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Test blu-ray
Image de la jaquette

Un linceul n'a pas de poches

BLU-RAY - Région B
ESC Editions
Parution : 8 novembre 2023

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Après une ressortie en salles, distribué par Les Acacias, à l'été 2023, voici la toute première édition haute-définition au monde d'Un linceul n'a pas de poches, par ESC Distribution, qui poursuit ainsi son exploration de la filmographie de Jean-Pierre Mocky. La restauration 4K, supervisée par Mocky Delicious Products avec le soutien du CNC, a été menée par les laboratoires Eclair Classics.

Le classique exercice comparatif, en l'occurrence avec un DVD Pathé antédiluvien, permet de voir les qualités du travail accompli et l'apport considérable de la haute-définition.

comparatif Bluray ESC (2023) vs. DVD Pathé (2004) :
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Les atouts de cette édition sont ainsi indéniables, avec une restitution du format d'origine et un gain de définition évident, qui permet d'apprécier un certain nombre de détails imperceptibles en SD. Le grain semble naturel, sans recours manifeste aux outils de retouche numérique.

Un point important concerne l'étalonnage, toujours très difficile à évaluer tant les approches - les philosophies, presque - ont changé en 20 ans : les DVD du début des années 2000 poussaient souvent les curseurs, en termes de colorimétrie comme de contraste. La deuxième capture ci-dessus permet de mesurer le chemin accompli, pour le meilleur : l'image est plus sombre, la dominante n'est plus bleue-magenta mais incline vers les jaunes (voir le mur au-dessus du béret), mais restitue un rendu chromatique beaucoup plus naturel et plus fin, sans aucun doute plus proche du matériau d'origine. 

Son

Le rendu d'ensemble est agréable et ne présente aucun défaut d'audibilité. Précisons tout de même que, comme souvent chez Mocky, le film est post-synchronisé, ce qui contribue à un mixage tout à fait lisible mais provoque souvent un manque de naturel et une certaine pauvreté dans certaines ambiances périphériques.

Suppléments

Sur le disque, la présentation du film par Jean-Pierre Mocky (7' - SD) lui-même, supplément réalisé pour le DVD Pathé de 2004, puis repris dans le coffet Mocky sème encore la zizanie, édité en 2013. Assez curieusement, le supplément débute par une prise ratée, avant de reprendre quasiment à l'identique 1m15 plus tard. Le cinéaste explique que c'est suite à l'échec de son projet d'adaptation d’On achève bien les chevaux, avec Brigitte Bardot et Laurent Terzieff, qu'il s'est tourné vers d’autres romans d’Horace McCoy, et en l'occurrence celui-ci, écrit dans les années 30. Il exprime sa fierté d'avoir réuni des personnalités issues de bords politiques différents autour d’un sujet commun, fédérateur, celui de la "vérité dans la presse", en essayant d'adapter les particularités américaines du roman au "multipartisme français". Il précise que le film a été tourné, "en décors naturels", notamment dans une imprimerie Rue de Bagnolet. Il situe le film dans la veine de ses "thrillers politiques", toutefois moins centré sur un contexte précis (comme Solo, dans l'immédiat après mai 1968) mais abordant un plus général et universel. Assez curieusement, à la sortie, l’Est de la France accueillera positivement le film – l’Ouest beaucoup moins - sans que cette singularité géographique ne soit expliquée. La presse sera également divisée, tandis qu'à la télévision, seul Canal + proposera des diffusions, "en matinée", du film.

Un premier supplément original, intitulé L’éthique et le politique (16' - HD) voit Pacôme Thiellement revenir sur ce "polar bizarre", quinzième long-métrage du cinéaste, entre L'Ombre d'une chance et L'Ibis rouge. Il parle évidemment d’Horace McCoy, romancier à la dimension "subversive", assez proche des communistes, puis précise le contexte de la production, en décrivant l'année 1974, en France comme partout dans le monde, comme un moment "très déprimant", où les gens "réalisent que les revendications politiques ont conduit dans des impasses", menant à "une situation figée" - il illustre son propos en citant un certain nombre d'artistes, très variés, qui vivent alors un moment de crise créative. Il établit les points communs entre le roman et le film (à travers la nature des personnages principaux aux noms francisés et les deux premiers temps du récit) puis identifie des différences majeures, dans la troisième intrigue (liée aux liens entre hommes politiques et Ku Klux Klan dans le roman, et faisant référence à la pédocriminalité dans le film) ou dans l'humour. Il aborde enfin la question idéologique, qui justifie le titre de l'intervention : partant d'un "clin d’oeil" (sur la porte de l’imprimerie, on voit furtivement des couvertures d’albums édités par les éditions du Square, proche d'Hara Kiri) qui indique nettement où vont les sympathies de Mocky, il explique que la force du film vient de la distinction que le cinéaste opère entre "éthique et politique" : selon lui, Mocky ne se faisait pas spécialement d'illusions sur ce que pouvait accomplir les différentes idéologies politiques, mais il avait une forte éthique de justice et de vérité. En somme, résume-t-il,  "au mitan des années 70, en cette situation ce crise, la force du film est d’indiquer qu’il vaut mieux se préoccuper d’éthique que de politique".

L'autre supplément original, Cousu de fils noirs (19' - HD), voit Eric Le Roy, de la direction du patrimoine cinématographique du CNC, revenir sur le film. Là encore (il y a évidemment pas mal d'éléments communs aux deux modules analytiques), il est question d'Horace McCoy, de la genèse du film, du tournage (en mars 1974, quelques mois avant les élections présidentielles) et du style Mocky, notamment cette position de franc-tireur qui identifie le cinéaste à son personnage principal, et qui le fait aborder les questions sociales "avec la mitrailleuse". Il évoque la structure "éclatée", "chorale", du film, le plus long de la filmographie de Mocky, et parle de ce "Paris nocturne" que Mocky savait si bien filmer. Il revient sur le travail de plusieurs collaborateurs, Luc Andrieux, Marcel Weiss ou toute cette famille de seconds rôles qui constitue le "Mocky Circus" (il est plus spécifiquement question de Francis Blanche, dans son tout dernier rôle, à la fin du module), et concentre un instant son attention sur Marisa Muxen, nouvelle épouse d'un cinéaste alors "à un moment charnière de sa vie privée" et à qui on doit la ritournelle "foraine et nostalgique" qui rythme le film. Entre son évocation de la réception critique du film, parfois jugé trop narcissique ou trop érotique, et sa distribution à l'international, il insiste sur l'importance qu'avait, aux yeux de Mocky, la "liberté d'expression", ce qui l'a conduit à faire ce film - comme tant d'autres - "comme il le voulait, avec ses qualités et ses défauts".

Par Antoine Royer - le 21 mars 2024