Test blu-ray
Image de la jaquette

La Strada

BLU-RAY - Région B
Rimini Editions
Parution : 6 mai 2025

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À quelques semaines d'intervalle, Rimini Éditions va proposer deux très belles sorties de grands classiques du cinéma. Avant La Règle du jeu, début juin, c'est d'abord La Strada qui a été remis sous le feu des projecteurs, réédité pour la première fois en France depuis le DVD sorti chez René Château en 2002. Le film a été restauré en 2020 à l'initiative de la Film Foundation et de l'éditeur américain Criterion, qui l'avait ensuite sorti en Blu-ray fin 2021. Les travaux ont été effectués en 4K à partir d'un contretype 35mm fourni par la société allemande Beta Film GmbH, détentrice des droits mondiaux. La France a manqué de peu d'être le premier pays à proposer le film en UHD 4K, mais Criterion n'a pas autorisé Rimini à aller au bout de son idée, préférant se garder l'exclusivité de l'UHD, qui n'a pas encore été annoncé.

L’utilisation du contretype, un élément de 3e génération, explique que le piqué et le niveau de détail ne soient pas aussi aiguisés qu'espéré. Heureusement, l'ensemble reste très honorable, suffisamment convaincant et bien meilleur que l'ancien DVD (cf. comparatif). D'une manière générale, la qualité du grain n’est pas impactée, il est même plutôt bien conservé, souvent abondant et toujours naturel. On remarquera une trentaine de secondes très dégradées, issues d’un élément secondaire, beaucoup moins convaincant et subtil. L’étalonnage du film s’en sort très honorablement, avec des contrastes souvent équilibrés et des niveaux conformes à ceux d’une projection en salle (même si on regrette quelques plans manquant de densité dans les noirs). Les ombres sont généralement appuyées et charbonneuses, un détail caractéristique de nombreuses restaurations n&b du laboratoire bolonais, mais qui reste conforme à une origine argentique. On regrettera malheureusement que les pulsations de contraste n’aient pas été totalement tempérées durant quelques plans où le défaut est très marqué. La copie est globalement bien nettoyée, mais il persiste des apparitions négligeables de petites griffures ou rayures verticales. Les cadres n’ont pas été stabilisés numériquement et sont encore un peu tremblotants. Il s’agit de la meilleure restauration effectuée à ce jour.

comparatif DVD René Château (2002) vs. Blu-ray Rimini Éditions (2025) :
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Son

La version originale est plutôt conforme à un rendu de cette période, la dynamique est modeste et le mixage reste souvent assez simple. Conformément aux pratiques italiennes jusqu'aux années 80, il n'y a pas de son direct : les voix ont été entièrement post-synchronisées (ce qui est plutôt pratique pour les deux comédiens américains qui ne parlaient pas du tout la langue). On sent un tout petit peu l'artificialité de la cabine d'enregistrement, dans un ensemble relativement naturel et équilibré. On notera une grande propreté, l'absence de saturation ou de sifflantes marquées, mais un souffle léger et permanent. La version française bénéficie d'un rendu très correct, à peu près identique, même si on peut sentir des basses plus efficaces, un très infime bourdonnement (en plus du léger souffle) et quelques sifflantes. 

Suppléments

La Strada est proposé dans un digipack 3 volets avec fourreau, comprenant deux Blu-rays ainsi que deux livrets. Le premier (12 pages) reprend le dossier de presse réalisé par le distributeur les Acacias, pour la ressortie en salles de mai 2023, avec des extraits d’entretiens de Fellini ou Giuletta Masina qui reviennent sur la génèse de La Strada, “une sorte de long enfantement à deux”, ou l’accueil “exalté, tumultueux et contrasté” au Festival de Venise. Deux analyses accompagnent ces propos, l’une de Scorsese (parue dans le New York Times et Positif) qui évoque ses souvenirs du film, découvert enfant, et analyse brièvement cette “parabole de la rédemption”, au style imaginatif et lyrique en rupture avec le néoréalisme. L'historien du cinéma Jean A. Gili parle de la “dimension chrétienne”’ d'un “film itinéraire”, et du “rôle charnière” de Fellini dans le cinéma italien des années 50. Un second livret (20 pages) reprend le dossier pédagogique conçu en 2023 par l’enseignant et critique Philippe Leclercq, qui propose une analyse de séquence et diverses notules analytiques sur les aspects du film, trajectoire tragique d’un “ombrageux saltimbanque” et d’une “chétive créature”, au “destin en forme de chemin de croix”. Il évoque notamment la peinture d’une population pauvre, les rapports rugueux dans un monde aliénant, le cirque comme lieu d’utopie et “espace de rêve et d’unité partagée”, le cérémonial religieux qui trahit un fanatisme plutôt qu’une foi, l’apparition du Fou dans un "envol onirique”, au cours d’une “nuit artistique et spirituelle”...

Rimini Éditions n'a pas fait les choses à moitié puisque La Strada est également accompagné de très nombreux suppléments, répartis sur deux disques :

Blu-ray 1

Entretien avec Frédéric Mercier et Marcos Uzal (39min - HD)
Reprise des conversations entre critiques, initiées pour la collection Billy Wilder, toujours avec Frédéric Mercier de Positif, cette fois associé à Marcos Uzal, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. Ils évoquent La Strada, premier film où Fellini "s'impose comme un cinéaste très important" et singulier, malgré les nombreuses reproches sur sa conscience politique peu marquée et une soi-disant trahison du néoréalisme, alors que le film montre une Italie du sous-prolétariat. Les deux critiques analysent le film, son aspect intemporel et abstrait, en contraste avec Les Vitelloni, qui précédait dans la filmographie du réalisateur, davantage ancré dans son époque mais non dénué d’une sorte de continuité. Ils reviennnent sur la construction de La Strada, “marqué par une série de départs, d’adieux et de renoncements”, sans qu’il s’en dégage un sentiment mécanique ; ils notent la cruauté et la noirceur sous une forme de féérie, comme la tristesse des spectacles ; ou remarquent comment Fellini capte la procession et réussit à s’en servir dramatiquement, notamment lorsqu’il met en perspective la ferveur religieuse et le spectacle, retrouvant l’aspect satiriste de ses débuts. Ils évoquent les personnages aux caractères très marqués, comme dans un spectacle de cirque, et s'intéressent Gelsomina qui apparaît comme une “plaque sensible”, incarnée par Giulietta Masina, “au coeur du projet” et de la mise en scène, qui a fait appel à des figures expressionnistes et des références du cinéma muet. Mercier et Uzal précisent qu’il s’agit d’un des rares films de Fellini qui soit axé sur les personnages, qu’il utilise cependant pour montrer un monde et des sentiments équivoques.

Interview radio de Giulietta Masina (30min)
Jérôme Wybon a déniché cette belle archive, diffusée sur France Inter en août 1983. Dans un français très correct, Giulietta Masina raconte divers souvenirs autour de La Strada, de la vision d'un couple de gens du voyage aperçu lors d'une promenade, qui inspira le duo du film, aux difficultés que dût surmonter Fellini pour imposer auprès des producteurs son interprète idéale, Giulietta, quand ceux-ci attendaient plutôt quelqu'un de très sexy. Elle évoque sa  transformation physique, supervisée par Fellini qui avait décelé avant elle le tempérament clownesque du personnage, raconte comment elle lui suggéra le choix de ses partenaires Anthony Quinn et Richard Baseheart, rencontrés sur un tournage, et explique le succès mondial du film par son côté universel. Elle se souvient des diverses présentations du film en Europe : son sentiment de culpabilité face à l'accueil très timide au Festival de Venise ;  son état fiévreux qui l'empêcha d'assister à la première, salle Pleyel, à Paris, et à l'accueil l'enthousiaste du public français ; le public londonien qui lui fit don de nombreux vêtements, pensant qu'elle était aussi pauvre que son personnage. Elle revient enfin sur les compliments de Chaplin à son encontre. S'ajoute un bref mot de Fellini qui explique la méfiance de l'actrice pour son personnage, lorsqu'elle tentait d'échapper au misérabilisme de son rôle, essayant (sans succès) de rendre quelque peu élégant un "ensemble [vestimentaire] misérable".

Blu-ray 2

Rimini propose une sélection de suppléments qui étaient proposés en 2005, dans un coffret Fellini sorti chez Opening :


Je suis un grand menteur (106min - HD - VOSTF)
Documentaire réalisé par Damian Petttigrew, sorti dans les salles françaises en 2003 et restauré en 2022 par L'Immagine Ritrovata, à partir d'un master conservé sur cassette Digital Betacam. Composé d’entretiens avec le cinéaste et plusieurs de ses principaux collaborateurs - comme comme le décorateur Dante Ferretti, le scénariste Tullio Pinelli, le directeur de la photographie Giuseppe Rotunno, ou les acteurs Roberto Benigni, Terence Stamp ou Donald Sutherland - et illustré d’images de tournage, de plans de l’Italie fellinienne ou de nombreux extraits de ses films, Je suis un grand menteur est comme un autoportrait qui explore les différentes facettes du personnage Fellini, disparu dix ans plus tôt. Le réalisateur explique sa sensibilité particulière, son rapport aux arts et l’aspect quasiment vital de réaliser des films, se sentant vide, “en exil” de “l’existence normale”, quand il n’est pas sur un plateau. Fellini raconte l’état second qui l’envahit lorsqu’il est au travail, sentant alors que le film le dirige et qu’il se retrouve comme “habité” par un “habitant obscur”. Il se réalise lui-même à travers ses films, se confessant à l’écran, avouant ses doutes et ses névroses (“un antre plein de trésors”), racontant “qui il [est] vraiment”, jusque dans l’intimité de son couple. On évoque le chemin du créateur, parfois dans une direction tyrannique, sa méthode de travail qui privilégie de plus en plus la spontanéité (“le secret de la vie”) au scénario, trop directif. Il parle de son rapport de fascination aux acteurs, qu’il utilise pourtant comme des marionnettes, ou de sa capacité à inventer et transformer ses souvenirs ou ses rêves, matérialiser ses fantasmes, jouer sur l’illusion de la réalité, ou évoquer la femme, “la planète inconnue”.


Les modules suivants ont été produits à partir des rushes du documentaire : 

Federico Fellini, séquence dessin et entretien inédit (14 min - HD avec upscale - VOSTF)
Un entretien avec le cinéaste qui parle du malaise que suscite chez lui l'exercice de l'interview, en même temps qu'il se caricature en train de répondre aux questions. Il revient sur l'influence majeure de Roberto Rossellini, "personnage fondamental" qui lui a montré qu'on pouvait être réalisateur en toute simplicité, sans se soucier de l'organisation quasi militaire d'un tournage, et parle de son travail de recréation, illustré par son film La voce della luna où il a reconstruit un village entier en s'inspirant d'une simple "vibration" du livre original. Il regrette également que le cinéma ait perdu "ce charisme hypnotique" auprès du public, au profit de la télévision qui "a réduit l'image en miettes"...

Sur les traces des lieux felliniens (20 min - HD avec upscale)
Un retour intéressant sur des lieux qui ont marqué la vie de Fellini et de ses films, du cimetière de Rimini où il est enterré (aux côtés de Giulietta Masina et leur bébé), au carnaval de Gambettola qui l'a marqué, enfant, du couvent de La Strada, à Bagnoreggio, à certains décors de Huit et demi ou Et vogue le navire...


Huit entretiens et demi (47min - HD avec upscale - VOSTF)
Quelques extraits d'entretiens non montés de Fellini, je suis un grand menteur, dans lesquels des personnalités évoquent leur rapport admiratif au cinéaste. Roberto Benigni parle de la générosité de Fellini, un génie immortel dont il évoque la façon de travailler, comme dans un rapport amoureux où l'on se donne à l'autre, mais de manière artistique. Le critique Joseph-Marie Lo Duca, qui fit partie des fondateurs des Cahiers du cinéma, revient sur les débuts de Fellini, l'influence d'Alberto Lattuada, son intérêt pour certains détails poétiques, son impossibilité de tourner avec Giulietta Masina quand il ne l'aime pas. Roland Topor parle de Fellini comme quelqu'un de hanté, "comme un métro à 6h" bondé de fantômes. Le dessinateur Jean Giraud (alias Moebius) évoque l'intérêt de Fellini pour la bande dessinée et les rapports entre auteur et dessinateur dans "une sexualité de l'esprit". Avec sa faconde hypnotisante, le producteur Daniel Toscan du Plantier évoque avec passion le "monument national" Fellini, à travers de nombreux souvenirs et réflexions, d'abord autour de Roberto Rossellini, le "père fondateur" auquel le maestro s'est totalement éloigné dans son travail. Le scénariste Tullio Pinelli raconte d'où est venu l'idée de La Strada, et revient sur les critiques d'Il Bidone qui les ont accusés d'être "les fossoyeurs du néoréalisme". Terence Stamp donne quelques impression sur la façon de travailler de Fellini, "un enfant extrêmement éveillé" qui recréait un univers à partir des milliers de choses qu'il avait pu observer. À travers plusieurs anecdotes révélatrices de l'humour et la personnalité de Fellini, Donald Sutherland parle de "quelqu'un d'extraordinaire", dénué de narcissisme. Enfin, l'écrivain Italo Calvino lit sa description visuelle de Rome, extrait d'un de ses romans, cher à son grand ami Fellini.


En savoir plus

Taille du Disque : 38 468 766 457 bytes
Taille du Film : 29 092 521 984 bytes
Durée : 1:48:31.296
Total Bitrate: 35,74 Mbps
Bitrate Vidéo Moyen : 29,99 Mbps
Video: MPEG-4 AVC Video / 29995 kbps / 1080p / 23,976 fps / 16:9 / High Profile 4.1
Audio: Italian / DTS-HD Master Audio / 2.0 / 48 kHz / 1790 kbps / 24-bit (DTS Core: 2.0 / 48 kHz / 1509 kbps / 24-bit)
Audio: French / DTS-HD Master Audio / 2.0 / 48 kHz / 1888 kbps / 24-bit (DTS Core: 2.0 / 48 kHz / 1509 kbps / 24-bit)
Subtitle: French / 17,177 kbps

Par Stéphane Beauchet - le 27 mai 2025