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Test dvd
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Andrei Tarkovksi : Tempo di Viaggio & Courts métrages

DVD - Région 2
Potemkine
Parution : 15 novembre 2011

Suppléments

Ce disque - inclus dans le coffret tarkovski Potemkine mais également proposé à l'achat à l'unité - contient trois courts métrages du cinéaste (voir critiques ci-contre) et deux documentaires.

  

Tempo di Viaggio – Italie, 1983, 62 min
Ce reportage de la Rai s’ouvre et se clôt par le même poème de Tonino Guerra, qu’il récite entre une terrasse en mezzanine et l’appartement où il logea avec pour l’écriture de Nostalghia. «J’ignore ce qu’est une maison Est-ce un toit ? Un manteau ? Ou un parapluie s’il pleut ? » Tarkovski et Guerra vont entre deux, une heure durant, sillonner des paysages italiens, les vestiges de sa grandeur passée. Le scénariste est enthousiaste, Tarkovski est posé, presque blasé face aux beautés qu’ils contemplent, dans un état de dépression larvée. Sous nos yeux se dessine l’histoire du film à venir, qui est pour le moment celle d’un architecte sillonnant l’Italie. Le metteur en scène et son scénariste semblent à demi-mots en désaccord sur la place que doit jouer l’architecture italienne dans le film. Le cinéaste se plaint de se sentir oisif, touriste en villégiature, et n’a pas le sentiment que ces visites lui apportent quelque chose de substantiel. Il parle d’un rapport altéré au temps (« 4 jours ont passé comme deux semaines ») et à l’espace, lui qui se sent à l’étroit hors de la Russie. Sa jolie interprète ressemble étrangement au genre de beauté incarnée par Domiziana Giordano dans l’œuvre à venir.

Des indices sur le film en préparation s’égrènent, telle cette discussion sur le caractère intraduisible de la poésie, la vacuité des reproductions (« l’art est jaloux » dit Tonino Guerra, « il nous demande d’aller à lui »). Sur son œuvre suivante aussi, comme cet arbre en mosaïque sur le sol d’une abbaye, symbole nous dit un religieux du lieu de toutes les cultures réunies autour d’un même arbre de la connaissance, ou ce récit que fait Tarkovski d’un film rêvé sur un homme qui brûlerait sa femme menteuse... Tarkovski tombe amoureux de Bagno Vinone où il veut situer son film, la figure de la Madonna del Parto revient dans les conversations. Autour d’eux, des pêcheurs de la côte méditerranéenne s’affairent aux casseroles des crustacés récoltés, la vie des rues suit son cours, indifférente à cet homme qui demande à pouvoir rencontrer des gens du pays plutôt que de voir des églises mais ne le fera jamais. Une visite impossible dans une bâtisse abritant une mosaïque que son auteur a fait surmonter de fleurs (« comme disposées par le vent ») plonge Tonino Guerra dans la colère et la déception face à un guide poli mais impassible.

Tarkovski, lui, à l’air de s’en foutre un peu. Avec le périple est monté en parallèle une interview improvisée du metteur en scène par Tonino Guerra, sur les cinéastes qu’il admire (Dovjenko, Bresson, Vigo, Antonioni, Fellini, Mizoguchi, Bergman sont convoqués), son rapport au cinéma de genre qu’il explique toujours vouloir contourner pour être proche de la vie, ses conseils aux débutants consistant en une insistance sur la séparation impossible entre l’œuvre et la vie, la responsabilité de l’artiste, la dévotion vis-à-vis du cinéma («le cinéaste doit servir le cinéma, pas l’inverse »). On parle de ce qui importe à la fois si peu et tant : de poésie, de nostalgie, de Michelangelo (Antonioni) qui passera voir Andrei et Tonino à la maison, de ce que fera Tarkovski à son retour à Moscou (à sa réponse évasive on voit qu’il ne doit déjà plus beaucoup y croire), de ce qu’il pense de la maison où Guerra l’accueille (là encore, vague réponse de politesse, avant de glisser ses mains entre les barreaux de la demeure et de jouer avec sa bague de fiançailles), de la terre, dont l’humus est le même en Russie et en Italie... Calmement, Tarkovski semble souffrir. Son attitude révèle un homme flegmatique, à la touchante modestie, loin de l’image de mystique exalté qu’on se plait parfois à en faire. Ce document exceptionnel nous apprend réellement quelque chose de l’état de cet homme au moment de son exil, du déroulement quotidien du processus créatif et de la collaboration avec un scénariste de l’importance de Tonino Guerra.

   

Meeting Andrei Tarkovski de Dmitry Trakovsky (2008, 90 min)
« La mort n’existe pas. Ce sont les paroles de mon cinéaste préféré, Andrei Tarkovski… mort en 1986 » Qu’entendait donc Tarkovski par cette assertion qu’il aimait à répéter ? Notre existence dans nos œuvres ou la mémoire des autres ? L’immortalité de l’âme ? L’âme du monde dans laquelle nous vivons tous ? Sur la foi de cette croyance folle, Dmitry Trakovsky, jeune metteur en scène émigré de Russie à deux ans en 87 part sur les traces de « Tarkovski encore vivant » sur la planète. De L.A. où il rencontre un linguiste proche d’Andrei et Arseni Tarkovski (Vyacheslav Ivanov), il part pour l’Italie, lieu de tournage de Nostalghia (le film entretient un lien privilégié à ce film), pour rencontrer la toujours resplendissante Domiziana Giordano (qui raconte ne pas avoir cherché beaucoup de sens au film au moment du tournage, trop accaparée par un amour de jeunesse), Donatella Baglivo qui filma alors un documentaire sur son exil (où Tarkovski clame sa conviction sincère d’être immortel), avant de rencontrer le fils du cinéaste, alors laissé en Russie (parlant de la difficulté à grandir sans son père entre dix et quinze ans, de l’ostracisation subie par lui et sa mère pour son exil, du goût de Tarkovski pour l’inexplicable, s’en référant à l’épisode qu’il croyait vrai du fantôme sur la photo dans Le Sacrifice, de sa conviction acquise par une séance de spiritisme qu’il ne tournerait que sept films, de la date de sa mort apparaissant dans une coupure de presse flottant dans Stalker).

Fabrizio Borin, spécialiste de Tarkovski résidant à Venise explique, lui, la thèse principale de son œuvre : la puissance des faibles. Un cinéaste indépendant (Manuele Cecconello), son collègue et ami Krysztof Zanussi, Franco Terilli, producteur de Nostalghia complètent le portrait d’un fervent croyant. Comme en illustration, Trakovsky va rencontrer un jeune moine du Sierra Nevada converti à l’Eglise Orthodoxe suite à la vision des films russes de Tarkovski. Son analyse de l’œuvre sous un angle liturgique se fait devant son monastère, sous la pluie. Un moine et son chien passent, ambiance tarkovskienne à souhait. Prochaine escale en Suède, où Michal Leszczylowski, qui commença sa carrière de monteur avec Le Sacrifice (il y a pire) et Erland Josephson évoquent leur collaboration avec ce grand russe. Trakovsky termine son documentaire en Russie, interrogeant un jeune cinéaste moscovite (Ilya Khrzhanovsky) parlant de Tarkovski comme du cinéaste dont on est toujours « à une poignée de main » dans le milieu du cinéma de son pays, rencontrant une vieille sommité intellectuelle russe (Gregory Pomerants) qui en rajoute sur le caractère transcendant de films qui nous apprennent à nous détacher des passions pour rechercher la vérité, donnant la parole à Paola Volkova, la présidente du « Moscow Tarkovsky Fund » qui rappelle la vie de pèlerin, sans foyer fixe, que l’homme mena, insistant encore sur le caractère métaphysique de l’œuvre. Le film arrive au bout de son voyage, à Yurevets, la ville d’enfance de Tarkovski. Si la mort n’existe pas, c’est donc à l’échelle de la mémoire des lieux, des traces qu’un jeune fan peut tirer aux quatre coins de l’Europe du passage d’un génie qu’il admire. Un carton citant Arseni Tarkovski vient encore en rajouter sur l’immortalité des hommes et des choses. Le film est dédié à Lida Sno « décédée d’une crise d’asthme à l’âge de 14 ans. »

Par Jean Gavril Sluka - le 17 avril 2012