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Critique de film
Le film

Femmes dangereuses

(Mogli pericolose)

L'histoire

Quatre couples d’amis. Quatre manières de s’aimer. Ornella, mariée à Bruno, et très jalouse, pense que tous les hommes sont infidèles. Claudine, compagne de Federico, affirme au contraire qu’ils sont fiables. Pari tenu : afin d’en avoir le cœur net, elles demandent à Tosca de séduire ce dernier.

Analyse et critique

On classe souvent Luigi Comencini dans la catégorie "réalisateur de comédies", en oubliant toute la complexité que revêt ce terme. La comédie, en tant que genre cinématographique, peut prendre différentes formes : burlesque, dramatique, horrifique... Et la "comédie à l’italienne", avec ses codes et ses figures obligées, n’empêcha pas quelques réalisateurs originaux de sortir du lot : Dino Risi, Vittorio De Sica, Mario Monicelli... Les deux premiers succès de Luigi Comencini, Les Volets clos (1951) et La Traite des blanches (1952), relèvent du mélodrame et du drame social. Mais c’est avec Pain, amour et fantaisie (1953), puis Pain, amour et jalousie (1954), que le cinéma italien assume sa transition vers la comédie. Il faut sortir du néo-réalisme, qui a libéré toute une génération de spectateurs, et le diptyque réalisé par Luigi Comencini bouleverse la donne. Il faut dire que le niveau de vie des Italiens, bien que disparate et territorialisé, s’est amélioré. On ne peut dorénavant plus travailler uniquement sur l’esthétisation de la pauvreté. Ne voulant pas être enfermé dans la cadre narratif du cycle « Pain, amour et… », et brouillé avec De Sica, Luigi Comencini, affublé d’une véritable notoriété, se voit confier la réalisation d’une trilogie comique qui donnera Mariti in Città (1957), Femmes dangereuses (1958) et Les Surprises de l’amour (1959). Les difficultés du couple, l’enfer du mariage, la dualité hommes/femmes : des thèmes universels, populaires, accessibles et compréhensibles. Ce qui est offert à Luigi Comencini, c’est une parenthèse de trois ans, aux thèmes imposés et exploitables. Seulement, comme tous les grands réalisateurs, il envisage les choses avec sérieux et méthode.

Ce qui fait la force d’une grande comédie, c’est tout d’abord son rythme et sa construction. Luigi Comencini, et c’est important, a fait l’École Polytechnique de Milan : c’est avant tout un architecte. Ses récits, la manière dont il agence ses scénarios et les rythmes, sont très maîtrisés. Mais la comédie a également, et surtout, besoin (lapalissade à part) de bons comédiens. Pour incarner les déboires sentimentaux de quatre couples italiens, Luigi Comencini a su s’entourer de ce qu’il y a de plus solide et de plus prometteur. Giorgia Moll, par exemple, qui a un rôle plutôt effacé dans Femmes dangereuses, sera choisie par Jean-Luc Godard, cinq ans plus tard, dans Le Mépris (1963). Sylva Koscina, qui joue ici la sulfureuse Tosca, aura une très longue carrière de femme-pécheresse. Cette figure féminine, fantasmatique, ne doit pas être confondue avec la "femme fatale", plus subtile, et a pour fonction de détourner du droit chemin, de tenter. Dorian Gray, évidemment, qui incarnera des femmes plus complexes, des rôles plus ambigus, comme dans Le Cri (1957) ou Les Nuits de Cabiria (1957). Sa performance dans Femmes dangereuses lui vaudra d’ailleurs le Ruban d’argent. Côté masculin, si Renato Salvatori tient le premier rôle (1), nous préférerons la performance de Franco Fabrizi, un des "Vitteloni" de Fellini. Mario Carotenuto, enfin, qui vient du théâtre, et délivre une interprétation tonitruante et tapageuse. On le pressent donc dès l’ouverture du film : Femmes dangereuses sera une comédie mineure, partie d’un triptyque sympathique, mais élégante et de bonne facture.

Femmes dangereuses a tout du marivaudage. Il n’est qu’à voir une des premières scènes du film : nos trois amies discutent de la manière dont une femme doit marcher en public. Chacune essaie, mais c’est Tosca qui convainc : sa démarche chaloupée, trouvant facilement l’équilibre entre le "trop" et le "pas assez", amène à une divergence d’opinions sur la fidélité masculine. Luigi Comencini, en nous faisant apprécier les courbes généreuses de Sylva Koscina, introduit peu à peu son propos. Ce ton badin, dans la forme et dans les dialogues, cache une progression scénaristique très étudiée : trois amies font un pari et vont s’amuser, durant quelques jours, à manipuler leurs maris. Cela permettra à Luigi Comencini, par le moyen du quiproquo, cher à la comédie italienne, de pointer du doigt la notion de "contrôle", inhérente au couple. Tout le monde se surveille, s’appelle en secret au téléphone. Les alliances se font et se défont, au gré des rebondissements. C’est parce que les groupes de femmes et d’hommes, représentés comme groupes sociaux la plupart du temps séparés, n’ont pas la même conception du groupe : les femmes intriguent entre elles et font bloc, tandis que les hommes n’hésitent pas à adopter un double discours et à se trahir. Cela conduit à des situations absurdes, excessives, comme pour le personnage de Pirro qui simule un voyage pour mieux épier les faits et gestes de sa femme Tosca.

Les couples, enfin, sont bien travaillés. Claudine et Federico, jeunes et naïfs, représentent l’optimisme et la confiance mutuelle. Ornella et Bruno, à l’inverse, n’expriment leur amour que dans la dispute et la jalousie. Tosca et Pirro, quant à eux, sont plus insaisissables : leur différence de taille est voulue, leur différence d’âge également. Benny et sa mégère de femme, enfin, sont définitivement l’aspect comique du film : ils n’ont plus de rapports sexuels, se hurlent dessus et ne sont que la caricature des vieux couples méridionaux. Le traitement du fils de Benny, Tato, est particulier : dévirilisé par sa mère, il est poussé à boire et à flirter par son père. Cette galerie de personnages, que l’on quittera avec regret, pousse à la réflexion sur les rôles et les comportements que chacun, à un moment ou un autre de sa vie, s’est vu obligé de tenir. D’ailleurs, le film se conclue plus ou moins sur un pied-de-nez : est-on réellement obligé d’être jaloux ?

Femmes dangereuses est encore loin des grands films de Luigi Comencini avec Claudia Cardinale (La Ragazza) ou Marcello Mastroianni (La Femme du dimanche, Le Grand embouteillage). C’est une œuvre de commande, qui assoira sa stature de réalisateur populaire, sans néanmoins emballer la critique. Structuré, sans aucun temps mort, il se laisse agréablement regarder. La subtilité y côtoie la caricature, donnant au tout une certaine harmonie qui n’est pas sans charme. Protestant, Comencini s’astreignait donc à une certaine morale. Son approche de la comédie était donc très sérieuse, considérant le spectateur avec souci et respect. Une qualité rare.


(1) Peut-être le rôle de chirurgien le moins crédible de l’histoire du cinéma.

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La fiche IMDb du film

Par Florian Bezaud - le 1 décembre 2016