoma se plaint à Washington de l’incompétence des médecins ayant causé la mort de beaucoup trop de ses hommes. C’est ainsi qu’un tout jeune docteur est envoyé en remplacement dans cet endroit reculé ; sans le savoir, il a fait le voyage en train en compagnie de la femme du colonel en charge de sa nouvelle affectation ainsi que de sa jolie nièce (Donna Reed). Le docteur Seward (Robert Francis) est plein de bonne volonté et décide de soigner aussi bien les soldats que les Indiens de la tribu Kiowa qui commencent à succomber à la malaria. Mais il va se heurter à l’hostilité, à la bêtise et à l’intransigeance de la plupart des officiers qui n’ont que de la haine à l’encontre des Natives. Le capitaine Blake (Philip Carey) lui ordonne même de ne plus se rendre à la réserve indienne. Seward n’en tiendra pas compte et sa mission humanitaire va être rendue encore plus difficile par une alliance qui se met en place entre Kiowas et Comanches dans le but de reprendre le combat contre les Tuniques bleues...

Analyse et critique

Si Phil Karlson fut un réalisateur surtout associé au film noir, genre au sein duquel il œuvra majoritairement et qui le fit aduler des amateurs de séries B, il réalisa également une petite poignée de westerns dès 1947, dont Thunderhoof, film assez original par le fait de ne mettre en scène que trois personnages et qui passait très récemment encore pour perdu. Il y eut également Le Salaire de la violence (Gunman’s Walk) avec Van Heflin et Tab Hunter, qui sortit à la sauvette en France, fut accueilli très tièdement par la critique et resta aux abonnés absents de quasiment toutes les bonnes anthologies du genre. C’est assez récemment que la cote de popularité de ce dernier commença à remonter, ce regain d’intérêt n’étant qu’amplement mérité au vu des très grandes qualités que ce film recélait à quelque niveau que ce soit et qui peut être aujourd’hui considéré comme l’un des plus beaux westerns psychologiques des années 50. Quasiment dix ans après cette pépite, Phil Karlson réalisait cette fois l’un des plus mauvais westerns de la décennie suivante en tournant La Poursuite des Tuniques Bleues (A Time for Killing) avec Glenn Ford. Entre ces deux pôles diamétralement opposés, on trouve des westerns très sympathiques comme ce They Rode West jamais sorti en France, La Ruée sanglante étant son titre d’exploitation en Belgique, un titre qui ne reflète d'ailleurs aucunement le film... mais les amateurs de westerns en ont pris l'habitude.

Le postulat de départ est très original puisqu’il fait d’un médecin le héros de son histoire. Quoi qu’en dise Patrick Brion dans sa présentation du film en supplément de ce DVD, rares sont les westerns ayant jusqu’à présent mis autant en avant la profession médicale, le seul exemple cité par l’historien pour appuyer sa "thèse" étant l’excellent Les Cavaliers (The Horse Soldiers) de John Ford qui a été réalisé cinq ans plus tard avec William Holden dans le rôle du docteur. Le film de Karlson débute par une embuscade au cours de laquelle un officier est blessé par une flèche indienne ; on le ramène rapidement au fort mais l’incompétence du médecin imbibé d’alcool finit par tuer le soldat qui aurait facilement pu être sauvé avec un peu plus d’attention. Sur quoi le commandant du fort s'emporte et demande à ses officiers supérieurs à Washington à ce qu’on lui envoie un remplaçant compétent. Quoi qu’il en soit, le capitaine, qui a vu se succéder trois incapables à cette fonction, a "décidé" de prendre en grippe toute la profession ; et c’est un tout jeune médecin idéaliste et profondément humain qui en fait malheureusement les frais. Ce qui n’empêche pas ce dernier de faire passer l’éthique par-dessus les ordres militaires, ce qui le rend impopulaire tout autant chez les simples soldats que chez les officiers, d’autant qu’on va finir par le prendre pour un traitre après qu’il a décidé de soigner aussi bien les Indiens de la réserve d’à côté que les Tuniques Bleues, important ainsi la malaria dans l'enceinte du fort.

S’ajoute à cette trame dramatique assez inédite plusieurs autres pistes scénaristiques très intéressantes : l’alliance qui se met en place entre la pacifique tribu des Kiowas et celle un peu plus batailleuse des Comanches qui veulent très légitimement récupérer leur liberté et leurs terres ; des relations et un échange très respectueux entre les deux medicine men, le Blanc et l’Indien ; un personnage de femme blanche élevée par les Indiens que le médecin va tenter de faire retourner chez les siens - d’autant plus qu’il tombe sous son charme - alors qu’elle se sent au contraire parfaitement bien intégrée à cette nouvelle culture et qu’elle préfère partager la tragédie de son peuple adoptif d’autant qu’elle est mariée avec le fils du chef ; l’autre personnage féminin, une séductrice a priori frivole mais qui va s’avérer bien plus concernée par tout ce qui l’entoure au point de prendre fait et cause pour celui que l’on finit par trainer dans la boue, le médecin que l’on surnomme désormais Woodhawk - du nom d’un oiseau synonyme de traitre à son espèce - et que l’on juge coupable de tous les maux. Le fait de mettre en avant son humanité et d’être fidèle au serment d’Hippocrate plutôt que d’obéir aux ordres de ses supérieurs le conduira même en cour martiale. Il va néanmoins se révéler être celui par qui la paix va revenir dans la région grâce tout autant à son don de médiateur qu'à ses talents de médecin.

Un très beau personnage que ce militaire ni bon cavalier ni doué pour l’utilisation des armes qu’interprète à la perfection le très prometteur Robert Francis, qui aurait surement pu faire une belle carrière à la Tab Hunter si après avoir tourné quatre films il ne s’était pas bêtement tué dans un accident d’avion à l’âge de 25 ans. On se souviendra également de lui dans Ce n’est qu’un au revoir (The Long Gray Line) de John Ford ainsi que dans Ouragan sur le Caine (The Caine Mutiny) d’Edward Dmytryk où il avait pour partenaire féminine la très charmante May Wynn qui interprète dans le western de Karlson la femme blanche devenue Kiowa. Donna Reed s’avère également très convaincante, tout comme Philip Carey dans le rôle peu gratifiant de cet officier de cavalerie qui estimerait presque que "seul un Indien mort serait un bon Indien". Contrairement à ce qui a été dit ici et là, je considère non seulement le film très bien interprété mais également pas si manichéen ; il faut dire que l’un des deux scénaristes n’est autre que Frank S. Nugent, l’un des collaborateurs privilégiés de John Ford pour qui il avait déjà écrit quelques-uns de ses chefs-d’œuvre à commencer par les deux plus beaux westerns militaires jamais réalisés, Le Massacre de Fort Apache et La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon). Autant dire que cet univers confiné des garnisons militaires lui était parfaitement connu et qu’il savait de quoi il parlait, dépeignant d’ailleurs ici un personnage qui n’aurait pas dépareillé dans un film de Ford - puisqu’il en est issu en quelque sorte -, le sergent d’origine irlandaise attendant sans cesse son whisky médicinal qui lui permettrait d’atténuer ses douleurs dentaires.

Pour ne rien gâter, Phil Karlson fait montre d’une belle personnalité sur le fond en soulignant avec insistance les dérives bellicistes des officiers supérieurs, mais aussi et surtout sur la forme en plaçant parfois ses acteurs dans le champ de sorte à donner une impression de "dissonance picturale", confectionnant ainsi des cadrages très originaux. La séquence qui en témoigne le mieux est celle du bivouac nocturne au cours de laquelle il accomplit un travail remarquable basé sur les "cadres dans le cadre". Enfin, utilisant à merveille les anfractuosités des paysages ou le confinement du poste avancé, il mène également à bien d’efficaces scènes de batailles qui raviront les amateurs d'action. Même si ce western s’avère dans l’ensemble effectivement mineur par manque d’ampleur que ce soit dans le scénario ou la réalisation, les qualités sont bien réelles dans ces deux domaines et font néanmoins de ce film une sympathique réussite pro-indienne, humaniste et progressiste sans que cela n'en passe par trop de naïveté. Le happy end ne semble d'ailleurs pas trop plaqué, un bel exemple de bienveillance et de fraternité entre les peuples. Jolie surprise que ce Phil Karlson méconnu !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 6 janvier 2018