La Dame de Shanghai
la dame de shanghai
La Dame de Shanghai est le récit d’un innocent plongé dans une fosse aux requins. Cette innocence, Orson Welles en a toujours fait un thème majeur de son cinéma : « Il n’y a pas moyen aujourd’hui de faire quelque chose qui ne parle pas de l’innocence et du pêché. » Mais chez le cinéaste, l’innocent ne revêt pas la figure du saint et Michael O’Hara - comme nombre des personnages de Welles confrontés à la corruption des rapports humains - est juste un homme, avec ses erreurs, ses doutes et ses propres zones d’ombre. La Dame de Shanghai est très caractéristique des mélanges d’influences qui nourrissent le cinéma de Welles. Expressionnisme, baroquisme et surréalisme s’y côtoient, le tout prenant la forme d’un Film noir. Mais la mise en scène de Welles est comme assagie, et l'on ne retrouve pas les amples et complexes mouvements de caméra de Citizen Kane et de La Splendeur des Amberson. Ces mouvements qui, loin de la démonstration virtuose, font émerger les relations ambiguës entre les personnages, leurs drames profonds. Ici Welles travaille presque uniquement sur le cadre. C’est au niveau de l’image que tout se joue, dans l’utilisation des symboles (que Welles rejette pourtant), dans les jeux d’ombres et de lumière, dans les changements de focales, dans la manière dont il utilise les gros plans (d’ailleurs imposés par le producteur Harry Cohn, effrayé de voir que dans les rushes Welles ne mettait pas en valeur sa star féminine). Il est d’ailleurs étonnant de voir que d’éléments imposés par la production (ces gros plans donc, des séquences re-filmées à la va-vite sur des fonds artificiels), Welles tire une force inattendue : une ambiance onirique se dégage des ces surimpressions outrancières et des visages saisis en très gros plans de Michael O’Hara et Elsa Bannister.
La Dame de Shanghai a l’apparence d’un film très simple, limpide, aussi l’on peine à comprendre pourquoi la Columbia prit peur et laissa le film deux ans sur les étagères avant de se décider à le distribuer comme un produit de série B. Certainement à cause du fait que Welles y transforme Rita Hayworth, l’icône de la vamp depuis Gilda, en lui coupant sa longue chevelure (et en présence des journalistes au début du tournage !), qu’il lui réserve un sort peu révérencieux eu égard à la légende qu’elle se doit d’être. Outrage que Harry Cohn, le nabab du studio, dut avoir bien du mal à digérer. Alors qu’il espère pouvoir maîtriser Welles en lui faisant signer l’adaptation d’un polar sans prétention (le script de Welles fait une quinzaine de pages), le tournage devient rapidement un conflit entre les deux hommes. Des bruits sont lancés : Welles fait entièrement reconstruire un village indigène du Mexique, il loue à grand frais le yacht d’Errol Flynn, il dépasse allégrement le temps de tournage (à cause de Rita Hayworth qui tombe malade)... Si La Dame de Shanghai n’est pas un véritable gouffre financier, Harry Cohn le déclare comme tel. Dès lors le destin de Welles est scellé à Hollywood : incontrôlable, dépensier, incapable de terminer un film. Plus jamais il ne sortira de ce carcan, construit sur mesure pour briser sa carrière, et tous ses films se monteront dorénavant dans la douleur. Le montage du film échappe à Welles, des séquences entières disparaissent, des retournages sont effectués, ses mémorandum (notamment sur la bande-son) sont systématiquement ignorés.
Mais malgré tout, La Dame de Shanghai demeure une œuvre prodigieuse, sombre et troublante, visuellement époustouflante. Un Film noir unique en son genre qui prend toute sa mesure sur grand écran. Ca tombe bien, il ressort dans les salles ce mercredi en copie numérique restaurée chez Mission ! Orson Welles sera de nouveau à l'honneur la semaine prochaine avec la réédition d'Othello... nous y reviendrons !
dans les salles

la dame de shanghai
un film d'orson welles (usa,1947)
DISTRIBUTEUR : MISSION DISTRIBUTION
DATE DE SORTIE : 16 AVRIL2014
Un soir, Michael O'Hara, un marin irlandais, vient en aide à une mystérieuse et superbe femme victime d'une agression. Après une courte conversation, elle disparaît dans la nuit. Plus tard, il est engagé à bord du yacht d'Arthur Bannister, riche avocat, et mari de la femme qu'il a sauvé, Elsa Bannister. Michael devient l’amant d’Elsa. Petit à petit, il se retrouve mêlé à une complexe histoire de fraude et de meurtre...