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Test blu-ray
Image de la jaquette

Love Streams

BLU-RAY - Région 2, B
Wild Side
Parution : 24 février 2016

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Proposé par Wild Side dans sa belle collection Blu-ray + livre, Love Streams, le "vrai" dernier film de John Cassavetes pensé et réalisé en toute indépendance, bénéficie d'un très beau traitement. La qualité principale de ce master numérique est son aspect "filmique" plutôt bien respecté. Au delà de la propreté et de la stabilité exemplaires, c'est surtout l'impression bienvenue de se retrouver devant le film tel qu'on l'a toujours vu et apprécié avec sa texture argentique, son étalonnage chaud, sa photographie parfois brillante (pour les scènes de spectacle) et ses contrastes très bien maîtrisés avec des noirs profonds et du détail dans les basses lumières. La définition est globalement probante pour de la HD, même si le piqué n'est pas toujours régulier - mais celui-ci est également tributaire du "style Cassavetes" (même s'il est ici apaisé) avec ses options de mise en scène et les variations de mises au point. En résumé, il s'agit à coup sûr de la meilleure copie disponible actuellement pour Love Streams en vidéo. Précisions que Wild Side propose le film également sur un disque DVD, avec ce même master de haute qualité mais bien sûr avec les contraintes liées au support SD en termes de définition, de précision colorimétrique et de compression numérique.

Wild Side présente en supplément un deuxième film de John Cassavetes sur support DVD. Il s'agit donc d'Un enfant attend, un film à la production très houleuse tourné pour un studio et qui déclencha l'éloignement définitif de Cassavetes du système hollywoodien en tant que réalisateur. On apprécie évidemment de pouvoir disposer de ce film, mais il est dommage de ne pas pouvoir profiter de la haute définition alors qu'un Blu-ray d'Un enfant attend datant de 2015 existe outre-Atlantique chez l'éditeur Kino Lorber et que ce dernier s'avère plutôt très satisfaisant. On se contentera donc du DVD, et l'on fera même l'effort de se montrer indulgent (puisque livré en bonus) parce que le résultat est loin d'être une franche réussite. Les bons points d'abord : la copie est très propre et parfaitement stable, l'échelle des gris est remarquable et les contrastes de qualité même si parfois trop poussés générant un manque de détail dans les noirs. Le problème vient de la définition et de la compression, et ce n'est pas seulement propre aux limites inhérentes au support DVD. Car le couple lissage numérique / Edge Enhancement a encore frappé et le résultat est assez moche (surtout en vidéo-projection) avec un aspect vidéo "du plus bel effet" qui nous éloigne du rendu cinématographique. Love Streams étant le film principal de cette édition (et nettement plus important dans l'œuvre de Cassavetes), on passera un peu outre ces désagréments. Mais les plus curieux des cinéphiles (et équipés pour lire un Blu-ray région A) sauront quoi faire.

Voici, pour se faire une idée, une image comparative entre les deux versions : comparatif

Son

LOVE STREAMS
Deux mixages sont disponibles en DTS-HD MA mono, en anglais et en français pour un film reposant essentiellement sur les dialogues et les ambiances intérieures. Excellente nouvelle, la bande-son originale bénéficie d'une très bonne piste mono, claire et dynamique, avec un équilibre et une profondeur permettant de bien différencier les différentes sources sonores. Les quelques scènes musicales du film en tirent évidemment profit. Tout juste relèvera-t-on quelques petites saturations dans les aigus, de même parfois qu'un très léger souffle, mais ce n'est en rien gênant. Cette piste HD est vivante et immersive à souhait. On passera assez vite sur la version française, l'éditeur lui-même prend la peine de prévenir qu'elle a été créée des années après la sortie du film pour une diffusion télévisuelle. Les voix françaises, peu convaincantes (celle doublant Cassavetes est complètement à côté de la plaque) sont comme artificiellement plaquées sur les ambiances originales, générant une sorte décalage sonore dans la profondeur entre les deux sources. Mais qualitativement parlant, elle est aussi claire et propre que la version originale.

UN ENFANT ATTEND
Seule la version originale mono est proposée, à choisir entre un mixage DTS 2.0 (mi-débit) et Dolby Digital 2.0. Sans surprise, la différence entre les deux pistes est plutôt succincte, la bande-son DTS se révélant quand même un peu plus définie et précise dans la séparation musique/voix/ambiances. Autrement, on retrouve les mêmes caractéristiques pour les deux mixages : un mono clair et assez dynamique pour des pistes SD correctement conservées.

Suppléments

"I'm almost not crazy..." John Cassavetes : the Man and his Work (56 min - 1.37 - DTS 2.0 - 1984 - HD)
Première pièce maîtresse de cette édition Wild Side, ce film documentaire qui s'apparente à un making of. Produit comme Love Streams par les duettistes de la Cannon, Menahem Golan et Yoram Globus (!), réalisé par Michael Ventura, journaliste new-yorkais, critique de film (cofondateur de la revue LA Weekly) et écrivain, I'm almost not crazy... est plus qu'un simple documentaire sur les coulisses d'un tournage, il s'agit bien plus d'une immersion dans le processus créatif d'un cinéaste exceptionnel à plus d'un titre. Appelé par Cassavetes pour filmer le tournage de son film, Ventura finit par livrer un document qui parvient à renseigner sur la nature profonde du réalisateur confronté à la mise en images de ses obsessions, sur la nature de ses personnages, sur les problématiques du montage liées au travail des acteurs. et sur sa vision de l'existence liée à l'art. Cassavetes est longuement interviewé (sa voix illustre même souvent l'image tout au long du film) sur sa quête de vérité, son obsession de la thématique amoureuse, sa philosophie de l'existence, ses méthodes de travail ; de même que son épouse et égérie Gena Rowlands qui parle surtout de son jeu d'actrice et de sa collaboration avec son mari sur un plan personnel comme professionnel. On observe Cassavetes sur le plateau diriger son équipe, réécrire les dialogues avec sa scripte, perfectionner les répétitions, travailler étroitement avec ses comédiens, s'adonner à des jeux, se détendre avec sa famille et ses camarades, rire, s'énerver et admonester sa troupe. Les extraits de Love Streams sont particulièrement choisis pour mettre en valeur la performance de Gena Rowlands (pour la seule grande improvisation de l'actrice dans le film). Ventura interroge aussi Menahem Golan et quelques membres de l'équipe de tournage. Enfin, nous sont proposés quelques extraits de Shadows, Faces, Une femme sous influence et Opening Night, qui servent à illustrer les anecdotes racontées par le Cassavetes sur leur contexte de production.


Love Streams : Plans n° 145, 146, 147 (10 min 55 - 1.37 - DD 2.0 - 1983 - SD)
Dans ce premier extrait de l'émission Cinéma Cinémas de Claude Ventura et Philippe Garnier, diffusée le 5 octobre 1983, on suit John Cassavetes tourner trois plans de nuit à l'extérieur de sa maison. On voit le cinéaste diriger ses comédiens et surveiller le cadrage. Si l'insatisfaction du réalisateur point en fin de tournage, on retiendra aussi et surtout les images émouvantes montrant la grande complicité entre Cassavetes et Gena Rowlands. Un document présenté "dans son jus", un peu court mais néanmoins intéressant pour qui s'intéresse à la fabrication d'un film.


Cassavetes "Love Streams" (7 min 36 - 1.37 - DTS mono 2.0 - 1985 - SD)
Dans ce second extrait de l'émission Cinéma Cinémas, diffusée le 2 janvier 1985, on y voit simplement et durant sept minutes quelques plans tirés du documentaire de Michael Ventura évoqué ci-dessus. On se demande quel intérêt a pu trouver l'éditeur à placer ce supplément, d'autant que sur le plan technique (image et son), ces images sont bien inférieures à la source d'où elles sont tirées.

Les mêmes trois suppléments sont proposé sur le DVD d'Un enfant attend, accompagnés de liens Internet.

Deuxième pièce maîtresse de cette belle édition, le livre de 212 pages intitulé Love Streams : l'amour et le vertige, écrit par Doug Headline. Journaliste et écrivain de cinéma, membre fondateur du "mythique" magazine Starfix et grand amateur et expert de l'oeuvre de John Cassavetes, Headline effectue à la fois un travail de critique et d'historien dans les limites qui lui sont fixées. Mais même s'il se lit vite, son livre s'avère passionnant. La première partie s'attache à raconter la carrière de John Cassavetes, depuis ses débuts sur les planches, à la télévision et à Hollywood avec ses nombreuses rencontres jusqu'à l'épreuve que constitua le tournage d'Un enfant attend - dont la mise en chantier et la production très conflictuelle sont également détaillées et commentées (le producteur et réalisateur Stanley Kramer en prend d'ailleurs pour son grade) - qui transformera l'homme et l'artiste en un cinéaste farouchement indépendant et avide de liberté. Headline accompagne justement son récit de la description du contexte politique agité de ces premières décennies et évoque les enjeux personnels et professionnels de chacune des personnalités citées, tous des libéraux (soit de gauche aux USA) plus ou moins radicaux. La deuxième partie du livre est centrée sur Love Streams, son tournage et les ambitions affichées (ou plutôt souvent cachées au fil du temps) par Cassavetes. Headline raconte les origines théâtrales du projet et surtout la fabrication du film, les aléas et  les difficultés du tournage, les problèmes personnels du cinéaste (le décès de sa mère, sa santé qui vacille dangereusement), les relations entre ce dernier et Menahem Golan (qui lui laisse toute liberté d'agir à sa guise), ses méthodes de travail, sa collaboration très étroite avec son épouse Gena Rowlands, l'évolution constante du scénario et la gravité qui s'empare progressivement du film. Enfin, l'ouvrage est abondamment et intelligemment illustré de photographies, liées non seulement à Love Streams (photos de tournage et d'exploitation) mais aussi à la carrière de Cassavetes dans son ensemble. Même si on a souvent l'impression que le texte est trop envahi d'illustrations, il n'en demeure pas moins que Love Streams : l'amour et le vertige reste un document très instructif sur le plan d'abord informatif mais aussi un peu analytique, et parfois émouvant quand son auteur laisse entrevoir sa passion pour l'oeuvre du cinéaste.

Par Ronny Chester - le 27 mai 2016