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Test blu-ray
Image de la jaquette

La Nuit du chasseur

BLU-RAY - Région A
Criterion
Parution : 16 novembre 2010

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Il n’est plus à démontrer que le DVD est un support ne soutenant pas la comparaison avec la haute définition. Je ne profiterai donc pas de cette tribune pour désigner les insuffisances des deux premières éditions, européenne et américaine, la démarche étant d’avance inadéquate car la copie n’est pas la même. Ceux qui souhaitent seulement savoir si la technologie Blu-ray est impériale en comparaison de celle du DVD, question qui n’est d’ailleurs plus guère d’actualité, privilégieront la comparaison entre l’édition DVD que Criterion fait paraître concomitamment à cette édition Blu-ray.

La présente copie est celle issue de la restauration effectuée par l’UCLA, et correspond globalement au souvenir que je conserve d’une projection cinématographique, le confort de la projection numérique en plus. La copie est d’une propreté constante obtenue sans destruction d’informations puisque le grain est omniprésent. La lumière s’imposera davantage encore dans sa dimension mystique, lorsqu’elle s’échappe de toutes parts des habitations domestiques ou irise le regard des protagonistes. Lorsque Preacher tient Pearl dans ses bras dans la boutique des Spoon, l’expression de la fillette passe tout entier dans l’illumination de son regard, plus difficilement perceptible jusqu’alors.
Cette nouvelle présentation confirme ce que le spectateur familier du film et de son esthétique pouvait deviner. La densité des noirs d’un niveau inédit rappelle la volonté de Stanley Cortez d’obtenir un rapport de contraste maximal par l’emploi d’une pellicule plus sensible qu’à l’ordinaire, le Tri-X. La profondeur de champ s’impose ensuite dans cette copie d’une définition étonnante, qui permet de détacher entre eux les différents plans de l’espace avec une aisance parfois troublante. Birdie qui joue son banjo dans sa péniche à côté de la porte d’entrée dont l’ouverture semble ouvrir sur un espace différent, l’intérieur et l’extérieur semblant coexister par le fruit d’un collage quelque peu forcé. Peut-être que ce type d’impression est lié à la qualité même des décors de fortune au regard du budget modeste du film. L’important est ailleurs avec la netteté considérablement accrue des détails visibles à l’arrière-plan, les jeux mystérieux d’ombres et de lumière qui font écho à ceux de l’avant-plan, la stylisation des décors qui, ainsi mis en valeur, passent du rang d’accessoire à celui de principal. Mais l’emploi du noir comme facteur expressif et de la profondeur de champ était déjà connue. La présente copie nous rappelle le résultat de la démarche esthétique qui est d’épuiser un modèle formel jusque dans ses dernières possibilités, et la réussite du résultat est déjà considérable.
Pourtant la véritable plus-value est liée non à l’amélioration, aussi considérable soit-elle, d’éléments déjà connus à un plus faible degré, mais à la révision intégrale de la copie dans les valeurs de luminosité proposées. La Nuit du chasseur est dans l’imaginaire moins un film nocturne qu’un film qui oppose les rapports de valeurs partagées entre obscurité et clarté. La clarté apparaît ici davantage diluée dans un début de pénombre, et les plans diurnes insérés dans la séquence du voyage sur la rivière s’inscrivent souvent dans un début de crépuscule. Les transitions entre les instants sont plus gradués, plus subtiles, le film s’enrichit de pistes d’interprétation inédites.

Son

La restauration sonore monophonique satisfait moins mais l’on partait de moins loin. Le son résume l’essence de nombre de scènes et assure des transitions majeures (la découverte du corps de Willa dont la gorge tranchée était figurée par les cris d’un moteur qui peine à démarrer, la dissolution du cri de Preacher avant l’installation du chant des étoiles), sans même évoquer la première qualité de la partition de Walter Schumann. Le regain de pureté, de transparence sera donc appréciable. Le bruit du vent chassant les billets de banque (des pesos, et non des dollars) découpés par Pearl pourra donner une idée du résultat obtenu.
La réussite de cette édition Criterion apparaît complète à défaut d’être parfaite car on se demandera toujours si l’on peut obtenir encore mieux d’un tel film, si le grain présent correspond au rapport enregistré et voulu par l’équipe, si un surcroît de définition est envisageable. La copie correspond en tout état de cause dans son esthétique à l’image vue en projection cinématographique et constitue la base de travail désormais indispensable pour celui qui souhaite s’aventurer à donner son opinion sur le travail de Laughton et son équipe. Cette nouvelle édition devra dans la majorité des cas combler les amateurs du film qui le découvriront peut-être dans son format 1.66. Elle lancera un nouveau défi aux quelques chercheurs qui souhaitent percer l’énigme unique de ce film entré dans l’histoire de l’art. Il s’agira, une fois de plus, de tout remettre sur le métier. Quaerendo invenietis.

Suppléments

Cette édition propose deux disques : le premier comporte le film et la majorité des suppléments, le second le montage des rushes effectué par Robert Gitt et sa présentation par Gitt et Leonard Maltin.

Commentaire audio : F.X. Feeney, critique de cinéma, Terry Sanders, responsable deuxième équipe, Preston Jones, auteur,  Robert Gitt, archiviste
Les lecteurs de Preston Jones connaîtront déjà les informations obtenues par l’auteur lors de ses nombreux et fouillés entretiens effectués avec les membres de l’équipe, dont Terry Sanders. Le commentaire sera pour ceux-là un condensé évitant de relire toute l’entreprise. Pour les autres, il s’agira d’éviter au contraire de se perdre trop longtemps dans les arcanes du précieux ouvrage et d’obtenir les informations les plus indispensables, celle sur le sentiment de durée naissant avec le portique d’entrée de la monumentale séquence de la rivière, ou celle sur la perception enfantine dans la conception du décor de la cave. D’autres impressions pourront même être obtenues ici et là à l’occasion d’un plan suggérant une réflexion inédite.

The Making of The Night of the Hunter
Ce documentaire reprend largement les informations disponibles sur le commentaire audio. La présence de Jeffrey Couchman, qui a basé son livre sur les travaux de Preston Jones, ne constitue pas une réelle valeur ajoutée. Ce sont les mêmes informations divulguées par quelqu’un d’autre. Les réflexions les plus personnelles de Couchman devront être cherchées dans son livre.

Simon Callow on Charles Laughton
L’acteur, qui a écrit sur Charles Laughton et La Nuit du chasseur, rapproche des éléments de la vie privée de Laughton des thèmes abordés dans le film, notamment la frustration sexuelle (Laughton était un homosexuel soucieux de taire ses préférences et vivait ses aventures sous le drap de son mariage avec Elsa Lanchester).

Moving Pictures, documentaire de la BBC
Il rassemble quelques brefs entretiens, notamment de Lillian Gish et Robert Mitchum, qui était content d’obtenir un rôle où il n’embrasserait pas un cheval à la fin.

Extrait de l’émission The Ed Sullivan Show
Peter Graves et Shelley Winters jouent une scène non retenue dans le film durant laquelle l’épouse rend visite en prison à son époux condamné à mort. Elle cherche à savoir où il a caché l’argent et il explique les raisons de son refus. Le jeu théâtral ne permet pas de se prononcer sur l’intérêt esthétique d’un échange purement verbal dans un film basé sur l’image et qui comprend déjà trop d’échanges inutiles à l’atmosphère. D’autant plus que Harper père a déjà parfaitement expliqué à John avant son arrestation pourquoi il ne fallait rien dire à leur mère.

Entretien avec Stanley Cortez
C’est une émission trop courte de la télévision française qui prend place dans les locaux de l’ASC. Les précieuses douze minutes passent trop vite et l’on perd du temps avec des extraits du film proposés dans une copie abominable. Le directeur de la photographie est sûr de lui, affirme que le concept visuel lui appartient entièrement et que Charles Laughton n’avait aucune idée de la technique cinématographique, son apport se situant ailleurs. La journaliste est trop intimidée et ne peut finalement pas rentrer dans les détails. Les souvenirs de Cortez semblent un peu confus et ressemblent davantage à des impressions conservées du tournage qu’à des faits établis. Il ne peut préciser ce qu’il entend par concept visuel et livre tout de même des propos intéressants sur la nécessité d’employer beaucoup de sources lumineuses pour aboutir à une image faiblement éclairée.

Galerie des dessins de Davis Grubb
Quelques dessins sont confrontés au plan finalement tourné. Peut-être que d’autres dessins en couleurs aperçus en quelques instants des documentaires auraient pu utilement compléter cette intéressante présentation, le livre de Preston Jones les proposant seulement en noir et blanc.

Bande-annonce
Elle fait partie du genre qu’il faut éviter tant elle dévoile des éléments de l’intrigue. Une mauvaise mise en bouche pour ceux qui ne connaissent pas le film.

Entretien entre le critique Léonard Maltin et Robert Gitt
Il s’agit d’une introduction aux quelques deux heures trente de rushes montées sur les huit existantes par Robert Gitt. L’échange est enthousiaste et vivant, et revient sur les nombreuses années de travail qui ont permis de finaliser ce documentaire qui a immédiatement suscité l’intérêt lors de sa première présentation à Los Angeles. (1) S’il fallait encore convaincre les plus réticents sur le format du film, Gitt explique qu’il a choisi le format 1.37 pour les rushes afin de montrer plus que ce qui était prévu pour le film, afin de montrer au spectateur ce que voyait Laughton durant le tournage. Le format large est pour sa part incontestable lorsqu’il s’agit de projeter le film (rappelons que le DVD MGM zone 1 proposait un panneau précisant que le format avait été adapté à celui de l’écran 4/3, le 1.37 n’étant nullement le format d’origine).
Il est justement souligné qu’il s’agit là d’un témoignage presque intimiste sur l’antichambre d’une œuvre sans rapport avec les documentaires habituels explicitant les intentions du tournage. Ici, on reste en retrait, on entend Laughton susurrer ses indications, on se trouve dans la confidence. Les deux hommes écartent, s’il le fallait encore, la légende selon laquelle Laughton avait connu les pires difficultés à diriger les enfants et relèvent à l’inverse la tension et une certaine animosité à l’encontre de Shelley Winters.

Charles Laughton directs The Night of the Hunter
C’est l’apport majeur, aussi considérable qu’écrasant, de cette édition en termes de bonus. Le montage effectué par Robert Gitt de nombreuses heures de rushes conservées du film est principalement constitué des essais des différents acteurs filmés parfois sous différents points de vue. Lorsque l’on voit la prise qui sera effectivement retenue, Gitt ajoute un bref extrait de la musique qui est entendue effectivement dans le film. Le documentaire renseigne sur les méthodes de travail de Laughton, omniprésent, pointilleux mais aussi affable. Robert Mitchum confirme sa hauteur de vue géniale. Ses essais de cri bestial lorsqu’il s’embourbe dans la rivière sont parfois grandioses, parfois grotesques. L’acteur ne cache pas ses difficultés à jouer telle scène jugée inepte, comme son monologue dans l’automobile. Si le moment est ridicule, lui subjugue avant de pouffer de rire. On comprend que Laughton ne pouvait qu’avoir une pleine conscience des quelques maladresses du film, mais qu’il a tout de même choisi de les conserver afin de les fondre dans une esthétique globale.

La bonne volonté de Billy Chapin est étonnante dans sa constance et sa justesse. Lorsqu’il s’éloigne dangereusement du résultat final, c’est par imitation des indications parfois étranges de Laughton (la remise de la poupée à Preacher et les ridicules intonations réclamées). Sally Jane Bruce ne parvient légitimement pas à se concentrer à cinq ans et Laughton obtient néanmoins satisfaction grâce à une direction habile. L’enregistrement audio de son interprétation de Pretty Fly est proposé, et le résultat est intéressant, à défaut d’être satisfaisant (le chant possède un caractère adulte alors que la chanteuse qui imite l’enfant rend la « tromperie » imperceptible). Les prises avec Emmett Lynn, le premier oncle Birdie, sont présentées (scène de la pêche au gard) avant l’éviction de l’acteur, qui passait d’un extrême (cabotinage) à l’autre (platitude), au profit de James Gleason. Shelley Winters est l’élément le plus fragile, mais c’est une confirmation plus qu’une découverte tant elle fait penser dans son jeu perdu et hésitant à la Shelley Duvall de Shining. Ses premiers essais sont rarement dans le ton et fort éloignés de ce qui sera finalement obtenu après maintes répétitions. On peut d’ailleurs rester réservé sur la prestation finale. L’autre sujet du documentaire consiste en la présentation des trucages optiques du film. On voit ainsi par exemple comment les plans tournés dans le studio californien sont associés aux prises de vue effectuées en Virginie. Ce documentaire, présenté en Academy ratio en résolution 1080p, est plus une œuvre autonome d’un intérêt exceptionnel qu’un bonus.

Livret
Il comprend deux articles. Le premier, de Terrence Rafferty, ne révèle rien d’essentiel et insiste sur les traits d’humour du film, son recours à la bouffonnerie, ton en avance sur son temps qui pourrait trouver un plus large public aujourd’hui selon l’auteur. Le second, de Michael Sragow, est essentiel. Il consiste à réhabiliter le rôle de James Agee même s’il est délicat de faire le départ entre l’auteur du roman, Agee et Laughton, et surtout propose des pistes de lecture nouvelles et audacieuses d’instants clé du film, Willa dans la rivière ou le voyage fantasmagorique des enfants sur cette même rivière.

(1) Je renvoie par exemple à cet article de septembre 2002 écrit par Philippe Garnier lors de la découverte des rushes http://next.liberation.fr/cinema/0101423721-la-nuit-du-chasseur-en-prise-directe

Par Damien Ziegler - le 19 avril 2011