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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Poursuite des tuniques bleues

(A Time for Killing)

L'histoire

La guerre de Sécession touche à sa fin. Dans un fort unioniste près de la frontière mexicaine, le Major Tom Wolcott (Glenn Ford) est en charge de la surveillance de nombreux prisonniers confédérés. Ceux-ci ne perdent pas une occasion de planifier puis de tenter une évasion au risque de se faire fusiller, le commandant nordiste s’avérant impitoyable voire même sadique. Ce jour-là, sous la direction du Capitaine Dorrit Bentley (George Hamilton), un petit groupe d’une dizaine d’hommes réussit à s’enfuir non sans avoir tué plusieurs sentinelles. Ils sont aussitôt pris en chasse par Wolcott, d’autant que la fiancée de ce dernier (Inger Stevens) a été prise en otage par les fuyards. Même si Bentley apprend la fin de la guerre civile, il garde le silence pour pouvoir poursuivre un combat acharné et violent...

Analyse et critique

Si Phil Karlson fut surtout associé au film noir et policier, des genres au sein desquels il œuvra majoritairement, il réalisa également cinq ou six westerns de série B dès 1947, quasiment tous inconnus au bataillon, avant Le Salaire de la violence (Gunman’s Walk) qui sortit à la sauvette en France, fut accueilli très tièdement par la critique et resta aux abonnés absents de quasiment toutes les bonnes anthologies du genre. C’est assez récemment que sa cote de popularité commença à remonter, et ce regain d’intérêt n’est qu’amplement mérité au vu des très grandes qualités que cette œuvre recélait à quelque niveau que ce soit. Si le cinéaste était très fier de son western, il m’étonnerait fort qu’il en ait été de même pour A Time for Killing commencé durant une quinzaine de jours par Roger Corman qui, après des conflits avec la production, laissa tout tomber partit avec son équipe technique - dont Monte Hellman au montage - en lui laissant le bébé entre les mains. Quasiment dix ans après avoir signé ce Gunman's Walk, l’un des plus beaux westerns psychologiques des années 50, Phil Karlson réalise cette fois l’un des plus mauvais westerns de la décennie suivante.

Des prisonniers détenus dans des conditions déplorables ; une exécution qui vire au sadisme le plus écœurant lorsque le commandant du fort fait fusiller le prisonnier confédéré par des Noirs qui ne savent même pas viser... autant dire que ce début d’une violence assez extrême ainsi que les noms prestigieux au générique laissaient augurer d’un western nihiliste à la Sam Peckinpah. Le film narre ensuite la poursuite impitoyable qui s’engage entre une poignée de fuyards sudistes et une troupe de la cavalerie unioniste, les premiers ayant pris en otage la fiancée du commandant de la section des poursuivants. Un antagonisme larvé perdure entre deux officiers bornés, acharnés - voire quasiment psychopathes - alors que le conflit civil a pris fin mais ces derniers décident néanmoins de continuer à mener leur guérilla personnelle sans en toucher un mot à leurs hommes. Il y avait sur le papier un grand film à faire, prétexte à une dénonciation de l’absurdité de la guerre, à des réflexions sur la vengeance personnelle d’officiers au détriment de la sécurité de leurs hommes, sur la difficulté voire l’impossibilité de mettre un terme à l’engrenage de la violence, ou plus globalement encore sur la bêtise humaine... D’autant que le scénariste Halsted Welles n’est autre que celui de chefs-d’œuvre du genre, à savoir La Colline des potences (The Hanging Tree) et surtout 3.10 pour Yuma, tous deux réalisés par Delmer Daves. Ici à l’écran, il ne reste rien de l’extrême sensibilité et de la profonde intelligence de ces deux histoires, de ces deux films ; à croire que Welles avait lui aussi pris la poudre d’escampette avec la bande à Corman.

Bref, malgré son extrême cruauté et sa violence outrancière, malgré une galerie de personnages tous aussi détestables - voire crétins - les uns que les autres et malgré son cynisme total, nous sommes à des années-lumière de l’univers crépusculaire de l’immense Peckinpah, d’autant que l’interprétation et la mise en scène s’avèrent aussi catastrophiques que l’écriture. Face à un Glenn Ford tristement amorphe et qui passe presque la durée du film sans qu’on ne le remarque, George Hamilton - probablement agacé que l’adjectif terne lui soit le plus souvent accolé, il l’était déjà d’ailleurs dans Tonnerre Apache de Joseph M. Newman - décide d’en faire des tonnes et de sur-surjouer sans évidement jamais nous convaincre. Seule Inger Stevens tire son épingle du jeu et arrive à surnager au milieu de cet océan de médiocrité, où l’on rencontre aussi le temps de quelques secondes un tout jeune Harrison Ford (d’ailleurs très reconnaissable). Et d’ailleurs, que viennent faire dans ce western qui se veut poisseux ces deux duos dans chacun des camps, d’un côté ces Sudistes brutaux et ne pensant qu’à se "foutre sur la gueule", de l’autre ces Nordistes couards tout droit sortis d’un film de Laurel et Hardy ?! De l’humour totalement hors contexte tout comme cette partition de Mundell Lowe aussi pénible que l’ensemble du film. Quant à la mise en scène, elle s’avère désolante et finit de desservir le film, piochant dans ce que le western américain et transalpin étaient capables de nous offrir de plus calamiteux en ce qui concerne le montage - et sa moisson de faux-raccords -, les cadrages, le choix des objectifs ou les mouvements de caméra.

Triste pour Phil Karlson, Halsted Welles, Glenn Ford ou même Harry Joe Brown qui fut le producteur des chefs-d’œuvre de Budd Boetticher ! Car ne soyons ni tièdes ni indulgents et affirmons que ce western, qui a certes souffert d’un tournage chaotique, n’est pas seulement inégal voire bancal comme je l’ai souvent lu mais - à mon humble avis - tout simplement excessivement mauvais ! Il ne suffit pas de vouloir concocter un western à la violence physique et psychologique omniprésente pour penser qu’il sera puissant, radical ou marquant ! Au contraire, cette constante brutalité gratuite et cette bêtise permanente nous donnent plutôt envie de prendre nos jambes à notre cou et d’aller revoir Fort Bravo ou La Horde sauvage ; c’est d’ailleurs ce que je pars faire sans plus m’attarder !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 24 juin 2017