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Livres

le cinema X

un livre de Jacques Zimmer

Editions La Musardine
448 pages - Couleur
Date de sortie : 27 septembre 2002

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Analyse et Critique

 Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’existait pas à ce jour d’encyclopédie de référence sur la question, tout du moins en langue française, les ouvrages anglo-saxons étant quant à eux assez nombreux à aborder le genre, dont les livres de Robert L Rimmer, et relevant sinon de l’exégèse du moins de l’érudition (1). La présente encyclopédie se veut à la fois assez exhaustive tout en s‘imposant des restrictions, des cadres thématiques précis.

L’optique adoptée par les auteurs, est de rappeler les faits essentiels, les différents genres, celles et ceux qui ont imposé leur patte dans un univers où tout vieilli très vite, davantage d’ailleurs que dans la cinématographie traditionnelle, le tout en proposant une iconographie variée, avec quelques documents qui s’avèrent être rares donc difficiles à dater. Le livre est articulé en deux grandes parties, elles-mêmes sous-divisées en thématiques et genres :

1. Une première partie axée sur deux points fondamentaux :

a) l’histoire de la pornographie par décennies, des années 10 aux années 2000.

b) un classement par genres et sous-genres : parodies, adaptations littéraires, SM, Gay et lesbien, hard-extrême, etc..

2. Une seconde partie avec :

a) une anthologie de films incontournables.

b) un lexique des acteurs, actrices et réalisateurs avec biographie et résumé des œuvres-clé.


La première partie est de loin la plus développée, revenant sur les prémices d’un cinéma à l’aune d’une société en pleine mutation et sur l’évolution des premières techniques employées, avec un résultat qui tenait de l’approximation la plus totale, mais aussi d’une certaine fraîcheur. Un cinéma sans aucune portée commerciale qui était réservé aux bordels, doté d’une qualité technique déplorable, mais visant déjà un public d’habitués.

Pont essentiel - alors que le genre stagne pendant près de quarante ans ! - le milieu des années 60 qui voit émerger de nouveaux cinéastes, lorgnant du côté de l‘underground où les choses se décantent. Comme il l’est rappelé, les auteurs de cette époque s’inspirent beaucoup des films des surréalistes, dont l’érotisme prégnant a provoqué de véritables scandales ( l’apparition furtive des seins dans Un Chien Andalou (1928), ou la fellation fantasmagorique dans l’Age d’or (1930), deux films signés Luis Bunuel). Russ Meyer est l’un des papes de la Sexploitation car en filmant des scènes de sexe, qui, si elles ne relèvent pas de la pornographie au sens étymologique, furent qualifiées telles quelles, ouvraient un champ libre aux futurs réalisateurs. Jean-François Davy en France est l’un des premiers à avoir réalisé des films pornographiques, puisqu’il en met en scène dès 1969, bien avant donc la taxation X en 1975. Se focalisant ensuite sur les années 70, décennie de tous les changements mais aussi de tous les paradoxes, le livre s’attarde sur la description d’un mode de production et de distribution qui ne connaîtra plus de successeur. Le premier véritable film X à visée commerciale ouvrant ainsi une nouvelle ère est le film de Gerard Damiano intitulé Deep Throat / Gorge Profonde (1972), avec dans les rôles principaux, Linda Lovelace et Harry Reems. La petite histoire rattrapera celle du film, suite au procès d’intention que mènera l’héroïne, allant jusqu’à renier en bloc ce qu’elle avait tourné (2).

C'est l'année suivante que Derrière la Porte Verte / Behind the green door (1973) des frères Mitchell embraye le pas, premier grand rôle au cinéma de celle qui deviendra l’héroïne de Rage / Rabid réalisé en 1977 par le canadien David Cronenberg, la pimpante Marylin Chambers. Elle suivra une initiation, thématique quasi centrale de la production, surtout en France où les réalisateurs en font toutes les déclinaisons possibles et imaginables. Ceux-ci se nomment alors Frederic Lansac, Burd Tranburee, Francis Leroi, Gerard Kikoïne, des noms qui évoquent les premières œuvres importantes des années 70, devenus des films cultes depuis, des pionniers du genre, qui utilisèrent tous de la pellicule 35 mm. C’est aussi le début d’un raz-de-marée sans précédent, les films étant exploités en salles, et faisant des recettes mirobolantes au box-office que ce soit sur Paris ou en Province. Avant qu’à la fin de l’année 1975, la donne s’inverse de façon radicale, avec l’adoption de la taxation X qui anticipe le boom que va connaître la vidéo entérinant la fin des projections sur grand écran.

Ce chapitre souligne à quel point ces années ont pu être un champs de création et de possibilités, tout comme il se caricaturait déjà lui-même par ses figures, ses clichés et ses stéréotypes : la maison de notaire, la soubrette, l’initiation, le domestique débonnaire, etc. qui marquent certes une tentative de "vrai" cinéma, mais n'évite pas toujours les facilités. C’est aussi au contraire des décennies précédentes - à l‘exception du cinéma underground ou indépendant - celle qui impose de manière définitive le "star-system" et l’iconisation de ses vedettes. Marylin Jess, Brigitte Lahaie, Karin Schubert, Seka, Sylvia Bourdon sont immortalisées, de même que Alban Ceray, Jean-Pierre Armand, Richard Allan, Piotr Stanislas, qu’on l’a appelé les "quatre mousquetaires du X".

Plus loin, le chapitre sur les années 80 révèle toutes les carences d’un système d’exploitation sacrifiant l’aspect le plus cinématographique (décors soignés, travelling, pellicule, lumière) au profit des lieux communs (la cuisine, la chambre, le salon) et l’utilisation de techniques plus souples (caméscope, lumière naturelle), tandis que d’autres tentent des choses délirantes empruntant au baroque et au fantastique comme les frères Dark avec la série des New Have Hookers, où Paul Thomas avec des films scénarisés et des interprètes parfois aussi à l’aise dans la comédie que dans les scènes explicites.

Le consensus et la production de masse enterrent alors l’exploitation cinéma, renchéri par la fréquentation des sex-shop et le bouleversement de la vidéo, la VHS permettant - après la chute des prix dans un premier temps prohibitifs - à monsieur et madame tout le monde de louer ou d’acheter le film de son choix, chose impensable en 1970. Mais le véritable point de mire, l’articulation majeure soulignée par le livre arrive avec le porno amateur puis sa banalisation qui permet une minimalisation extrême du tournage et n’impose plus aucune règle de filmage. D’où son succès phénoménal au milieu des années 80 et pendant toute la décennie suivante.

Les années 90 et 2000 sont rapidement (trop ?) traitées, et l’analyse consiste essentiellement à rappeler l’aspect mercantile ultra présent, ayant transformé un cinéma clandestin et caché en industrie mondiale s’exportant partout à travers le monde, avec l'émergence de capitales du sexe comme Budapest ou Prague qui confirment l’ouverture d’un marché vers les Pays de l’Est depuis le milieu des années 90. Il est par ailleurs étonnant, voire incroyable de constater que les années 90 sont la réponse aux années 70 à travers le portrait de celui qui -entre autres- les a traversées : Marc Dorcel, qui reprend certains des tics d’alors avec la lingerie fine présente dans des films comme Les bas de soie noire (1980) ou Parties Fines (1976) et qui fait souvent la marque de fabrique de ses propres films, hantés par le fétichisme des dessous féminins et des décors luxueux. Le même qui réalisait déjà Jolies petites garces (1980) avec Marylin Jess, première vidéo X vendue en France, est une personnalité importante, voire déterminante du genre, qui vingt ans après est toujours là comme l‘un des derniers défenseurs d‘une certaine image de marque.

Sont ensuite analysées les différents genres du X, qui confrontent les commentaires avisés de spécialistes de la question, suivi d’un petit panorama de chacun d’entre eux. De la parodie aux adaptations d’œuvres littéraires, du porno gay au SM, en passant par le hard extrême, on a le droit à peu près à tout ce qui s’est fait dans le genre, même si là aussi, encore une fois, quelques films n’ont pu être traités, tels Les aventures érotiques des trois mousquetaires de Paul Norman (1992), ou dans la série des films lesbiens, le pourtant culte, Where the boys aren’t.

La seconde partie du livre recense les œuvres dites incontournables, qui n’est, de l’avis même des auteurs qu’une liste non exhaustive et très subjective. Les œuvres essentielles y sont, c’est ensuite à l’appréciation des lecteurs et des lectrices de peser le pour et le contre de tels choix. On y trouvera fatalement un film qu’on n’aurait jamais mis et d’autres dont on ne comprend pas l’absence. Où est Rêves de cuir par exemple ? Pourquoi avoir mis davantage en avant La nuit sans fin au détriment de Latex, œuvre-somme ? Et Le Talisman ? Et Nothing to Hide 2 ?

De même qu’au rayon des griefs on pourra aussi évoquer la quasi absence de John Leslie - hormis dans le petit lexique des réalisateurs - pourtant un des artisans fondamentaux du X américain des vingt dernières années - de même qu’une mise en page un brin sommaire avec des hauts et des bas de pages poussifs. Plus regrettable, le lexique des réalisateurs qui n’apprend pas grand chose de plus que les autres ouvrages de référence, réduisant la filmographie à quelques films dont les plus importants ne sont pas cités (encore une question de subjectivité ?), et dans les fiches actrices, l’absence de Jeanna Fine et de Deidre Holland, pourtant les deux hardeuses parmi les plus populaires des années 90. De même que Laura Angel et Sylvia Saint sont ignorées alors qu’elles ont des filmographies conséquentes et qu‘elles sont représentatives d‘un tournant décisif dans les années 2000 puisque toutes deux tchèques. Il est certes difficile de présenter toutes les actrices et les acteurs d’un genre qui n’en finit pas de se renouveler, enfermant certains dans l’anonymat et en exposant d’autres sous les projecteurs de la célébrité, mais comment est-il possible de faire l’impasse sur Peter North, peut-être l’acteur le plus reconnu des années 90 ou sur Sean Michaels, un des rares acteurs noirs à avoir su s‘imposer dès le milieu des années 80 en ayant monté sa propre boîte de production ?

Cependant malgré ces interrogations et ces quelques reproches, il reste un livre très accessible, bien écrit et illustré, renvoyant à mal certaines images d’Epinal sur un milieu qui en trente ans est passé de la clandestinité à la surexposition médiatique voire à la banalité pure et simple. On mettra aussi au crédit des auteurs, journalistes pour la plupart, de ne pas verser dans des interprétations ou des analyses hasardeuses et/ou incompréhensibles, s’accrochant à donner une image du X - genre dit mineur depuis ses débuts - qui semble être celle qu’on lui retire souvent : un cinéma pour adultes qu‘il n‘a sans doute jamais cessé d‘être.

1 - The X-Rated Videotape Guide en 8 volumes, de Robert H Rimmer et Patrick Riley / The X-Rated Video Star Index I et II de Patrick Riley

2 - Linda Lovelace, héroïne du mythique Deep Throat et première star du X a publié deux autobiographies en 1972 et 1973 avant de partir dans une campagne anti-porno sous la houlette de son mouvement Morality in The media. Plus tard, elle demandera à ce que l’on brûle les copies de Deep Throat.

Par Jordan White - le 1 janvier 2003