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Critique de film
Le film

Bronco Apache

(Apache)

L'histoire

Geronimo ayant déposé les armes, l’Indien Massaï se considère comme "le dernier des Apaches", le seul qui ne souhaite pas capituler dans la lutte de son peuple contre "l’homme blanc". Après avoir été capturé et mis avec ses coreligionnaires dans le train qui les conduit dans les réserves de Floride, il s’en échappe. Il va alors traverser le quart des Etats-Unis afin de retourner auprès de sa tribu. Au cours de sa fuite, Il rencontre des Cherokees qui ont su rester libres et réussi à vivre en bons termes avec les Blancs grâce à leur savoir-faire dans la culture du maïs. De retour au Nouveau-Mexique, Massaï souhaite inculquer cet exemple aux quelques Apaches désormais parqués mais il est trahi par l’un des siens, Hondo, qui convoite Nalinle, l’Indienne amoureuse de lui. Réussissant à se libérer à nouveau, il décide de poursuivre la lutte "seul contre tous".

Analyse et critique

En 1953, une résolution de la Chambre des Représentants et du Sénat fait enfin considérer les ressortissants indiens des Etats-Unis comme des citoyens à part entière, et confirme ainsi la loi de citoyenneté de 1924. L’année suivante, la politique inaugurée par le gouvernement de Washington permet à de nombreux réalisateurs et producteurs de réhabiliter comme il se doit ce peuple assez malmené au cinéma depuis ses débuts. Mais il serait idiot de généraliser en affirmant qu’avant les années 50, tous les westerns ont montré la nation indienne avec haine et mépris. Même à l’époque du muet, certains cinéastes, suivant la tradition instaurée par James Fenimore Cooper en littérature, avaient décrit avec respect et sympathie le "bon sauvage" mais souvent - comme le prouve cette expression - avec une certaine condescendance. Mais effectivement, un très grand nombre de films en faisaient, sans aucune finesse, les "méchants" qu’il fallait absolument massacrer. A la fin des années 40, John Ford, dans l’élégiaque La Charge héroïque, montre des tribus souhaitant sincèrement vivre en paix. Mais ce sont Delmer Daves et Anthony Mann qui ouvrent royalement la voie de cette véritable réhabilitation des Indiens avec, respectivement, La Flèche brisée et La Porte du diable sortis en 1950.

Il est pourtant permis de préférer le film de Robert Aldrich, violent réquisitoire contre la condition des Indiens d’Amérique, à ces illustres prédécesseurs. Le scénario de James R. Webb (qui sera également l’auteur d’un autre très beau film pro-indien, Les Cheyennes de John Ford) est remarquablement écrit, le plaidoyer se montre lui aussi sincère mais beaucoup plus vigoureux, et le personnage de Massaï possède bien plus de relief et de densité psychologique que ceux de Cochise qu’interprètent Jeff Chandler dans La Flèche brisée et Lance Poole joué par Robert Taylor dans La Porte du diable. Attention, il ne s’agit pas ici de dénigrer ces deux beaux films, très courageux pour l’époque, mais d’affirmer qu’Aldrich ose encore aller plus loin dans la dénonciation. Le propos de son western est plus subtil et a pu paraître ambigu à certains (surtout à cause de la scène finale sur laquelle nous reviendrons plus tard). En effet, Massaï est loin d’être un personnage manichéen. Il s’agit au contraire d’un individualiste forcené, égoïste, violent et même quasiment paranoïaque, persuadé qu’il a le monde entier pour ennemi, aussi bien les soldats que ses anciens frères d’armes. Ce qui n’est pas loin d’être vrai mais, s’étant exclu lui-même de toute possibilité d’avoir une quelconque sociabilité, c’est de son plein gré qu’il se place dans cette situation puisqu'il ne tient pas à capituler et à renoncer au combat même si la cause est définitivement perdue à cette époque. Sa guérilla solitaire part évidemment de très bonnes et loyales intentions, et la cause pour laquelle il lutte est très juste, « le dernier Apache », comme il se nomme lui-même, ne supportant pas les conditions dans lesquelles ses frères sont traités, pas plus que les brimades et vexations qui leurs sont infligées. Mais il va sans dire qu’il refuserait à coup sûr d’écouter toute proposition d’amélioration de la situation tellement il est têtu et persuadé de sa fin inéluctable, qu’il se batte ou non :« Je suis un guerrier et un guerrier ne vaut rien sans la haine ; tous les Blancs, tous les Indiens sont mes ennemis. Je ne puis les tuer tous, un jour c’est eux qui me tueront. » Alors qu’il décide de cultiver lui-même son champ de maïs pour subsister, il recrée son monde à l’écart des autres, avec l’aide unique de Nalinle, dans l’aridité d’une montagne menaçante. Toutes ses actions et tentatives sont donc exaltées, lyriques, mais aussi désespérées et suicidaires. On a encore du mal à reconnaître dans ce scénario le Aldrich cynique qui se dévoilera la même année avec Vera Cruz, mais il s’agissait là d’un film de commande.

En effet, Alerte à Singapour, le second long métrage du réalisateur, avait attiré l’attention de Burt Lancaster et Harold Hecht qui lui confièrent alors la mise en scène de Bronco Apache, leur dernière production. Le film suit d’assez près l’odyssée véridique et singulière d’un Indien Apache nommé Chiricahua dont le grand peintre de l’Ouest, Frederic Remington, avait appris l’histoire de la bouche d’un scout servant la cavalerie fédérale à la fin du XIXe siècle. L’acteur se donne le rôle principal en y insufflant toute son énergie puisqu’il passe son temps à courir, bondir, sauter devant la caméra souple et vive du réalisateur. Aujourd’hui, on aurait un peu facilement tendance à être agacé de voir tenir des rôles d’Indiens par des acteurs n’appartenant pas à cette ethnie, mais à l’époque, les personnages principaux se devaient d’être interprétés par des stars pour éviter un échec au box-office. Et il serait pour cette raison un peu ridicule de critiquer cet état de fait puisqu’il faut bien constater que ces acteurs, la plupart du temps, furent très convaincants dans leur rôle de "peaux-rouges". Dans Bronco Apache, les acteurs blancs, grimés en Indiens, sont d’une crédibilité totale. Certes, on sent le fond de teint à plein nez et les yeux bleus de Lancaster étonnent un peu au début, mais une fois acceptés ces conventions, nous n’y portons plus attention et la performance se révèle vraiment étonnante. Burt Lancaster ne se laisse pas aller au cabotinage comme il a parfois eu tendance à le faire et Jean Peters, dans la peau d'une squaw fière et forte, trouve ici l’un de ses plus beaux rôles. La scène où Nalinle, repoussée par Massaï qui ne veut pas s’encombrer d’une femme dans sa fuite et l’empêche de la suivre à coups de bâton dans le ventre, mais où elle persiste et continue à suivre ses traces en se traînant, se griffant, se déchirant les genoux et les pieds jusqu’à tomber épuisée dans les bras d’un Massaï ému par ce courage, est prodigieuse de force, de poésie et de lyrisme et l’actrice y est pour beaucoup. Charles Bronson n’a qu’un tout petit rôle mais son visage buriné fait merveille, et Delmer Daves le fera interpréter l’année suivante le personnage de l’Indien révolté "Captain Jack" dans son très intéressant historiquement Aigle solitaire (Drum beat).

Revenons-en maintenant à ce final tant décrié par une grande majorité des spectateurs mais sans lequel nous n’aurions certainement pas eu ces paroles d’un cynisme totalement "aldrichien", prononcées par le chasseur d’Indiens joué par John McIntire. Celui-ci regrette la capitulation des "peaux rouges" car « c’était la seule guerre qu’on avait et j’ai bien peur qu’on n’en ait pas d’autres avant bien longtemps ; j’avais du boulot avec eux dans les parages. »  Une phrase qui renforce encore la violence du réquisitoire et préfigure le Robert Aldrich des films suivants. Cependant, cette ultime scène n’était pas celle voulue par le réalisateur et le scénariste. SPOILER En effet, Hondo (Charles Bronson) devait tuer son frère d'ethnie après la traque finale au milieu du champ de maïs. Les Artistes Associés et Ben Hecht, effrayés par un tel pessimisme, arrivèrent à imposer leur conclusion, dans un premier temps refusée par Burt Lancaster, et nous nous trouvons maintenant devant un final qui détonne un peu puisque Massaï, entendant les cris de son nouveau-né, décide de renoncer au combat et de fonder une famille oubliant toute velléité de combat. FIN DU SPOILER Malgré tout, je ne pense pas que cette séquence affaiblisse la portée du plaidoyer sincère d’Aldrich puisque la cause de Massaï était perdue dès la première scène du film, dans laquelle on apprenait d’emblée qu’il ne restait plus que lui à refuser la reddition. Dans ce cas, pourquoi ne pas accepter ce happy-end qui n’enlève aucune fierté à ces deux personnages hors du commun ? Ils renoncent au combat, mais qui dit que ce n’est pas pour suivre l’exemple des Cherokees ? Tout porte à le croire, ce qui ferait d’eux des messagers d’espoir pour leur peuple et aboutirait enfin, par une reconversion peu déshonorante, à une paix voulue par les deux camps. Mais est-ce possible que le réalisateur de Vera Cruz ait pu croire à cela ? Assez peu probable effectivement, et les westerns pro-Indiens des années 70 seront beaucoup plus radicaux et défaitistes y compris un autre signé Aldrich sur un thème assez semblable : Fureur Apache (1972). Plus radicaux certes mais beaucoup moins poétiques.

Car en plus de la fameuse scène de l’acharnement de Nalinle à suivre Massaï, montrant l’amour des deux personnages après la cruauté et la brutalité de leurs rapports initiaux, il faudrait citer aussi celle ou Massaï, la tête couchée sur le ventre de Nalinle, apprend qu’il va être père. Peut-être l’une des rares scènes de tendresse de tout le cinéma d’Aldrich : quelle émotion et quelle connivence entre les deux acteurs ! A côté de ces quelques moments de calme, il s'agit d'une aventure menée tambour battant sans quasiment aucun temps mort, à la mise en scène vigoureuse et nerveuse dont la figure de style récurrente est le long travelling latéral. Un travelling sur les soldats en embuscade débute le film, et Aldrich l’utilisera encore très efficacement à de nombreuses reprises et notamment dans la scène remarquable au cours de laquelle Massaï découvre, apeuré et intrigué, une rue de Saint-Louis et sa "faune" bigarrée et braillarde. Délaissant le format large, le réalisateur préfère filmer ses personnages de très près, et pour cela, cadre assez serré. Son utilisation nerveuse de la caméra, ses cadrages modernes - ressemblant assez à ceux de John Huston - et une science du montage assez étonnante, sèche et nerveuse, tous ces éléments mis en application sur Bronco Apache font de Robert Aldrich l’un des premiers "non classiques" du western. Bref, sans atteindre les sommets d’un genre qui n’en est pas avare, surtout dans les années 50, nous nous trouvons devant un film remuant, attachant, violent et généreux, opposant un certain réalisme - préfigurant les westerns de Peckinpah - à de saisissantes envolées lyriques ou poétiques. Avec ce troisième film, Aldrich démontre sa virtuosité et se hisse immédiatement au niveau des plus grands.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 28 avril 2003