Huit heures de sursis
Ce pourrait être un modèle de film policier, c’est une allégorie de la solitude et du destin, la complainte d’un être condamné sur lequel pèse l’inéluctable. Cet homme erre blessé dans la nuit noire de Belfast, aux abois, recherché par tous. Dilemmes, rencontres étranges, questions existentielles émaillent son itinéraire : une femme le soigne avant de le renvoyer aux flocons de la rue, un vagabond alcoolique reconnaît en lui un alter ego, un peintre illuminé cherche à capter sur la toile l’étincelle de la mort qu’il entrevoit dans son regard. Prêtre altruiste, chef de police, amis, maîtresse, tous sont mis à l’épreuve de leur engagement – moral, idéologique, amoureux. Poème funèbre en forme de suspense haletant, le film impose une rigueur admirable qui culmine lors de la conclusion, saisissante de grandeur tragique.
5/6
Top 10 Année 1947
Première désillusion
Les perspectives semblent ici déformées, sous le règne de la menace ou de l’émerveillement. L’impression est renforcée par le cadre du film, une grande demeure victorienne et son escalier en spirale autour duquel vont se développer mystères et faux-semblants, s’attiser tensions et dangers. Tout en effets de contraste, troubles indécis, partages de l’ombre et de la lumière, le suspense favorise un formidable exercice de démontage d’une cristallisation enfantine. Les faits ou leurs apparences y sont perçus et interprétés par un jeune héros à la fertile imagination : le mensonge est l’ultime recours pour ne pas trahir, les histoires d’adultes vécues comme des contes de fées, et la compréhension du drame une initiation à la lucidité – apprendre un peu de la cruauté des relations humaines.
5/6
Top 10 Année 1948
Le troisième homme
Une ruelle de Vienne enveloppée dans les ténèbres, un chat qui passe, une silhouette surgissant dans le cadre, et la caméra qui finit par arracher un sourire charmeur à la pénombre. C’est pour ce genre de séquences, hantées par la présence magnétique d’Orson Welles, que le film est entré dans la légende. Mais aussi pour le désarroi d’un pays dévasté et les accords de cithare obsédants, pour la poésie crapuleuse du climat et les bas-fonds cauchemardesques où le gibier traqué devient chasseur à son tour. Au croisement des idées de Camus et de l’humanisme chrétien, Reed développe une tragédie policière fonctionnant par jeu d’identifications successives, fait tourner les cas de conscience comme autant de ressorts métaphysiques, et dresse l’analyse politique de la situation européenne au lendemain de la guerre.
5/6
Top 10 Année 1949
Le banni des îles
Des romans de Conrad, le plus précieux à fixer sur la pellicule est son climat, son mode narratif et non le détail de ses fictions. Le cinéaste l’a parfaitement assimilé et en restitue à merveille l’atmosphère équivoque, insolite, mystérieuse, la captivante ambigüité qui caractérise ses personnages et la structure de ses récits. Il dresse le portrait d’un paria ni bon ni mauvais, se débattant contre un destin désespérant qui le dépasse, vivant une aventure étrange avec la jeune fille silencieuse d’un chef de tribu et se laissant consumer par ses tentations jusqu’à trahir l’amitié du bienfaiteur capitaine qui lui avait accordé sa confiance. Nul manichéisme, aucune faute de goût ne vient écorner la force dramatique de sa déchéance, dont l’amertume et la folie douce semblent couler d’un même désarroi existentiel.
5/6
Top 10 Année 1951
L’homme de Berlin
Un personnage candide dans une ville menaçante et divisée, un autre à la fois charmeur et dangereux, trafiquant prêt à tout pour survivre, qui apparaît et disparaît à loisir… Difficile de ne pas établir de parallèle entre ce film d’espionnage sec et percutant et le classique réalisé quatre ans plus tôt. Si le script ne possède pas la construction implacable de celui de Greene, plusieurs lièvres étant levés sans être poursuivis, sa fragilité dramaturgique s’avère un atout : le reflet d’un monde absurde et cruel où rien n’est jamais certain, et dont les situations et les épisodes reviennent comme des réminiscences. Projection surtout d’une Histoire ayant fait des ombres et des ruines encore fumantes de l’ex-capitale nazie, pleine de fantômes inquiets surgis d’un passé trop lourd, le réceptacle des blessures de l’après-guerre.
4/6
Trapèze
Le cirque, son directeur capricieux, ses acrobates voltigeurs, ses lions, ours et girafes, ses dresseurs, jongleurs et écuyères : milieu toujours spectaculairement exotique, dans lequel naît ici une amitié entre deux trapézistes. Le schéma est vieux comme le monde, qui voit un bourlingueur bourru, ancienne gloire blessée en quête de rachat, prendre sous son aile un jeune casse-cou qui l’admire, avant que l’amour d’une incendiaire acrobate ne vienne compromettre leur belle harmonie. Reed tire une certaine cinégénie de son drame forain (voltiges aériennes et plans vertigineux à l’appui), formule au passage deux-trois choses pas sottes sur l’ambition déçue et le prix de la réussite, et glisse en loucedé un sous-texte
gay-friendly qui donne un peu de relief à l’efficacité tranquille de l’ensemble.
4/6
Oliver !
Dans les années soixante, adapter en luxueuses comédies musicales des classiques littéraires ou de grands succès de la scène pouvait quasiment garantir une moisson d’Oscars. Le film de Reed a bien confirmé, après
West Side Story ou
My Fair Lady, à quel point ce calcul était payant. Il s’apparente à une tentative de synthèse du cinéma britannique contemporain en un spectacle bigarré chantant et dansant, destiné à tous les publics. Les taudis savamment agencés des bas-fonds londoniens et les quartiers résidentiels tout baignés de soleil y abritent une faune caracolante aux débordements chorégraphiquement appliqués. Quant à la trame mélodramatique de Dickens, elle vient soutenir avec efficacité cette entreprise au pittoresque habilement dosé, exécutée selon les règles de la bienséance artistique.
4/6
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Première désillusion (1948)
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L'homme de Berlin (1953)
Si le reste de sa filmographie est réputée pour ne pas atteindre leurs sommets, ces quelques titres souvent admirables, grands classiques du cinéma britannique, font de Carol Reed un réalisateur de très belle envergure, un excellent technicien, un raconteur précis, un cinéaste souvent animé de fulgurances visuelles et dramatiques : en bref, l’auteur d’une œuvre aussi solide que passionnante.